S'il y a bien un truc que j'admire chez les profs, c'est leur capacité à rester objectif en toutes circonstances. Pour moi c'est tout bonnement impossible : dès qu'un de mes chouchous déboule, généralement un groupe qui a une vraie patte et dont le succès est loin d'être à la hauteur de son immense talent, comme Death Angel ou Annihilator, je perds toute impartialité. Paradox est de ceux-là : tenez, là j'ai juste envie de vous dire « Paradox sort un nouvel album, comme d'hab' il va être super, achetez-le les yeux fermés, allez hop 18/20, merci au revoir ». Mais bon, paraît que faut développer chez les Eternels…
Après avoir voulu jouer aux durs sur Riot Squad, ce qui n'est pas son point fort même si le savoir-faire est là, Paradox a décidé de revenir à ses fondamentaux sur Tales of the Weird. D'ailleurs, cette petite intro acoustique sur fond d'orage n'est pas sans rappeler celle d'Heresy, ce qui est un excellent présage ! Au programme donc, des morceaux plus speed que réellement bourrins, à quelques exceptions près, une production plus organique et moins fatigante que celle des trois précédents albums, de vrais refrains et surtout, la spécialité de Paradox : du riff, du riff et encore du riff. Parfait pour compenser la relative faiblesse de Charly Steinhauer au chant, tant dans la justesse (encore qu'on le sent moins à la lutte que d'habitude) que dans l'inventivité des lignes de chant, lui qui a tendance à scander les couplets toujours de la même façon. Et puis bon, de toute façon, ce n'est pas trop gênant : les piètres chanteurs, ce n'est pas ça qui manque dans le thrash, Mustaine, Gerre, Petrozza, Schmier, l'imbattable Paul Baloff… Y a-t-il besoin d'en chercher d'autres ?
Tales of the Weird débute par un titre épique de plus de 9 minutes, dont la durée s'explique en grande partie par l'intro très soignée. Ce sera une exception, car hormis "Brainwashed", qui reprend une recette fréquemment utilisée sur Collision Course, à savoir l'adjonction d'un long coda, la plupart des morceaux ne lambinent pas. Comme souvent, Paradox ne se contente pas de speeder du début à la fin et nous offre quelques respirations bienvenues, avec le très bon mid tempo "Fragile Alliance" ou l'interlude acoustique "Zeitgeist", tout en douceur. Le groupe ne se laisse pas non plus enfermer dans des schémas trop téléphonés : les riffs les plus secs ("Escalation", "The Downward Spiral") cohabitent avec des refrains certes rapides mais moins agressifs, alors qu'à l'inverse, "Slashdead" débute de façon assez peinarde avant un regain de nervosité sur le refrain. Refrains qui sont d'ailleurs un des points forts de l'album, et les plus réussis ("Brutalized", "Brainwashed" ou encore le morceau titre) se hissent logiquement en tant que temps forts de Tales of the Weird.
Et puis s'il fallait donner une dernière raison pour vous convaincre de vous jeter sur Tales of the Weird, elle tiendrait en ces quelques mots : "A Light in the Black". Oui, il s'agit bien d'une reprise de Rainbow, et elle justifierait presque à elle seule l'achat de l'album tant Paradox a réussi à se l'approprier. Pour ceux qui ne connaitraient pas la version originale (quoi, il y a encore des fans de heavy qui ignorent l'existence de ce chef d'œuvre qu'est Rainbow Rising ? Mais que cette lacune soit comblée au plus vite !), l'illusion est parfaite jusqu'au solo de claviers, qui finit par mettre la puce à l'oreille. La recette du groupe ? Aussi simple qu'efficace : jouer ce morceau en version accélérée, tel un 33 tours passé en mode 45 tours, ce qui donne un morceau speed metal qui passe de 8 à 7 minutes tout en conservant l'intégralité des plans, final bizarre compris ! Une orientation qui permet à Paradox de proposer sa propre vision, ce qui est tout l'intérêt d'une reprise, et aussi à Steinhauer de ne pas trop souffrir de la comparaison avec Dio, ce qui est plutôt habile comme manœuvre.
Non, franchement, pour moi impossible de garder la tête froide à propos de Paradox. Peut-être que dans 6 mois, je me dirai « merde, Kroboy, t'as craqué, 16/20 et un coup de cœur pour un album qui comporte un tas de très bons titres (que ça à vrai dire) mais pas de morceau vraiment ultime, c'est trop » ; mais j'en doute fort, car Tales of the Weird concentre tout ce que j'aime dans le thrash : des riffs rapides, tranchants mais pas forcément bourrins, de vrais refrains, des solos de haute volée… Bref, Paradox, c'est vraiment le haut du panier. Et si peu de gens le savent…