À un moment donné, faut se faire une raison. Admettre que le metal prog déçoit, un peu, beaucoup, mais surtout souvent. Accepter que pour une découverte rafraîchissante, osée, renversante, il faut se farcir une dizaine, une vingtaine de troufions au pire mortifères, au mieux vaguement sympathiques. Et, une fois résigné, les enquiller, avec certes la ferveur d’un employé de préfecture en préretraite, mais bon, ils ont fait leur boulot, alors faut bien se donner la peine de faire le sien. C’est parti, j’appelle le n°868, alias Sun Caged !
Alors Sun Caged, c’est le cas d’école du groupe à belle gueule, qui présente bien, qui a de sérieuses ambitions… mais qui manque d’idées. Alors il comble, comme il peut. Il a bien observé ses petits copains d’école, a écouté comment ils sonnent, histoire de reproduire la production, tout seul, comme un grand… et il y est parvenu, se donnant des airs de groupe pro, sachant pertinemment que pour émerger, c’est là une condition nécessaire. Mais pas suffisante, ah non, il faut voir plus grand. Avec, tiens ! Une suite épique, morcelée sur 8 titres, qui occupe toute la seconde moitié du disque et qui vous promet le grand frisson ! Mais que les plus frileux ne s’inquiètent pas, puisque l’autre moitié, elle, est classique de chez classique, six titres de pur metal prog qui vous les rappelleront tous, tous les autres, qui sont déjà sortis sur Lion Music et tous les autres labels qui… ah, monde cruel.
On y a cru, pourtant. On y a cru, 30 secondes, le temps d’une intro très agressive qui laisse imaginer que Sun Caged aura au moins le bon goût d’être plus burné que ses camarades. Et puis patatras : ça enchaîne sur ce foutu mid-tempo asymétrique qu’on a déjà entendu sur les derniers Aspera, Redemption et des dizaines d’autres, avec des lignes vocales en pilotage automatique, chantées par le même foutu timbre heavy plaintif que chez tout le monde… à se demander, même, si ce n’est pas le même homme de l’ombre qui pose sa voix sur tous les disques de metal prog de seconde zone, tant c’est du pareil au même. Et puis si ça ne suffisait pas, les Hollandais ont une fâcheuse tendance à l’emprunt, qui au moins a le mérite de nous distraire : sur "Seamripper", on retrouve l’air de rien un mini-duel clavier/guitare à la Symphony X ; plus loin, c’est la ballade "Ashes to Ear" qui s’ouvre sur une énième variation du "Frame by Frame" de King Crimson… vous avez dit agaçant ?
Et pourtant, dans tout ce magma de non-originalité, se terre l’idée très frustrante qu’un vrai potentiel pourrait se dessiner. Il est très difficile de le discerner en début de parcours, où les bons moments se comptent sur les doigts de la main droite de Jerry Garcia : le refrain de la sus-citée "Ashes to Ear", dans un style neuneu mais efficace, ou l’arpège joliment tordu qui ouvre "Reductio ad Absurdum"… mais tout ceci est trop long, trop étayé, avec trop peu d’invention pour captiver. Et puis, presque en bout de course, au beau milieu de la suite Lotus, Sun Caged change complètement son approche, enchaîne les vignettes de deux minutes max, multipliant les approches pop, metal, instru tordue, jusqu’à un grand final emphatique qui donne l’impression d’avoir affaire à un autre groupe. C’est bien plus accrocheur et mieux foutu que le reste, et ça referme ce Lotus Effect sur une note encourageante. Le problème, c’est que ça ne dure qu’un quart-d’heure sur 70 longues, très longues minutes…
Pour la suite des évènements, ce n’est pas compliqué : soit le groupe se tient au metal prog stricto sensu, appliqué et lénifiant qu’il pratique sur une trop grosse partie de ce disque, et dans ce cas il peut déjà faire ses valises parce qu’il ne sera pas le bienvenu par ici ; soit il développe l’approche plus pop, plus « folle » qu’il abat ici comme dernière carte, et une jolie carrière, sûrement, peut s’offrir à lui.