J’en avais un peu parlé dans la chronique du Live d’Alice In Chains mais je me répète : la vague grunge des 90’s nous a laissé des petits bijoux musicaux. C’est un fait. L’album d’aujourd’hui est un one shot et n’a, paradoxalement, rien de grunge. Quatre ans après l’enregistrement de ce Above, le bassiste John Baker Saunders décède d’une overdose et en 2002 c’est Layne Staley tire à son tour sa révérence. Donc, pas de suite… Je vous ai dit que Mad Season a été formé par JBS et Mike McCready, soliste de Pearl Jam, au cours d’une cure de désintox’ ? Non ? Rho.
Ouais, la drogue, dans la musique, ça a été un moteur pour pas mal d’artistes. Et on le savait déjà. Ici c’est le festival du slip. Above sort un peu de nulle part. Ne pensez pas avoir à faire à un sous-AIC ou un sous-Pearl Jam, ni à un sous-Screaming Trees. Ici c’est un rock classieux, mélodique, propre, posé, mélancolique, parfaitement interprété qui possède une identité très forte et qui va plus vers Zeppelin que le style pratiqué par les formations précitées. Mais ce qui choque le plus, c’est la sensation d’écouter des jams à peine abouties. Tous les morceaux de cette galette, des parties instrumentales (la démente "November Hotel", la fin de "Wake Up" et autres), aux parties chantées, tout sonne spontané et frais. Ce qui n’est pas trop surprenant, dans la mesure où l’album a été composé en une semaine (!). Bref, Above, c’est un ovni musical, le genre de truc dont on ignore l’existence, qu’on ne peut pas imaginer. L’album est devenu culte pour pas mal de monde. Maintenant, est-ce justifié ?
Pour répondre à cette question, existentielle au possible, il suffit de l’écouter. Le track-by-track me parait ici approprié pour saisir à quel point ce all-star-band a laissé un artefact puissant et intemporel. Une ligne de basse toute en douceur attaque ce "Wake Up", suivis de quelques accords cristallins, un claquement de caisse claire et la voix de Layne, celle d’Alice In Chains oui, mais façon crooner, un registre assez peu exploité dans son groupe principal. Puis un cri, sans explosion. Le ton est mélancolique, dans l’introspection puis finalement le déchainement attendu survient et là, c’est du freestyle, un solo dissonant porté par une rythmique très 70’s (d’ailleurs là prod’ est axée sur un son de batterie à la "vraie", un peu comme s’ils avaient écouté "Black Dog" de Led Zep et s’étaient dit « c’est ça qu’on veut comme son »), et comme la colère s’essouffle, elle revient, plus forte, plus agressive, le début de "X Ray Mind" est tribal, la guitare dissonante, les vocaux sont haut, les portées longues …
… Juste après, le spleen de "The River of Deceit" nous cueille et là, suivant son parcours personnel, on pensera à des potes pas vus depuis des années, à un proche décédé trop tôt, à des regrets, mais toujours sous un angle lumineux. "I’m Above" se place entre les débuts de Pearl Jam et d’AIC, avec un pré refrain énervé hallucinant de fluidité, de groove et de maitrise, suivi d’un refrain presque dansant. Les parties de grattes ne sont jamais démonstratives mais extrêmement bien senties. "Artificial Red" quand à elle est… Pfiou… Groovy, jazzy, rythmiquement impeccable… Les "Whouhou" de Staley presque fantomatiques, ses attaques rugueuses. "Lifeless Dead", se rapproche de l’éponyme d’Alice, presque glauque, énervé, le chant écorché explose en hurlements de dingues, poisseux et collants au possible. "I Don’t Know Anything" est clairement le titre le moins intéressant de l’opus, le ventre mou du paquet, il ne s’y passe pas grand chose …
… Alors que "Long Gone Day", enfumé au possible, avec son double chant, ses chœurs et son saxo sortis de nulle part montre une créativité incroyable et un brassage d’influences très bien maitrisé. "November Hotel" est donc une longue plage instrumentale (7 minutes au compteur !), blindée d’effets, de roulements, de finesse à la batterie, soutenue par une ligne de basse intelligente, rampante, dure, bref LE morceau démonstratif mais, prouesse, incroyablement musical et entêtant. "All Alone" sonne comme un "Au revoir", Staley est perché, la musique envoutante, entre espoir et tristesse, amertume et grisaille passagère… L’album se termine sur une note de douceur qui, des années plus tard, pourrait fait frémir en songeant à ce que le line up est devenu. "We’re All Alone" chantait Stayley le long de ce titre quasi instrumental. Oui. C’est ainsi qu’ils devaient se sentir. Ca peut expliquer la suite. La drogue, dans la musique, ça a été un moteur pour pas mal d’artistes. Mais aussi un coup d’arrêt pour certains.
Alors oui, c’est culte. Culte par le côté one shot, pondu par une équipe d’allumés vraiment créatifs. Culte aussi par la qualité de la musique qu’ils ont laissé derrière eux, et aussi par le vide. Surtout Stayley, soyons honnêtes : ce type avait la flamme, avait une voix, avait une capacité à traduire son mal être assez incroyable. Bref, l’important au final, c’est pas de connaître le statut de ce Above mais plutôt de répondre à cette question : quand allez-vous enfin l’écouter ? Vous savez ? Pour ne pas mourir pour rien ?