Voici une chronique qui risque de marquer une forte dissidence dans les rangs de nos amis blackeux. Car non-content de venir d’Ukraine, pays émergent, et qui commence de plus en plus à faire son trou dans les rangs du metal, White Ward évolue dans un style assez avant-gardiste et plutôt insolite.
Mais ne gâchons pas la surprise tout de suite et tâchons de tourner un peu autour du pot auparavant pour faire monter la sauce comme il se doit. Tout d’abord, un groupe de black metal qui comporte le mot « white » dans son appellation, ça paraît assez étrange et cocasse au premier coup d’œil. Le groupe évoluant dans ce que l’on peut définir comme du post-black avant-gardiste, le choix de cette couleur n’est peut-être pas une usurpation. Les musiciens d’Odessa, plus grand port d’Ukraine, sont loin d’être des débutants en la matière puisque, entre leur début en 2012, et la sortie de ce premier album longue durée en mai 2017, ils avaient produit la bagatelle de deux EPs, deux démos, un split, un single et donc une compilation, réunissant un condensé du meilleur de leurs œuvres créées jusqu’à alors. Avant d’en arriver à ce style plutôt extravagant que le sextet pratique en 2017, celui-ci évoluait plutôt dans un registre apparenté au black dépressif, imprégné d’une atmosphère particulièrement envoûtante et mélancolique. Mais c’est avec l’arrivée d’un nouveau membre à part entière, en la personne d’Alexei Iskimzhi, pour l’élaboration de ce premier album, que la direction musicale de White Ward va prendre une autre tournure. Dès lors, deux visions opposées vont s’affronter face à ce Futility Report. Avec comme fruit de la discorde, un saxophone.
Les blackeux rigoristes crieront au scandale et à la calomnie, et vous diront que White Ward évolue dans un des genres le plus à la mode du moment, qu’on peut même qualifier de « mainstream », autant dire une infamie et une horreur dans le monde du black metal, censé être très restreint et réservé à une élite. Ils vous persuaderont également que la présence du saxophone est une aberration sans nom, dans un milieu où la formation classique chant/guitare/basse/batterie se veut reine et indéboulonnable. Après vous avoir orienté dans ce sens, ils argumenteront sur le fait que cet instrument exotique ne sert qu’à attirer les foules de curieux crachant sur le style principal à longueur d’année, mais jouant les voyeurs au moment où celui-ci se perd dans des chemins moins obscurs qu’il ne le veut. Ce seront indéniablement eux qui tenteront de vous mettre en tête que Dimmu Borgir, Bal Sagoth, Limbonic Art et Opera IX, ça n’a jamais été du black, et qu’Ulver, Ihsahn, Arcturus et Enslaved n’en sont plus depuis longtemps. D’ailleurs, ils en profiteront sûrement pour arguer le fait que le black metal, c’est l’obscurité ou rien, et donc que les passages teintés d’éclaircies, avec une atmosphère moins lourde qu’à l’accoutumée, ceux clairement plus orientés post- que black ici, n’ont rien à faire dans ce monde froid, intolérant, circonscrit et borné qu’est le noir metal.
A des parsecs de là, de leur côté, les blackeux progressistes crieront au génie et vous diront que ce Futility Report de quarante minutes, pour six chansons, est une des révélations de l’année. A commencer par le fait que le mélange entre les instruments classiques du black avec l’un des plus emblématiques du style jazz, c’est déjà suffisamment rare et osé pour être signalé. Ils appuieront bien sur le mot « rareté » et non le mot « innovation », car ils savent très bien qu’Ulver s’était déjà laissé aller à l’expérience de nombreuses années auparavant. Mais c’était déjà sur la période où il commençait à délaisser le black pour un genre plus expérimental. On peut donc dire qu’à ce niveau, mélanger du post-black et du jazz, c’est inouï. Mais ça marche ! Et fichtrement bien. Ils vous feront écouter en priorité l’ouverture à la fois enjouée et mélancolique, "Deviant Shapes" et son introduction mêlant ambiant et electro rappelant justement les Norvégiens, puis bifurqueront avec plaisir et délice vers le magnifique – mais court – interlude ambiant qu’est "Rain As Cure", avant de vous infliger le coup de grâce, avec la pure chanson de post-black "Black Silent Piers", aussi puissante en émotion qu’en intensité. Ils éviteront néanmoins de vous faire écouter la fin de l’album, se trouvant d’ailleurs sur la piste éponyme, qui pourrait sembler être entièrement calquée sur leurs ainés scandinaves. Mais peut-on réellement blâmer un groupe de s’être inspiré de ces monstres sacrés ? Ils finiront par vous dire qu’il ne sert à rien d’être trop pointilleux avec un premier essai, surtout quand il est réussi de la sorte, et qu’il y a de quoi être très optimiste pour la suite de leur carrière. Heureusement pour nos Ukrainiens, je partage clairement l’avis de ces derniers.
Trahison ou grand art ? Pour le label français Debemur Morti Productions (In The Woods…, Blut Aus Nord, Au Champ Des Morts), on connait la réponse. Mais dans le fond, seul toi, auditeur averti et affuté pourra réellement en décider. Certes, White Ward n’est pas le premier groupe de black à utiliser des éléments de jazz dans ses compositions, mais dans une période où la nouveauté se fait famélique et rachitique, on ne va pas tirer sur l’ambulance, surtout quand elle vient d’aussi loin et qu’elle casse les codes établis de cette manière.