Les shredders sont vraiment des gens bien à plaindre. Qu’ils soient amateurs ou pratiquants, ils semblent condamnés à une vie sociale désastreuse, une solitude de tous les instants, et devront leur vie durant encaisser quolibets, moqueries et jets de cailloux de la part des autres amateurs de musique qui ne ratent pas une occasion pour rire grassement d’eux. Ces pauvres hères – dont votre serviteur fait partie – tâchent malgré tout de hurler leur sentiment d’injustice à la face du monde, de se défendre et de convaincre leur entourage que le shred, ça peut aussi être bien… puis arrive Pierre-Marie E. Reverdy.
Vous croyez peut-être que je parle d’un sauveur qui, avec son shred ultime, va enfin donner ses lettres de noblesse au genre, faire taire les médisants et les vilains et ainsi réhabiliter toute une frange – avec souvent des franges, justement – des amateurs de guitare ? Eh bien non, c’est tout l’inverse. Pierre-Marie E. Reverdy et sa première offrande en solo, Illuvatar, donne plutôt envie de plier l’échine, d’encaisser les coups de bâtons et les humiliations et de se dire, accompagné d’un soupir résigné, « finalement, on le mérite bien ». Eh oui, c’est avec ce genre d’œuvre totalement absconse, inécoutable sérieusement et beaucoup trop avant-gardiste – tellement en avant qu’il va encore falloir une évolution de 5 ou 6 millénaires avant que l’Homme ne soit prêt pour Illuvatar – que l’amateur de shred se retrouve caricaturé tel le g33k, vivant dans un monde de triples croches, d’arpèges et d’onanisme guitaristique.
Illuvatar, qu’est ce que c’est ? Eh bien même après plusieurs écoutes, la réponse ne peut être qu’un « euuuuh » vaguement bovin tant l’incompréhension est grande devant cet OVNI (à peine) musical. Imaginez : en accompagnement, des percussions orchestrales imitant à la perfection le rendu sonore de la Game Gear, des nappes de synthés vaguement new age et d’un mauvais goût total, saupoudrées de narrations en fond sonore composées de gargouillis et de pseudo-grosses voix théâtrales qui apparaissent en dépit de toute approche musicale. Et là dessus, ajoutez une guitare au son strident comme tout, sans aucun vibrato, qui enchaîne des plans imbitables en octuples croches, tapping et sweeping apportant un déluge de note dont l’absence de sens est si flagrant qu’il inspirerait certainement un philosophe sceptique. Vous ne parvenez pas à vous faire une idée de la chose après cette description ? C’est normal : l’imagination a ses limites.
Pierre-Marie E. Reverdy, guitariste qui officie aussi dans un groupe de death (Lex Talionis), a choisi de faire connaître au monde son partenariat avec les étranges instruments Starr - dont vous avez un aperçu sur le côté droit de la pochette -, sortes de mix entre guitare et synthé qui, bien utilisés, peuvent parvenir à imiter le piano, l’accordéon ou tout autre sonorité plus synthétique. Ici, la chose en question n’imite que la guitare, et mal. Difficile de dire quand Pierre-Marie utilise une six-cordes traditionnelle, et quand il utilise la Ztar. Dans tous les cas, ça ne change pas la donne : la musicalité reste la grande absente de cet essai. Alors bien sur, tout guitariste pourra être impressionné par la virtuosité dont fait preuve Pierre-Marie, mais une peinture repoussante peinte avec talent reste repoussante. Et c’est peu dire que cet Illuvatar, sous ses dehors expérimentaux, est difficile à simplement écouter. Les mélodies sont quasi-inexistantes, et l’oreille constamment agressée par le son déplorable de la guitare et des percussions.
Pas vraiment la peine d’en dire plus : ce disque n’est à conseiller qu’à un seul type de personne, ces espèces de procureurs sadiques qui prennent à cœur de dépeindre le monde du shred comme une source de perversité mal assumée. Ils trouveront avec Illuvatar un argument de poids dans leur plaidoirie, dont la simple mention ne pourra que réduire le pauvre avocat-shredder à une chose gargouillante et lamentable, supportant sur ses épaules le poids de sa croix, déjà bien alourdie par les fréquentes apparitions de Farreri et autres Cooley. Pauvres de nous.