Ah, le parfum de l’encens ayant brulé de longues heures durant sur un autel de pierre dans un temple séculaire d’une civilisation maintenant réduite à l’état de chapitre dans les manuels scolaires. Ah, les symboles mystérieux et le savoir ancestral des occultistes, ce vent de mysticisme, ces panthéons oubliés, ces rites arcaniques que plus personne ne pratique en plein jour, ces langues riches qu'on ne comprend ni ne parle plus…tout ça, ça peut faire de chouettes livres, de chouettes films et des tas de BD pleines de mystérieuses princesses orientales promises au sacrifice… Ça peut aussi faire de chouettes albums de metal extrême. Eh ouais.
Et le fait de vivre au Québec, dont la plus ancienne tradition ne doit pas remonter à plus de 2 siècles (et concerne sûrement des frites, des grains de cheddar et une sauce barbecue) n’est pas un frein à l’inspiration des antiques civilisations, dont il ne reste bien souvent que des tas de cailloux servant à faire grimper le PIB national des pays qui vivent aujourd’hui sur ce territoire, grâce aux riches capitalistes prêts à payer une petite fortune pour se faire photographier devant en short et marcel (et que l’on ne vienne pas me dire que cette phrase est trop longue, vous n’aviez qu’à prendre votre respiration avant de la commencer). Aeternam, pour en revenir aux choses essentielles, nous présente donc son premier album, suite à une signature chez Metal Blade (excusez du peu) et – vous l’avez compris – présente deux caractéristiques intéressantes : ils viennent du Québec et font du metal extrême occulte. Oui, oui, un peu comme les ricains de Nile, avec qui ils partagent pas mal de points communs, dont une grande qualité. Car Aeternam possède une troisième caractéristique qui finalement est la plus pertinente : ils font une vache de bonne musique.
Disciples Of The Unseen pourrait n’être qu’un album de plus à prétendre marier musique extrême et sonorités de l’Orient pour coller avec le mystère et la grandeur des grandes civilisations d’Egypte et de Mésopotamie (et de tas d'autres), et pourrait même avoir le mauvais gout de faire ça n’importe comment. Mais non, Disciples Of The Unseen, c’est tout l’inverse : c’est le tour de force de mêler brutalité, grandiloquence, orientalisme et puissance, sans tomber dans les clichés trop souvent inhérents à ce genre de tentatives. Puisque nous parlions des points communs avec Nile, il faut malgré tout se borner à citer les passages les plus death metal de cet album - et encore, ils ne possèdent pas ce côté ultra-brutal et technique des américains. Les membres d’Aeternam ne sont certes pas des manches, mais leur musique est plus comparable avec celle de Behemoth, particulièrement leur dernier opus Evangelion, avec qui Disciples Of The Unseen partage la puissance, le côté rouleau compresseur et l’ambiance mystique qui s’en dégage. Les guitares, oscillant entre riffs bourrins et mélodies sur fond d’apocalypse, sont là encore dans une veine similaire, et même la voix impressionnante de Ashraf Loudiy fait penser à celle de Nergal. Par contre, pas question de parler de plagiat : Aeternam est un groupe visiblement tout à fait capable de digérer ses influences et d’en recracher le meilleur.
Tel Behemoth, donc, Aeternam peut être rangé entre le death et le black, les claviers discrets mais indispensables donnent une ampleur bienvenue à la musique des Québécois et le chant achève de brouiller les pistes. Quant aux parties orientales, elles s’intègrent parfaitement dans le canevas des titres du groupe, tantôt apportées par un riff de guitares ou une mélodie arabisante, tantôt par des percussions ou autres sonorités plus musicalement traditionnelles. Et le tout se marrie parfaitement : que ça soit "Ouroboros" et ses percussions, "Goddess of Masr" et ses guitares acoustiques (rappelant Orphaned Land, mais ça n’est pas grave) ou "The Coronation of Seth" et son intro au sitar, tout cela est cohérent, brutal et finalement couronné de succès. Même lorsque plus typiquement métal (sur "Angel Horned", par exemple), Aeternam convainc sans problème en produisant des titres énergiques, bien construits et apportant son lot de bonnes idées. Et enfin, dernière petite cerise sur un gâteau déjà bien copieux, Aeternam passe même victorieusement la délicate épreuve du chant clair. Sur les refrains de "Ouroboros" et d’"Esoteric Formulae" ou sur presque l’intégralité de "The Coronation of Seth" (qui du coup devient quasiment progressive, à la Miosis), les mélodies sont très bien trouvées et la voix tout à fait convaincante, rappelant un peu Christofer Johnsson (Therion).
Carton plein pour Aeternam qui, sans trop s’éloigner non plus des sentiers battus, nous offre ici un album racé, fort et maîtrisé de bout en bout, servi par une production aux petits oignons, sachant manier avec autant de talent le blast que l’ambiance plus lourde et cérémoniale. Esotérisme ("Esoteric Formulae", "Ouroboros"), Égypte ancienne ("Iteru", "The Coronation of Seth", "Hamunaptra", "The Goddess of Masr"…) et autres sujets auxquels se prête parfaitement le metal : Disciples Of The Unseen est sans aucun doute à conseiller à tous ceux pour qui le metal doit rimer avec grandeur, mystère et puissance.