Vous vous souvenez du film incroyable de Marco Ferreri, La Grande Bouffe? Hé bien, ce qui est d'autant plus incroyable, c'est que la comparaison de ce film avec le disque que je chronique ici reflète tellement bien Time Like Vines ! Les Norvégiens de She Said Destroy, en plus d'avoir un nom digne d'un groupe de metalcore, ont inventé, et ce n'est pas un vain mot, rien de moins qu'une gigantesque partouze musicale, opulente, débordante, décadente et surtout volontairement anti-conformiste: Time Like Vines est un disque - tenez-vous bien, c'est long et fastidieux, mais je ne suis pas un as du rangement musical - d'extremenoisepostjazzdeathblackcore. Oui, je sais, c'est un peu fou... Mais cet album est tout à la fois.
Il faut dire qu'on ne me l'avait pas encore faite, celle-là. Les gens de Candlelight Records sont réputés pour leur grand sens de la signature de groupes margesques, mais là, je crois qu'ils tiennent le bon bout, le zénith de leur carrière de label avec ces Norvégiens fous (doit-on désormais pléonasmer ces deux termes?). Mélange des genres extrêmement difficile à cerner, Time Like Vines mérite que l'on s'y attarde beaucoup plus que la première écoute, déconcertante, ne le laisse supposer. A la rigueur, il faudrait même une notice explicative livrée avec le disque, dont il sera à l'évidence difficile de parler en termes objectifs.
Bon, Candlelight ne nous a pas facilité la tâche, avec ses disques promos découpés en quatre-vingt-dix-neuf pistes (!) pour éviter la méchante piraterie (bouh!) et la difficulté, d'ordinaire assez surmontable, monte ici d'un cran. Une botte de foin n'y retrouverait pas ses aiguilles! Pour synthétiser vite fait, Time Like Vines, c'est un peu comme si The Dillinger Escape Plan (période Calculating Infinity), plus abrasif que jamais, rencontrait Cult Of Luna, plus core que jamais, au coin d'une rue en se disant: "Tiens, si on jouait du Mastodon à la sauce black, mais avec nos influences?" Je ne sais pas si c'est bien clair avec ça, mais le délire extrême/technique très sérieux (de ce fait, on est assez loin de Mike Patton) éprouvé par d'autres groupes auparavant, trouve ici une nouvelle résonance, toute norvégienne. L'incroyable titre d'ouverture ("Armageddon, Anyone?"), les morceaux "Der Untergeher" ou encore "Shapeshifter" s'abreuvent de cette influence black-metal (riffs rapides et incisifs, blast-beats typiques), le chant renforce le sentiment d'urgence (dans le registre guttural/criard, on a rarement fait plus lourd) là où le morceau décolle dans des envolées lyriques de guitare que n'aurait pas renié Isis ("Time Like Vines"): tout est contradiction, surprise et étonnement.
Après quelques écoutes (et elles sont nécessaires, croyez-moi!), on ne s'étonne plus de trouver des plans purement black aux côtés de parties typiquement postcore, des rythmiques death avec des guitares noisy, etc et de même trouver une réelle cohérence dans la construction, malgré le monstrueux changement de style opéré toutes les trente secondes (bon, je grossis légèrement le trait, mais c'est à peu près ça). Cependant, She Said Destroy, devant l'effervescence des genres qu'il fait s'accoupler dans la joie et surtout la mauvaise humeur (l'ambiance est lourde, blafarde et pâteuse), n'en oublie pas la mélodie. La technique est monstrueuse (mention spéciale au batteur cyclothymique) et si parfois le groupe norvégien insiste un peu trop sur les mesures arythmiques, on se surprend à retenir, une fois l'aspect "explosé" de l'album digéré (ou rejeté, c'est selon), des passages furieusement groovy et inspirés.
Bref, Time Like Vines est une sortie à l'aura éléphantesque, qui se regarde parfois un peu trop jouer - ce qui plaira ou non, mais qui possède une personnalité très originale et une énergie incroyable. Un groupe à surveiller de très près, d'autant plus qu'il s'agit d'un premier album. Candlelight, très aventureux sur ce coup-là, a décidément le coup de stylo bien inspiré pour trouver des groupes prometteurs.