Faute de mieux, nous ferons comme tout le monde : nous écrirons « modern metal », et nous parlerons d’un croisement entre Faith No More et Devin Townsend. Il y a pire, comme références, non ? Surtout pour un premier album, français de surcroît. Voilà, décor planté. Prenons maintenant notre loupe, et descendons voir la bête de plus près.
Pourquoi Devin ? Principalement pour la production : pour cette espèce de lumière qui traverse tout l’album, et donne aux couches de guitares, aux nappes de synthés, aux voix superposées, la phosphorescence d’un Infinity ou d’un Strapping Young Lad. Du son froid, donc, à la limite du givré, parfois proche de l’école melodeath made in Soilwork ou In Flames. Est-ce à dire qu’Hyperdump tape dans le suédois ? Avec un chanteur aussi pattonesque dans la démarche, l’écueil est – fort heureusement – évité. Et Patton, c’est peu dire que Ws maîtrise le sujet. Lorsqu’il se lance en voix claire, on retrouve en effet toute l’ampleur et la limpidité du grand Mike ; quant au registre agressif, loin du growl ou des gueulantes, il porte en lui l’urgence, la scansion teigneuse d’un certain Tomahawk. L’influence peut paraître étouffante ; dans les faits, la prestation de Ws ne manque ni d’implication, ni de personnalité. Mieux : les arrangements, les murs de voix, les lignes doublées, triplées, voire quadruplées sur la majeure partie du CD, font de Rational Pain un régal pour tout amateur de chant, ainsi qu’une réelle performance de vocaliste. L’apothéose étant atteinte sur "Loser*", avec ses mantras devinesques, ou les refrains libératoires de "Breaking Life".
Musicalement, ça riffe carré. Au pays de la saccade sous-accordée, du placement rythmique venimeux (mais jamais matheux) et de la double pédale d’hélicoptère, Hyperdump n’a de leçon à recevoir de personne. On se retrouve donc avec un cyborg parfait, mi-metal, mi-mélodique, à la fois très typé dans le chant et plus qu’original dans l’atmosphère. Effet « premier album » oblige, les compos parcourent toute l’échelle de la sophistication, du brut de pomme au quasi progressif, sans jamais excéder la barre des 5min30. On trouvera ainsi des brûlots directs, limit’ taillés pour la scène (les shuffle martiaux de "Pig Song*" et du début d’"Urizen", qui rappellent directement "War" de Townsend), des arrachages de tronche façon blast-beat ou Fear Factory ("Waves Of Nothingness" et "My Confusion"), mais également de petits joyaux presque progressifs, notamment sur la fin du skeud – qui a la bonne idée de monter en puissance au fil des plages. "Urizen", avec ses saisons différentes, apparaît ainsi comme la clef de voûte du CD (mais avant tout comme une compo inoubliable). Idem pour "Breaking Life" et "Loser*", véritables points d’orgue de l’album. L’attirail ne serait pas complet sans quelques passages instrumentaux à couper le souffle, des bricolages « electro » (rajouter vingt guillemets), par exemple sur l’intro… et même une excursion jazzy, juste pour le fun, avec la reprise de "Pig Song*" en bonus track.
Le son reste homogène, mais le paysage est donc très large. Au final, Rational Pain est une galette à la fois concise et délectable, qui rassasiera en même temps les amateurs de pains dans la gueule, de riffs techniques et de mélodies léchées. Tout au plus pourra-t-on regretter le son de batterie, qui fleure bon la partie programmée, et nuit un peu à la personnalité du son. Pour le reste, voilà 40 minutes de musique intelligente, audacieuse et parfaitement ficelée. Un très bon album.
* En confrontant les paroles et les vidéos disponibles sur You Tube, il semble que la track-list imprimée soit fautive, et que les chansons Pig Song et Loser soient inversées sur la pochette.