Parfois, on prend conscience de choses pas très agréables à propos de soi-même. Tiens, par exemple, ce week-end, je viens de réaliser que j'étais un gros casse-bonbons jamais content. Plus d'une fois, j'ai ronchonné contre des groupes de heavy sans la moindre ambition, qui se contentaient de recycler de façon impersonnelle des formules ayant fait leurs preuves depuis des lustres. Et bien pour une fois que je peux chroniquer un album avec une vraie personnalité… et ben je vais encore râler !
Sauf que cette fois, je vais plutôt pester de voir un groupe visiblement doué et ambitieux flinguer bêtement son album en se plantant sur de petits détails, malgré l'indulgence habituellement accordée à tout premier album. Le début de "Betrayal" suffit à planter le décor : les arpèges tout en douceur, agrémentés de quelques notes de guitare acoustique, sont soudainement brisés par un grand fracas et des hurlements typiquement black. D'emblée, on se dit qu'on ne va pas avoir affaire à un album de heavy stéréotypé. Sur ce premier titre, les Norvégiens vont fureter tour à tour du côté du black, du heavy et du doom empreint d'un certain lyrisme, tout en ayant la volonté de ne pas se laisser enfermer dans le cadre rigide d'une structure couplet / refrain. Ce programme, chargé et pas forcément très engageant sur le papier, s'avère brillant en réalité et donne immédiatement envie d'en savoir plus. La suite est du même calibre avec "Far Beyond", un titre un peu plus classique dans la forme puisqu'il ne s'agit « que » de heavy lent et mélodique dans la veine des derniers Iced Earth ou de Charred Walls Of The Damned. Le couplet comme le refrain, tous deux marqués par la théâtralité du chant, sont superbes. Même si tout n'est pas forcément réussi, à l'image de la présence incongrue de la double pédale derrière un solo ambiant ou d'un break qui se finit un peu en eau de boudin, l'impression générale est une nouvelle fois très favorable.
Dès lors, comment expliquer la catastrophe "Eternal Rage" ? Ce titre débute pourtant formidablement bien, en reprenant la grande liberté de ton de "Betrayal". En à peine 3 minutes, Pictures Of Pain nous offre une intro pachydermique, une attaque furieuse à la Iced Earth de la grande époque, une cassure black teintée de heavy à la Cradle Of Filth, un passage heavy avec des mélodies de guitares mises très en avant comme chez Blind Guardian, le tout s'enchaînant avec une remarquable fluidité. Le piège, c'était de se laisser griser et d'en faire trop, et malheureusement les Norvégiens tombent en plein dedans. A partir du break ternaire un peu gadget, tout part en sucette. Le passage instrumental qui suit, tout en cassures rythmiques avec la succession d'accélérations et de ralentissements, n'est rien d'autre que de la branlette technique complètement inutile, qu'on croyait réservée aux albums de metal prog' vides de fond. Ce double passage sans intérêt sera même répété un plus loin, après l'addition entre autres d'un solo de guitare vaguement bluesy et un solo de batterie au son trafiqué… Bref, ce qui s'annonçait comme un morceau inventif plein de maîtrise s'avère en fait être un foutoir étiré sur plus de 9 minutes. Dommage, car après ce long et indigeste passage central, "Eternal Rage" se termine de façon jouissive par le développement du thème d'intro, à mi-chemin entre Down et Skinlab. Que de regrets…
La suite se déroule un peu sur le même schéma. D'un côté, on retrouve des trucs vraiment très bons : c'est le cas de "Years of Disgrace", un titre reposant finalement sur peu de choses, mais doté d'une grande force émotionnelle, notamment sur le refrain. "Final State" est également à ranger dans cette catégorie : dans l'idée, on retrouve du "Eternal Rage" dans cette façon de brasser étonnamment bien une foule d'éléments, parfois inattendus comme une intro à la Tears For Fears ou un passage très heavy traditionnel avec une savoureuse rythmique tagada, le tout dans une structure qui sort un peu des sentiers battus. Débarrassé du superflu qui plombe "Eternal Rage", c'est un véritable régal qui se termine en apothéose avec ce final presque doom qui sert de prétexte à un long solo final, comme avait l'habitude de faire Metallica (remember "Fade to Black" ou "Welcome Home"). De l'autre, à côté de quelques titres foncièrement moins intéressants ("Deviator" qui détonne en sonnant très true metal, ou le lancinant, pour ne pas dire chiant, "Sign of Times"), il y a le cas "The Reckoning". Encore un morceau lent de heavy mélodique qui fourmille d'idées, mais dont l'assemblage respire malheureusement le collage de plans. Dommage, car une fois de plus, Pictures Of Pain nous montre de belles dispositions, comme cette longue montée en puissance ponctuée d'un solo bordélique prenant des allures de catharsis.
À l'évidence, il y avait largement assez de bonnes idées sur The Reckoning pour faire un excellent album. En raison de quelques lourdeurs et autres erreurs de dosage ou d'agencement, il ne sera « que » bon. Maintenant, attention : le jour où les Norvégiens auront ajusté les derniers réglages de leur « extreme melodic metal », une définition assez parlante pour une fois qui se traduit plus prosaïquement par du heavy saupoudré d'une grosse louche de black, ça fera vraiment très mal. Je suis prêt à vous le garantir sur parole…