Richard Christy est un personnage multi-facettes. Pour certains, il restera comme le dernier batteur ayant accompagné la légende Chuck Schuldiner, au crépuscule de Death puis chez Control Denied. Pour d'autres, comme votre serviteur, il est celui qui signa en fanfare son arrivée chez Iced Earth en posant un pattern hallucinant sur "Wolf", le premier titre de Horror Show. Il y a aussi ceux pour qui Christy, c'est le mec qui a eu la drôle d'idée de mettre sa carrière de musicien de côté pour devenir animateur radio chez Howard Stern…
Sauf que visiblement, l'envie de reprendre les baguettes en main et de poser de nouveau son cul derrière un kit de batterie le démangeait. Christy a donc appelé quelques potes histoire de lui filer un coup de main sur son nouveau projet baptisé Charred Walls Of The Damned (oui, on a déjà vu des noms moins alambiqués). Voici la gueule des potes en question : au chant, Tim "Ripper" Owens, pas franchement le premier venu même si le bonhomme s'est un peu fourvoyé ces derniers temps à force d'albums personnels médiocres (en solo ou avec Beyond Fear) et d'une tendance au cachetonnage éhonté (chez Malmsteen ou sur des albums tribute de bas étage style Butchering The Beatles). À la guitare, Jason Suecof, plus connu en tant que producteur mais loin d'être un manchot à la six-cordes, comme en atteste ses performances avec son groupe de death technique Capharnaüm ou sur les délires Crotchduster ou Austrian Death Machine. Et enfin à la basse, encore un nom prestigieux avec Steve DiGiorgio, dont le chemin personnel a souvent croisé celui de Christy chez Death, Control Denied ou Iced Earth. Bref, c'est une équipe de sacrés clients qu'a réuni Richard Christy ; mais quid de ses compos ?
Un mini-solo de bourrin à la batterie suivi d'un bon gros riff death en intro, avant d'enchaîner sur du heavy très porté sur l'agressivité : le ton est donné dès les premières secondes de "Ghost Town". Compte tenu du parcours de Richard Christy, ce mélange des genres était quelque peu attendu, et il faut avouer qu'il fonctionne remarquablement grâce à une gestion très pertinente des allers-retours d'un style à l'autre. Cerise sur le gâteau, ce break géré d'une main de maître, avec une progression superbement bien amenée. Pas de doute, cette pause de quelques années n'a en rien entamé les qualités de Richard Christy, toujours aussi impérial avec son jeu puissant et varié. Ses camarades ne sont pas non plus en reste : impeccable en rythmique, Suecof prend feu sur quasiment toutes ses interventions en lead, tandis que DiGiorgio est égal à lui-même en dépit d'une place au mixage relativement limitée. Mais la grosse surprise, c'est de revoir Tim Owens à un niveau où on ne l'espérait plus. Il faut l'entendre transcender des morceaux comme le formidable "From the Abyss" où il atteint des notes incroyables, ou encore "The Darkest Eyes" avec une performance vocale de tout premier ordre.
Mais rapidement, Charred Walls Of The Damned opte pour une direction artistique étonnante. En effet, la majorité des titres ont en commun une structure très ramassée, généralement inférieure à 3 minutes 30, un format plutôt inhabituel dans le metal. Du coup, malgré le niveau stratosphérique de tous les membres du groupe, les plages musicales sont réduites à l'extrême : intros limitées, solos très courts, absence de break sur certains morceaux, fins souvent expédiées juste après le dernier refrain… Ce choix apparaît déroutant au départ, limite gâchis, mais il finit par s'imposer au fil des écoutes. En effet, l'album s'avère très percutant, les plans s'enchaînent avec maestria et les morceaux ne souffrent évidemment d'aucune longueur. De plus, 3 minutes peuvent largement suffire au groupe pour faire un carnage, comme c'est le cas sur le très intense "Manifestations" ou sur "The Darkest Eyes", deux titres heavy / death dans la lignée de "Ghost Town". Dans un style heavy plus classique, "Blood on Wood" tire également son épingle du jeu. A l'arrivée, à part peut-être sur "Creating Our Machine", jamais on ne se dit qu'un titre aurait réellement gagné à être davantage développé.
Pour son premier essai en tant que principal compositeur, c'est un album surprenant que nous propose Richard Christy. Séduisant sur le fond avec ce heavy metal tirant vers le death, la forme s'avère un peu déroutante de par sa concision. Mais après bon nombre d'écoutes, un constat s'impose : il n'y a absolument rien à jeter sur cet album, chaque plan vaut le détour, et leur agencement réfléchi et extrêmement bien conçu débouche sur toute une brochette de titres tout simplement parfaits en l'état. Démontrer toute l'étendue de ses capacités mais de façon judicieuse, sans en faire trop : c'est aussi ça la marque des Grands.