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La Peur qui rôde... Des lignes si familières désormais. On pourrait se lasser, me direz-vous, de ces innombrables artistes qui puisent inspiration dans ces œuvres amplement éprouvées. Mais il semble que certaines littératures n'en ont pas fini d'exprimer tout leur jus noir à travers les sentes sinueuses de la musique. Et toujours, on se surprend à se laisser emporter si aisément. Plonger, à chaque nouvelle occurrence. Pour se gorger d'impressions renouvelées avec une étrange forme de nostalgie. Gageons que ces heures hivernales sont fort propices à ouvrir les bras aux ensorceleuses mélopées noires, et que la nouvelle occurrence dont je parle est adroitement conduite.
Death Has Spoken a signé sa passe d'armes en 2017 avec Fade, qui constituerait l'accompagnement choisi pour une immersion dans les écrits d'un certain Edgard Alan Poe, et pose sans embarras la question : la Mort est-elle la fin ou le commencement ? S'en suit un split avec les groupes Sun No More et Tankograd en 2020 sous le nom de Unyielding. Quelques années plus tard, une suite est offerte à l'initial propos, portant l'éloquent nom de Call of the Abyss. Une occurrence logique pour qui appréciera de passer de Poe à quelque signature de Lovecraft. Ne pas s'y tromper cependant, car le verbe reste libre de sa source d'inspiration. Convenons que l'ensemble plaira aux férus d'atmosphères rampantes, inquiétantes, où l'esprit se laisse aisément corrompre par sa propre appétence pour les ombres. Un voyage ténébreux, où les musiciens ont pris soin d'affiner leurs compositions et leur histoire.
Emportés sur les flots d'un Styx - à l'image de cette âme allongée serrant son bouquet de roses et dont on ne sait si les yeux sont véritablement clos ou seulement figés par l'abandon - on laisse ces esprits blancs jaillir des eaux et nous rejoindre. Et ils nous conduisent plutôt qu'ils nous assaillent. Call Of The Abyss, fort justement nommé, est en effet appel à l'immersion plus qu'attaque frontale. Les guitares s'illustrent en son sein, qui en riffings amers et séduisants, qui en envolées plaintives mais jamais sournoises. La voix se pose, délivrant son désenchantement progressif, avec toute la justesse attendue. Les emprunts black ne préjugent aucunement ici d'une sécheresse ou d'une brutalité dans le jeu ou le chant, mais seulement d'une nappe de froideur qui vient s'enrouler autour de nous - oserai-je dire - avec onctuosité par instants, plus tranchante et glaçante en d'autres, pour nous conduire, en conscience, dans les profondeurs d'une fatalité résignée.
Le titre éponyme s'ouvre ainsi sur la vision d'un ciel d'orage et aussitôt, déploie sur nous cette nappe de tristesse épaisse et rampante qui nous accompagnera tout du long du périple. "Lurking Fear "montera le ton, non dans la véhémence, mais dans la gravité, dépeignant une note plus appuyée d'angoisse, d'indicibles frayeurs se glissant dans le verbe et les replis d'une instrumentation éloquente. Les riffs se font plus étouffants, et en contraste, la lead farouche se détache avec plus de brillance, opposant un assaut de folie douloureuse au visage grimaçant de la peur. Mais cette chose rampe, se perche au dessus de nous et nous happe, sans nous laisser aucun espoir de fuite.
"Woe" crée un instant d'illusion, tel un ciel qui se déchire, mais ce n'est bien qu'illusion. « Forbidden secrets, and unhuman land, where life and joy, died long time ago », nous murmure-t-on. Et de le comprendre et de l'accepter. Le paysage se dessine véritablement et nous voit, pantins hallucinés, progressant sur son sol humide de forêt obscure, des harmonies lancinantes nous balayant le visage. Mais l’océan est tout proche, on le devine, il nous menace de ces vagues de montées en puissance. "Wilderness" alors, telle une bande de sable sur laquelle nous venons échouer, le corps glacé par cette rafale de vent qui souffle son indifférence sur nous, le cœur serré d'une tendre et poignante nostalgie, tragique salve acoustique, avant d'entrer pleinement dans les eaux profondes.
Puis le lent tourment de "Crawling to the Tomb". La flamme soufflée, le démon qui gratte à la porte de l'esprit, le rêve vaincu. Lent et implacable dans sa rythmique, abyssal dans son chant et tragique dans son ultime mélopée, il est descente inexorable. Reste à cueillir la fleur de la vacuité. A belles mains. Le désenchantement inexorable. Une conscience plaquée froidement et méthodiquement sur nous, juste avant avant de franchir l’ultime seuil; celui de la résignation. "Under the Flame", le paradoxe d'un brasier devenu doux et salvateur, qui vient étrangler peurs et douleurs dans une ultime harmonie tragique.
Aussi bien minéral, aquatique que tellurique, Death Has Spoken mène sa barque onirique à travers des passes qui nous sont bel et bien familières, certes, mais il la mène avec habileté. Il n'est pas difficile de se laisser gagner par le noir plaisir de redécouvrir ces paysages familiers, ces sentes et ces glissements de l'âme en compagnie de ces compagnons de Charon.
The Lurking Fear.. Such familiar lines by now. One could get tired of the countless artists who draw inspiration from these tried and tested works. But it seems that some literature has not finished expressing all its dark juice through the sinuous paths of music. One is still amazed to be carried away so easily with each new release. To gorge oneself with renewed impressions and a strange form of nostalgia. In these winter hours we are more likely to open arms to the bewitching black melodies and this new release is skilfully conducted.
Death Has Spoken's 2017 breakthrough was Fade, released in 2017 and which could be the perfect accompaniment to an immersion in the writings of Edgard Alan Poe. It unashamedly raises a critical question: « is Death the end or the beginning? » Then followed a split with Sun No More and Tankograd in 2020 named Unyielding. A few years later, a sequel is offered to the initial proposal, eloquently named Call of the Abyss. A consistant and logical release for those who enjoy switching from Poe to some Lovecraft signature. But don't be mistaken, because the language remains free of its source of inspiration. Let's agree on the fact it will certainly please the fervent of creepy, disquieting atmospheres, where the mind is easily corrupted by its own appetite for shadows. A dark journey, where the musicians carefully fintuned their compositions and their story.
Carried away on the waves of a Styx - like this lying soul clutching her bouquet of roses. Are her eyes truly closed? Or only frozen with abandon? - we let these white spirits rise from the waters and join us. And they lead us more than they assault us. Call Of The Abyss, aptly named, is indeed a call to immersion rather than a frontal attack. The guitars shine through, some in bitter and seductive riffings, some in plaintive but never devious flights of fancy. The voice settles down, delivering its progressive disenchantment, with all the expected accuracy. The black metal influences do not in any way prejudge a dryness or brutality in the playing or the singing, but only a layer of coldness that wraps itself around us - dare I say it - with unctuousness at times? Sharper and more chilling at others, to lead us, in conscience, into the depths of a resigned fatality.
The eponymous track opens with the vision of a stormy sky and immediately spreads this thick and creeping layer of sadness over us that will accompany us throughout the journey. "Lurking Fear" will raise the tone, not in vehemence, but in gravity, depicting a more intense note of anguish, unspeakable fears slipping into the words and curves of an eloquent instrumentation. The riffs become more suffocating, and in contrast, the fierce lead stands out with more brilliance, opposing an assault of painful madness to the grimacing face of fear. But something crawls, perches above us, and grabs us, leaving us no hope of escape.
"Woe" creates a fleeting illusion, like a sky being torn apart, but it is only an illusion. « Forbidden secrets, and a non-human land, where life and joy died long ago », one whispered. And to understand and accept it. The landscape really takes shape and sees us, hallucinated puppets, progressing on its damp dark forest floor, haunting harmonies sweeping across our faces. But the ocean is close, we feel it, it threatens us with waves of increasing power. Wilderness then, like a strip of sand on which we come to be stranded, our bodies frozen by this gust of wind that blows its indifference at us, our hearts squeezed by a tender and poignant nostalgia, a tragic acoustic salvo, before fully entering the deep waters.
Then the slow torment of "Carwling to the Tomb". The flame blown out, the demon scratching at the mind's door, the dream defeated. Slow and implacable in its rhythm, abysmal in its chant and tragic in its final melody, it is inexorable descent. All that remains is to pluck the flower of vacuity. With cupped hands. The inevitable disenchantment. A consciousness coldly and methodically plastered on us, just before crossing the ultimate threshold; that of resignation. "Under the Flame", the paradox of an inferno that has become sweet and saving, that comes to strangle fears and pains in a final tragic harmony.
As mineral as it is aquatic and telluric, Death Has Spoken leads its dreamy-like boat through passages that are indeed familiar to us, but skillfully led. It is not difficult to be won over by the dark pleasure of rediscovering these familiar landscapes, these paths and these glides of the soul in the company of Charon's partners.