Akin -
The Way Things End
L’œuvre jaugée par la plume croise cette fois bien loin des canons habituels qui mouillent dans les eaux éternelles. Grand bazar multi-instrumentiste et fichtrement délicat à classifier, mais certainement pas Metal. Il faudra faire fi des a priori, et prouver à nouveau aux océans du Globe que le drakkar des distorsions est ouvert à tout. Tu liras ici l'odyssée revisitée d'un Erik le Rouge ayant perdu le cap de son Groenland, happé qu'il fût par le chant d'une sirène Rhodanienne. Un Ulysse nordique en somme, mais avec plus de poils. Et de clous.
Nous serons contés aux détours d'un projet moins prog qu'il n'en a l'air les déboires heureux d'un couple étrangement assorti. Au chant, Adeline, qui pose à elle seule la couleur du projet. Cette femme peut tout. Sans jamais forcer sa voix, ni s'essayer à un registre qui n'est pas le sien, elle t'envoie son phrasé directement dans le lobe frontal. La métaphore de la sirène est à peine exagérée. C'est vraiment un philtre d'amour qui tombe sur le quidam pris au dépourvu par ces cordes vocales venues d'ailleurs. Elle assumera presque tous les textes de l'album et s’accommode fort bien de cette tâche, puisqu'elle arrive toujours à moduler son ton, parfois jazzy, parfois mélancolique. Même si sa tessiture pourrait être prise à défaut sur un répertoire de chants marins... On pensera souvent à Andrea Corr en l'écoutant. D'ailleurs, des Corrs éclectiques et intelligents auraient pu composer un tel skeud. Malheureusement, elle partage parfois sa cabine avec Matt, qui pousse la chansonnette quelque part entre Liam Gallagher et Freddie Mercury .
Las, là où on attendait d'un mec qu'il apporte tout son coffre à l'ensemble, il tire dangereusement la barre vers des fonds parfois mièvres. Ses interventions, bien que rares, apportent une touche de Pop quasi sixties bien malvenue à l'ensemble. "Enter Spaceman" est ainsi dégoulinante de préciosité. Beurk, un revival des Beatles. Dans l'ère du temps métrosexuel sûrement, que le vieux con fana de Slayer ne peut saisir. Autre exemple type, les mmhmmages de "Burning Skies" (du verbe mmhmmer, issu de Shrek. Exemple : l'âne, à Shrek: « est-ce que je peux la mmhmmer si je ne peux pas la chanter ? »). Les textes ont également le travers de la jouer trop facile, dans le registre usé jusqu'à la corde (ou jusqu'au boute) de l'amour trahi. Ainsi, « I’ve been in love with you, and I’ve been fooled so cruelly, since you cheat » (en Anglais, vendus!) fait presque poème de Skyblog. Les contre-exemples sont heureusement bien plus nombreux, et "Resilience" à elle seule contient plus de poésie que tous les cours de Français de ta prime jeunesse.
L'autre force majeure d'Akin est certainement cette grande variété des instruments utilisés. Le fascicule publicitaire parle d'une collaboration avec un quatuor à cordes, mais c'est bien plus que cela. Entre djembé et flûte traversière, nos instruments habituels sont en très charmante compagnie, et le combo fait état de sa réussite tout au long des quinze titres éparpillés sur la galette. Mention spéciale à ce titre pour "Unhearted", qui combine avec brio un mini solo de guitare, accompagné d'un violoncelle (ou pas, le présent rédacteur de ces mots n'a vu qu'une symphonie à ce jour, et sa culture classique se limite à l'hymne de la Ligue des Champions) et d'un break de batterie qui vous laissera tout chose. Le résultat de cette collaboration donne une identité unique au projet, mais plus d'expression individuelle de chacun des instruments aurait pu apporter à chaque chanson une personnalité plus forte. Car si The Way Things End est bien proportionné, plus de déséquilibres internes auraient contribué à une plus grande indépendance des titres. Ainsi, "A Better End" ou "Burning Skies" ne se seraient pas perdus dans le triangle des Bermudes des morceaux en retrait.
Les performances solistes sont rares, et seule la batterie y aura pleinement droit, sur "Coma". Piste excellente d'ailleurs. Mais une heure, pour une cinquantaine de cordes, trois voix, une flopée de fûts et quelques vents, c'est bien peu, limitant de fait les longues performances égoïstes. Peut-être sur un prochain enregistrement, sans éclipse de huit ans cette fois? Vous l'aurez compris, mais avec la contribution d'un musicien professionnel de l'orchestre de Lyon (lire à ce sujet l'excellent interview du groupe parue sur French-Metal.com), nous sommes très loin du syndrome classique de l'album Metal bien grandiloquent qu'on retrouve par exemple sur le S&M de Metallica. Le but d'Akin n'est pas de te servir de l'arrangement en toc qui fait pleurer les beaufs, mais de te donner le meilleur des deux mondes. Et ils y arrivent, sans aucun problème. Servis d'ailleurs par un travail de prise de son et de production stratosphérique.
La simple idée du temps passé par ces gens qui bossent toute la semaine donne le vertige. Écouter l'album normalement, puis uniquement avec l'un des deux canaux vous permettra un aperçu du temps passé sur les balances. Ce perfectionnisme offre des fruits magnifiques, sur le son acoustique des guitares, ou lors des multiples records combinés du chant d'Adeline. Entre les premiers enregistrements et la finalisation de tout ce capharnaüm, de l'eau a coulé sous les ponts. Nonobstant, c'est d'abord le talent de toute cette équipe qui fait de The Way Things End le petit bijou qu'il est. Tu découvriras trop rarement pareils musiciens, qui savent si bien s'affranchir des conventions, pour proposer leur raout fait maison, avec une liste d'ingrédients bien plus longue que celle d'une soupe à bord d'une caravelle, pour un résultat si aérien.
S'il ne fallait retenir qu'un aspect de l'ensemble, ce serait certainement ce don qui leur permet de lancer un titre pour le finir des lieues plus loin sans que tu souviennes vraiment où tout cela a pu commencer. "Miller's End" te déposera sur une plage du Maghreb, au son du Kamanja (si Wikipédia ne m'a pas trompé). Avec tant de richesses en son sein, chacun y trouvera son compte. Nous avons tous une bonne raison d'aimer The Way Things End. Le capitaine à bord a peut-être un lien de parenté avec celui d'Akphaezya ou celui d'Arcana, si cela peut t'aider à imaginer la démarche d'Akin. Mais contrairement aux albums de ces deux autres équipages, les Français la jouent beaucoup plus accessible. Est-ce du progressif complexe, qui ne se révélera qu'après des heures passées au casque, ou bien une compilation de joli refrains folk qui inspire l'entrain des les premières mesures ? L'un et l'autre, et encore beaucoup plus. De la chanson, ou bien de la musique ? Cela ne dépend que de toi. Embarque donc matelot, quitte ton équipage barbare, pour te retrouver toi aussi dans les griffes adorables de Circé.
La chronique peut sembler critique et acerbe par moment, mais qui aime bien châtie bien. En découvrant une perle des grands fonds de cette taille, on ne peut s'empêcher de pointer les rares défauts : ou plutôt les rares regrets. Tout reproche est affaire de sensibilité. Dans l'absolu, le disque ne souffre pas de réel défaut, du moins pas de ceux qu'on retrouve dans le manuel du parfait petit chroniqueur. C'est pour cela et pour plein d'autres raisons que The Way Things End est une franche réussite, un polyèdre polyphonique aux multiples facettes. La scène progressive française prouve, une fois de plus, son talent créatif et son inventivité rafraîchissante. Qui a osé dire que la musique vivait dans le marasme ? Pour ma part, après tant d'écoutes et d'orgasmes sonores, la mer des larmes d'Adeline s'est changée en océan de foutre. Pardon my French.