Et un vieux groupe de thrash sur le retour, un ! Mais pas n'importe lequel, puisqu'il s'agit de Believer, un groupe de thrash… chrétien ! Et oui, on peut très bien jouer une musique de bourrin et kiffer Jesus. L'original s'entend, pas celui des Inconnus. Pourtant, on ne m'enlèvera pas l'idée que des préceptes comme « Dis-moi Jesus, si on te frappe sur une joue, que fais-tu ? Je tends l'autre joue bien sûr… et j'en profite pour lui foutre un coup de boule dans les valseuses !», c'était déjà vachement plus thrash dans l'esprit…
Pour ceux qui ne connaissent pas Believer, et ils doivent être assez nombreux puisque le groupe n'a jamais réellement percé, commençons par planter le décor. À l'instar de la plupart des groupes de thrash apparus à la fin des années 80, Believer est apparu avec un gros bagage technique en poche, couplé avec une approche assez brutale du genre. Si les débuts (Extraction From Mortality) se situaient un peu dans la même veine que Sadus ou Coroner, Believer n'a pas tardé à creuser son propre sillon en ne cessant de complexifier son œuvre. Sur un plan musical d'abord, en se dirigeant vers des rivages toujours plus progressifs et mélodiques, via l'addition de voix de soprano ou d'instruments comme le violon, tout en conservant une base thrash ; sur un plan littéraire ensuite, avec des paroles de plus en plus fouillées, empreintes de philosophie et de spiritualité. Après ce break de 15 ans, on s'attendait à voir Believer reprendre son statut d'OVNI et poursuivre dans cette direction… sauf qu'à l'écoute de Gabriel, c'est loin d'être évident, et on a au contraire l'impression d'assister à un retour aux sources.
Comme tout bon album de Believer qui se respecte, Gabriel est une œuvre assez difficile à appréhender. Même si le propos semble moins travaillé, moins alambiqué que ce à quoi le groupe nous avait habitué, Believer a pris un malin plaisir à disséminer çà et là des bidouillages sonores à même de décourager les moins persévérants. Par exemple, se manger dès le premier titre plus d'une minute de bruitages de bonzes tibétains, c'est plutôt rude comme démarrage. Mais le plus gros facteur décourageant reste le chant de Kurt Bachman : le vocaliste a décidé de laisser traîner systématiquement la dernière syllabe de chaque ligne de chant. Le résultat, qui n'est pas sans rappeler le Destruction de Metal Discharge (surtout que son timbre est assez proche de celui de Schmier), s'avère extrêmement saoulant à la longue. D'autant plus qu'à aucun moment Bachman ne cherche à moduler son chant. Un peu sur les couplets de "The Brave"… Ah ben non, en fait, c'est Howard Jones, le gonze de Killswitch Engage, qui se charge de ces parties. Donc non, je maintiens, à aucun moment il n'essaie de varier un peu le propos. Et ça n'aurait pourtant pas été du luxe…
Après des premières écoutes empreintes de perplexité, Gabriel finit par dévoiler ses charmes. Believer sait toujours faire parler la poudre quand c'est nécessaire, des titres comme "Medwton", "The Need for Conflict" ou "Focused Lethality" sont là pour en témoigner. Believer sait toujours pondre des passages décalés de tout premier ordre, comme ce plan entre jazz et reggae qui orne "A Moment in Prime". Mais Believer donne aussi dans l'alimentaire avec des morceaux sur lesquels il ne se passe pas grand-chose, et ils sont malheureusement assez nombreux : "History of Decline", "Shut Out the Sun", "The Brave", tous sont plus ou moins à inscrire dans cette catégorie. Finalement, tout l'album est résumé dans "Nonsense Mediated Decay", le morceau instrumental placé à la fin du disque : le talent, avec ce plan d'intro tout simplement fabuleux ; le génie, qui permet à Beliver de tricoter, à partir d'une mélodie en ternaire type Bontempi, un riff de tout premier ordre ; et enfin le portnawak, avec ce passage en beatbox complètement improbable et ce final sans queue ni tête qui laisse une impression finale mitigée. Quel étrange album…
Comme ses grands frères, Gabriel s'adresse à un public averti, plutôt porté sur le côté technique et vaguement barré. L'étiquette thrash n'est pas usurpée, mais le contenu risque fort de désarçonner les amateurs de thrash classique, direct et sans fioritures. Reste la question principale : ce retour est-il réussi ? Joker : si on appréciera de voir enfin un peu de technique dans un album de thrash récent, et que le résultat final est plutôt pas mal, force est de constater que la patte Believer, celle qui faisait le côté unique du groupe, est un peu trop absente des débats. Dommage.