Chaque nouvel album de Lacrimosa est comme une invitation au voyage. Un voyage dont on connait finalement, à force, les paysages et les couleurs : ces tons sombres, mélancoliques, doux et rageurs à la fois, mais toujours élégants et raffinés. À l’image de leurs pochettes toutes en noir et blanc – même si pour la première fois, une édition spéciale avec de la couleur voit le jour avec cet album – Lacrimosa propose une musique faite de variations sur un thème défini il y a presque vingt ans par son maitre d’œuvre, Tilo Wolff : un savant mélange de recueillement, de douceur, de colère et de tristesse.
Sehnsucht ne déroge pas à cette règle et s’inscrit donc dans la continuité de Lichtgestalt, Echos, Fassade et Elodia, les derniers albums studio de Lacrimosa. Autant dire que la recette, appliquée une fois de plus, ne changera rien à l’image de Lacrimosa, que ça soit auprès de ses fans qui – très probablement – continueront d’aimer, qu’auprès de ses détracteurs qui eux aussi, continueront assurément d’ignorer voire de se moquer de Lacrimosa. Sehnsucht propose donc ce panel d’ambiances qui fait tout le sel de Lacrimosa, oscillant entre des ballades doucereuses, naïves et touchantes ("Call Me With the Voice of Love", "A Prayer for Your Heart"), des titres plus dansants et rock ("Mandira Nabula", "I Lost My Star in Krasnodar", "Feuer") et des morceaux plus grandioses et souvent plus sombres ("A.u.S", "Die Taube", "Koma", "Die Sehnsucht in Mir"). Ces derniers, souvent les plus ambitieux, restent profondément ancrés dans une approche musicale classico-romantique aux puissants relents de Mozart, avec force pianos et violons.
Certes, cette fois-ci, Tilo ne va pas aussi loin qu'il y a quelques années, quand il poussait les orchestrations vraiment profondément avec des plages aux longues introductions totalement orchestrales (comme le "Kyrie" de Echos, ou encore le "Sanctus" de Elodia), et en vient souvent de façon plus directe au propos de chaque titre. De ce fait, aucun morceau n’excède les huit minutes pour la première fois depuis neuf ans chez Lacrimosa. Ce côté plus direct se traduit par une approche globalement un petit peu plus rock et moins classique orchestral qu’auparavant. Pour autant, les orchestrations ne sont pas en reste, comme sur "Feuer" et ses chœurs d’enfants, les cuivres puissants de "Koma" et les instruments à vent sur le déchirant "Die Sehnsucht in Mir". La face métal de Lacrimosa est comme toujours totalement intégrée au canevas de chaque morceau. Guitares et orchestres continuent de se mélanger, mêlant leurs textures dans la plus pure tradition du métal symphonique.
Mais ici, l’esprit gothique domine l’ensemble pour ne pas tomber dans une surenchère d’héroïsme et de niaiserie hollywoodienne. Lacrimosa, qui garde comme fil conducteur thématique l’amour sous toutes ses formes, reste un groupe exaltant la mélancolie de manière douce et insidieuse, à l’image de la voix d’Anne qui une fois de plus parvient à contraster efficacement avec le chant grandiloquent et théâtral de Tilo, comme sur "Die Tote Winkel" ou "Call Me With the Voice of Love". Malgré toutes ses qualités, Sehnsucht reste un poil inférieur aux grands classiques du groupe tels qu’Elodia et Echos, peut-être en partie parce qu’il lui manque un titre phare, d’envergure, comme Tilo sait si bien les écrire. Malgré tout, Sehnsucht reste un album généreux, avec une bonne heure de musique au compteur et des ambiances formant un élégant camaïeu de douceur et de tristesse auquel certains ne resteront surement pas insensibles.
L’identité tellement forte et affirmée du groupe continuera de diviser les auditeurs. Tilo ne trahit personne avec Sehnsucht, qui s’inscrit dans la droite ligne des précédents opus, sans rougir une seconde de ne pas renouveler d’une manière ou d’une autre sa recette. Lacrimosa reste donc sans bouger dans le paysage musical gothique symphonique, pour le plus grand bonheur de ses fans qui se jetteront sans aucun doute sur cette nouvelle offrande de qualité.