Caldera -
Mist Through Your Consciousness
Si je devais un jour décrire les mécanismes obscurs qui me guident lors de l’achat de biens culturels, quels qu’ils soient, je parlerai volontiers de slips. Oui, de slips. Car mes pulsions dépensières obéissent à un schéma double rappelant sans conteste la structure même de nos sympathiques compagnons en coton. Il y a une face lumineuse et admirable – lorsque mes choix sont dictés par des motivations purement rationnelles par exemple – et il y a une face sombre et puante, qui m’a poussée dernièrement à acquérir un album de Caldera juste parce que la pochette me rappelait le fendard Cajun Hell d’Exodus. Ce qui est consternant.
Au moment où j’ai saisi cet album dans le rayon, je ne connaissais ni son géniteur – le groupe Caldera, originaire de Nancy – ni le genre dans lequel il prétend officier : le post-doom instrumental. Le lecteur avisé peut dès lors se demander quelles raisons me poussent à en parler aujourd’hui, et surtout quelle légitimité j’ai de le faire. Pour les raisons, c’est simple : cet album ne bénéficiant pas d’une promotion à la Cavalera Conspiracy (malgré un intérêt bien supérieur, toutes proportions gardées), je trouve ça normal de lui faire un peu de pub avant qu’il ne disparaisse dans le flot irrésistible et continu des nouveautés métal. Pour la légitimité … bah je n’en ai aucune. Mais je peux compenser en m’attardant longuement sur les émotions qui ont étreint mon cœur de thrasheux à l’écoute de ce Mist Through Your Consciousness. Ça vaut ce que ça vaut, je suis bien d’accord, mais à ce prix là vous ne trouverez pas mieux.
Cela dit, avant de parler sentiments, on va tâcher de comprendre ce qu’est la musique de Caldera. Comme je l’ai dit plus haut, le groupe a déclaré haut et fort qu’il jouait du post-doom instrumental. Le «post», moi, ça m’évoque juste un endroit jaune et bleu où j’ai perdu bien trop d’heures de ma vie. Je passe, donc. Le terme «doom» est beaucoup plus parlant, mais il ne faut pas y associer une quelconque démarche sabbathienne (ou inspirée par l’un de ses héritiers). A la limite, on peut penser à Earth pour le travail fait sur les basses (et le minimalisme, parfois), ou aux post-rockers de Pelican pour le rendu très ambiancé. En fin de compte, l’appellation «doom» rappelle surtout l’étouffante pesanteur de l’ensemble, très bien illustrée d’ailleurs par le bois glauque figurant sur la pochette de l’album. Reste enfin la mention «instrumental», qui se suffit à elle même. Il n’y a pas de chanteur dans Caldera, et cela expose de façon surprenante les 4 instrumentistes à nos oreilles exigeantes. Il y a une sorte de "nudité", de proximité que l’on perçoit immédiatement et qui interpellera, j’en suis sûr, tous ceux qui n’ont pas l’habitude de suivre des groupes évoluant dans ce format.
Le premier titre, "Coast Redwood", est une sacrée réussite. Passionnant de bout en bout, il nous fait tranquillement entrer dans l’univers de Caldera par son accroche métallique (facile à appréhender pour un néophyte comme moi) qui s’estompe progressivement au profit de plans hypnotiques, combinaison d’une session rythmique pleine, dense (quel son de basse !) et d’arpèges aériennes bourrées de feeling. Tout cela évolue sans cesse, accélérant, s’amplifiant, se gonflant d’une puissance sereine et maîtrisée jusqu’à la conclusion. Ecouté au casque chez mon dealer habituel, je peux vous dire que ce "Coast Redwood" a très largement contribué – en plus du rapport au "Cajun Hell" dont je parlais dans l’intro (hahem) – à faire sortir mon portefeuille du blouson. La suite offre de nouvelles perspectives. Plus sombre, "Juniper" sonne par moment comme du Muse (c’est très subtil, attention), surtout quand la batterie s’associe aux phrasés descendants de la guitare. Ce titre offre une belle succession de passages prenants – quoique moins variés – où les différents instruments s’attachent à produire ensemble une atmosphère dont la noirceur et l’opacité deviennent vite oppressants.
C’est d’ailleurs ce genre d’atmosphère, véhiculé par l’opposition continue entre la session rythmique – lourde, pesante, omniprésente – et les passages lead qui paraissent si fragiles parfois, qui constitue la vraie richesse de ce Mist Through Your Consciousness. De morceaux en morceaux, on bascule sans cesse d’une ambiance sombre (ou mélancolique, ou solennelle) à une autre, au gré des élans de saturation des guitares que viennent aérer des passages plus calmes, évoquant tantôt le coucher du soleil au bord d’un lac, tantôt l’aube dardant ses rayons sur un paysage sans nuages. Cela est surtout vrai pour la deuxième partie de l’album, qui regroupe les morceaux les plus contemplatifs, à l’instar de "White Pine", de "Larch" ou du saisissant "Dawn Redwood". Ce dernier ne manquera pas de vous rappeler, par sa lourdeur et par la noirceur qu’il diffuse, la musique de Neurosis, le chant torturé en moins bien évidemment. Je pense qu’il y a pire comme comparaison.
Pour un premier essai, Caldera vient de sortir avec ce Mist Through Your Consciousness un album intelligent, plein de nuances et de subtilité, qui devrait ravir tous les amateurs d’œuvres ambiancées laissant libre cours au ressenti et à l’émotion. Sa production étant de plus vraiment remarquable, je ne vois aucune raison de ne pas lui donner sa chance. Moi, j’attends la suite avec impatience.