Bien que dans la place depuis la fin des années 90, ce n’est qu’avec cet album que l’ex-batteur de Kyuss (et de Fu Manchu) se retrouve au centre d’une modeste attention, qui va et qui vient régulièrement tous les deux ans, environ. Même s’il est aux commandes du groupe, cet album est composé avec les Bros qui l’épaulent sur ce Somera Sòl. Naturellement, pas de profonde remise en cause depuis Jalamanta, son premier effort, mais c’est cette façon de persister qui suscite le kiff.
Brant Bjork, c'est l’homme à la carrière à la fois si culte et prolifique qu'il doit être dans le top ten des personnalités underground décrites à l’aide de périphrases peu inventives retraçant son impressionnant CV. Cette chronique ne dérogera pas à cette règle, car tout comme Brant Bjork, je ne changerais pas d’un poil de cul les ingrédients d’une recette qui fonctionne depuis des années tout en essayant d’être le plus « cool » possible (domaine dans lequel il excelle). Cependant, les ingrédients précités concernant celui qui nous intéresse ici, tout le monde ne les connaît peut-être pas, alors autant les énumérer.
Déjà, on s’entoure de potes, comme Alfredo Hernandez (batteur de Yawning Man, Kyuss et QOTSA 1.0), Dylan Roche, un fidèle bassiste l’accompagnant depuis quelques années, Mario Lalli maître spirituel pour faire quelques featuring qui vont bien, et ça peut commencer à prendre forme. Bien sûr, avoir tété du rock psychédélique et gras (Hendrix et Black Sabbath en tête), du funk (Sly Stone, Funkadelic entre autres), du dub, du punk, de la soul et compagnie depuis tout petit aide largement. À partir de cela, une certaine humilité aide à prendre conscience qu’on n'invente rien, voir même qu’on est en quelque sorte limité techniquement (tout est relatif, bien sûr) et donc à s’orienter vers une musique décomplexée, rythmique et spontanée, faite d’une certaine matière souple qu’on a tendance à appeler le « groove ».
L’avantage de ce parti pris, c’est qu’il permet d’articuler la dite musique autour de gimmicks très répétitifs sans lasser l’auditeur. L'ex-batteur de Kyuss a bien compris le truc, et c’est pourquoi il est « Mister Cool » depuis dix ans maintenant. Somera Sòl transpire le groove désertique comme tous ses prédécesseurs, mais gagne peut-être en concision. Alors que son aîné Saved By Magic s’étalait sur deux disques, les Bros se concentrent sur dix chansons, tout à fait directes, tout à fait trippantes et parfaitement raccords avec la pochette, qui nous promet chaleur, simplicité et efficacité. Malgré la thématique stoner et poussiéreuse qu’on devine assez facilement, la variété des ambiances peut surprendre, de même que l’attention particulière apportée à une production roots mais puissante qui sait s’imposer sans saturer l’auditeur d’overdubs inutiles.
Ainsi donc, l’ensoleillement d’un tube comme “Turn Yourself On”, qui avec son riff gras et dynamique (aidé par une batterie non moins grasse et dynamique) évoque des espaces sableux bien plus réjouissants que l’ambiance poisseuse d’un titre comme “Chinarosa”, authentique « mauvais voyage » hypnotisant au beau milieu du Viêt-Nam, se passant du moindre crunch sur la plupart du morceau. Au sein du cadre rock qui domine tout l’album, on passe d’un groove obsédant et latino (“Shrine Communication”), au heavy lounge accompagné de flûtiaux du plus bel effet (“Lion Wings”) en passant par le bulldozer stoner-punk comme “Ultimate Kickback” et “Oblivion”. A mesure que le disque progresse, la chaleur écrasante s’estompe et la luminosité diminue. A l’image de sa pochette ornée d'un soleil rougeoyant, Somera Sòl est un album estival, qui fait la jonction entre le jour et la nuit, parfait pour les couchers de soleil, les petits matins brumeux ou les descentes d’acide.
Sur nombre d’albums, Brant Bjork a poli son art de stoner californien, cherchant l’équilibre parfait entre groove et lourdeur, high et stone, low bro et punk nerveux. Sur Somera Sòl, on peut dire qu’il l’a trouvé. Probablement le meilleur album pour appréhender son œuvre (qui ne prend pas des risques énormes de toutes manières, hein, il faut le savoir) et excellent album tout court, surprenant toujours agréablement les gens qui ne connaissent rien du bonhomme.