« Scientia potentia est » ou, dans le cas qui nous intéresse, « comment expliquer le plus simplement du monde une transmutation invraisemblable ». Loin des histoires de déchirements de couples pour des questions ménagères, Hexvessel a, jusqu’en 2020, officié dans un registre étranger aux choses du metal. Au programme : du folk, du rock, de l’art-rock un peu psyché même, le temps d’un époustouflant When We Are Death sorti en 2016. Les gars savaient donner un certain mysticisme et une certaine lourdeur à leur musique mais, vu de l’extérieur, leur transformation en groupe de black-doom n’a qu’une explication possible…
Le COVID. Oui. Bien sûr. 5G. Nous sachions. Une séquelle à long terme aussi étrange que rarissime. Une blackdoomisation des mœurs. Curieux. Trop alambiquée, comme théorie. Alors qu’il suffit de savoir qui est à bord de cet étrange vaisseau plus ou moins finlandais pour connaître le fin mot de l’histoire. Tous les membres de Hexvessel ont ou ont eu maille à partir avec le metal lors de leur carrière artistique, en premier lieu Mat Kvohst McNerney. Le chanteur du quartet a en effet prêté par le passé son organe vocal à
Dødheismgard - ni plus ni moins ! - et à
Code. En outre, il sait ce que le mot éclectisme veut dire - tout au moins «
eclectism » et «
eklektiikkaa » - puisqu’il chante actuellement chez Grave Pleasures. Tout s’explique, n’est-ce pas ? D’une part, l’on comprend mieux cette subite affinité pour le metal, qui, en fait, n’a rien de subite. D’autre part, l’on saisit également que les gars ne vont pas nous proposer du metal commun, black ou pas black. On oublie donc les
Behemoth,
Regarde Les Hommes Tomber et autres groupes actuellement prisés. Avec ce fascinant
Polar Veil, Hexvessel privilégie l’ambiance à la baston - et divise par mille le nombre de fans potentiels. Une ambiance lugubre, malsaine, poétique et hautement hypnotique, à la manière d’un
Nubivagant ou d’un
Urfaust apaisé.
Au programme, des riffs répétés à l’envi, accompagnés de temps à autre par des nappes de claviers envoûtantes. Le but : nous faire ressentir la magie du froid, de la nuit, de la nature et de l’inéluctable fin de toute chose. Autre atout, et de taille, le chant lyrique mais relativement sobre du maître de cérémonie Mathew, qui utilise un registre assez différent de celui employé pour soutenir les mélodies post-punk de Grave Pleasures. Plus ampoulé, plus théâtral, mais pas trop. Mathew possède le sens du dosage. Nous ne nous trouvons pas à l’Olympia mais quelque part près d’une cabane dans le Montana -telles des versions pacifiques d'Unabomber - à écrire des lettres. Avec ces accords glaciaux plaqués sereinement, ce halo pas plus chaud entourant la voix du frontman et ce refrain accrocheur, "A Cabin in Montana" constitue l’un des meilleurs moments d’un album qui n’en manque pas. "Listen to the River", et sa mélodie fantomatique, flippante et inattendue, surgissant au milieu du titre et "Crepuscular Creatures", plus doom, plus dissonant, mais tout aussi prenant, complètent ce brelan d’as, mais l’ensemble de l’album vaut le coup. Il serait même périlleux d’aller écouter directement ces titres sans avoir commencé par le début, histoire de se laisser prendre par l’atmosphère unique émanant de cet OVNI. Et puis, voyez-vous : cette œuvre est un rituel d’invocation, à n’en point douter, et ne pas le respecter pourrait vous conduire à faire des rencontres désagréables. Très désagréables. À bon entendeur, salut…
Polar Veil marque un tournant dans la carrière d’Hexvessel. Un virage en forme d’épingle même. Mais étant donné le pedigree de ses membres, la formation finlandaise a-t-elle réellement pris un risque ? Ou tout était-il déjà écrit dans le Grand Livre ? Indépendamment des considérations métaphysiques qui, inévitablement, se bousculent dans notre tête à l’écoute d’une telle œuvre, je vous conseille de découvrir ces paysages musicaux froids, magnifiques, magiques. Du black atmo de très grande qualité.