CHRONIQUE PAR ...
Cosmic Camel Clash
Cette chronique a été mise en ligne le 01 juin 2021
Sa note :
16.5/20
LINE UP
-Thomas
(chant)
-Julien
(guitare)
-Charlotte
(basse)
-Etienne
(batterie)
TRACKLIST
1)Tout le monde est malheureux
2)Guillotine
3)Les matamores
4)Noël noir
5)Macabre moderne
6)Le culte du rien
7)Blasphème
8)Stadium Complex
9)Question de Violence
10)Vivre à nouveau
11)Le chaos
12)Uppe pa Berget
DISCOGRAPHIE
AqME -
En l'Honneur de Jupiter
Pour un gros changement, c'est un gros changement. AqME pouvait se targuer d'avoir un des line-ups les plus stables de la scène française, avec aucun remplacement de personnel depuis Sombres Efforts en 2002. Mais voilà, le guitariste Ben n'avait pas trop kiffé l'orientation franchement brutale d'Hérésie, et voyant que le groupe voulait enfoncer le clou sur l'album suivant il a préféré se concentrer sur Die On Monday. D'où l'arrivée de Julien, déjà repéré dans le side-project grind d'Étienne (Grymt) et le groupe Lazy. Et pour un changement...
Ne pas dévaloriser Ben à l'écoute d'En l'Honneur de Jupiter risque d'être franchement difficile tant le décalage quantitatif est grand. On se rappellera que l'ancien guitariste a écrit d'excellent titres avec ses anciens collègues en son temps, mais le fait est qu'on n'écoutait jamais vraiment AqME pour la guitare. Celle-ci se fondait dans la masse des compos, aucun passage ne marquait réellement l'auditeur. Alors que des passages de guitare marquants sur cet album, il n'y a que ça ou presque ! Julien est tout simplement un tueur, un guitariste d'une classe insolente dont l'identité très affirmée emporte la musique d'AqME à un niveau supérieur sans jamais la dénaturer. En plus d'un niveau technique certain et d'un feeling à toute épreuve (écoutez son solo sur "Guillotine", une première pour le groupe), c'est surtout via son côté multicartes que l'homme épate. Si ses riffs plombés et agressifs ne laissent pas indifférents - la deuxième moitié de "Blasphème" ramone la face -, c'est son grand sens de l'ambiance qui provoque l'admiration : dès les premières secondes de l'introduction "Tout le monde est malheureux", ses harmonies ruisselantes de spleen prennent par surprise et nouent les tripes. On est très loin du mal-être presque adolescent de Sombres Efforts, on est dans la mélancolie pure. Et ça marche.
Citer tous les moments de bravoure du petit nouveau prendrait beaucoup trop de temps. On s'attardera sur le feeling post-rock qu'il réussit à instiller dans tous les breaks mélodiques qu'il pose, comme dans le mini-plan de rupture des "Matamores" (une des meilleurs compos up-tempo de l'histoire du groupe). On évoquera l'aplomb et la beauté pure des arpèges acoustiques de l'instrumental final "Uppe Pa Berget", 3'31 d'une douce mélodie à la frontière entre Simon & Garfunkel et Jeff Buckley. On évoquera la manière dont il rattrape certains faux départs de compos, comme "Questions de violence" - encore un break mélodique qui fait mouche ! - ou la montée post-rock dépouillée de "Macabre moderne", magnifiée par un Thomas qui hurle tripes et boyaux comme jamais auparavant. Car Julien n'est pas le seul à assurer : le chant atteint des niveaux de violence inégalés qui laissent coi, enfonçant encore le niveau atteint sur Hérésie. On frissonne quand Thomas mêle des notes à ses hurlements saturés à l'extrême, comme sur "Guillotine" («...brûlons nos hymnes et nos symboles !!») ou l'excellent "Culte du rien" («...sans plus aucun lendemain !!»). Son chant mélodique est également en grand progrès, on sent que l'expérience Vicki Vale lui a énormément servi... et lui a permis d'évacuer pas mal de thèmes, ce qui est une bonne chose.
Car ô joie, les textes de Thomas sont beaucoup moins tartes sur cet album que sur les précédents. La rage qui sous-tend la majorité des compos est neaucoup plus repésentée que ses sempiternelles variations sur le thème des relations humaines douloureuses. On n'y échappe malheureusement pas complètement : il reste la très calme "Vivre à nouveau", pensée pour être poignante mais surtout pénible... mais le reste des compos traite beaucoup plus des choses qui le fâchent que de celles qui le rendent malheureux, et c'est ce qui lui convient le mieux. Toutes les chansons up-tempo de cet album se hissent sans problème au statut de gros tubes de métal truffé d'ambiances, les moments les plus faibles étant les quelques plans où AqMe sonne exactement comme avant. Les riffs directs de "Noël Noir" pourraient être issus d'une compo de La Fin des Temps, et se révèlent beaucoup moins intéressants que tous ceux où Julien laisse sa personnalité s'exprimer franchement. Idem pour Étienne qui se révèle beaucoup plus percutant quand il laisse parler la double pédale que quand il retombe dans les mid-tempos que le groupe nous a déjà servis cent fois. Le point d'orgue reste néanmoins "Le Chaos", compo-fleuve de plus de six minutes où le groupe nous assène une violence et une lourdeur doom lancinantes au possible. Un grand moment.
En l'Honneur de Jupiter est l'album qu'on n'attendait pas de la part d'AqME. L'aptitude du groupe à laisser leur nouveau membre prendre toute la place qu'il mérite est plus que respectable, et les quelques scories ne suffisent pas à entamer l'impression générale de franche réussite. On aurait pu prendre peur, et au lieu de ça on a l'impression qu'une nouvelle ère s'ouvre pour le mieux. Chapeau, vraiment.