Lueur... Le simple mot suffit à dessiner dans mon esprit un disque de lumière diaphane, cerclé d'obscurité. Nul ne peut se sentir plein et entier sans que ne se soit fait jour en lui cette évidence: la vie est intime alchimie de lumière et de ténèbres. Douleurs et sublimations faisant rage sans cesse au creux de l'esprit, non dans une lutte acharnée à perte, mais dans un ballet fou et infini, conduisant à terme à la révélation du sens des choses, infiniment petites ou éclatantes de grandeur. À cette heure, une musique s'élève, qui me semble chanter louanges à cette évidence.
Et cette musique, tourne, presque sans fin depuis l'heure de sa découverte, réellement, ou dans mon esprit lorsque je ne puis enclencher son émetteur. Je me bat alors contre les parasites auditifs qui pourraient entamer ma concentration, ne cherchant qu'à m'isoler pour ressentir totalement chaque parcelle de cette offrande. Je me sens submergée par sa grâce. Mais une crainte s'élève en moi : aurais-je les mots pour lui rendre justice ? Il me faut les trouver... Empusae... Le nom m'était inconnu jusqu'à ce qu'une publication saisie au petit bonheur la chance ne fasse lumière à son sujet et que je ne me mette en devoir de requérir ledit album auprès de mon accréditeur. Pourtant, le projet dit d'organic, ritual, electro-acoustic, ambient, doom, post industriel, soundtrack, dirigé par l'artiste belge Nicolas Van Meirhaeghe, n'est justement plus à l'état d'idée depuis bien longtemps. Lueur étant son dixième recueil, ni plus ni moins. Et compte tenu de la matière qui le compose, j'aurais raisonnablement dû m'y intéresser bien plus tôt. Pourtant, je le découvre aujourd'hui, avec le bonheur de celui qui s'émerveille d'une pépite d'or posée au seuil de sa porte par quelque main aussi bienveillante que mystérieuse. Car le terrain m'est familier mais il se fend de possibilités nouvelles et fantastiques, une aube dorée qui se lève sur mon univers musical. Nicolas Van Meirhaeghe, aka Sal-Ocin... c'est aussi Barst, cette injection géniale de narcotiques auditifs. Et Lueur, c'est aussi une voix, celle, hantée et obsédante, de Colin H Van Eeckhout. Il ne m'en fallait pas plus pour que je m'enferme dans ce monde qui m'ouvrait les bras. Mais plus encore, que je ne me grise – mot ridiculement faible - de sa distinction sans pareille.
Empusae... Y a-t-il un lien entre ce nom et celui d'un démon féminin, gardien des enfers, nommé Empousa ? Ou de ce phasme diablotin des prairies, Empuse ? Je n'en ai nulle idée. Mais la musique qui continue de s'élever depuis des jours dans mes écouteurs ou mon esprit, au point de jaillir à mes réveils successifs, pourrait avoir quelque chose de diabolique, dans la fascination qu'elle suscite en moi, dans sa manière de ne pas se laisser ourdir, ni de me laisser un quelconque répit, si elle n'était pas pourvue de quelque chose de bien plus élevé encore. Tellurique, elle l'est. Par ses pulsations essentielles, des frappes qui s'ancrent immédiatement en plein cœur. Mais elle se rapproche d'avantage d'un mysticisme chamanique plus que d'un appel issu des entrailles d'une terre brûlée de soufre. Elle me rappelle étrangement le dieu serpent, dans un autre genre. Tissée dans cette toile teintée de mystère qui rend impalpable tout ce qu'elle touche. Obsédante. Oui, elle l'est. Mais elle ne conduit pas à subir cette agression des musiques qui nous attaquent en surface, touchant nuques, reins ou plexus, et qui nous poussent à ré-appuyer sur play pour le plaisir de bouger ou de planer gentiment. Non. L'obsession qu'elle fait naître est plus profonde: nous gorger continuellement du flottement fantastique qu'elle conduit. Inquiétante, aussi. Car le ton enserre véritablement la poitrine, allant parfois jusqu'à la suffocation et pourtant, il ne se départit pas d'une sensation d'élévation. Charnelle. Enfin. Et surtout. Car elle pénètre. Coule dans les veines, inonde le corps entier, nourrit les cellules et propulse vers un ailleurs où la pensée diffère. Il n'est plus alors plus que l'onde. Cette onde pourtant simple de prime abord. Mais les deux titres qui la composent recèlent des trésors de réflexion, trahissant une maîtrise parfaite de la matière - savoir tirer le meilleur pour parvenir ainsi à captiver l'esprit ? Plus encore.
Du bruissement des feuilles. Des cliquetis étranges. D'un souffle. Puis d'un écho. Du ruissellement de l'eau. Du chant des oiseaux. Du mantra des claviers. De la touffeur des nappes. De l'impulsion de son pouls... Empusae me conduit progressivement à un état de rupture. À abandonner ce qui me cercle. Je marche dans la rue, mais en vérité, je fends une brume qui semble jouxter le monde réel et le sommeil paradoxal. Et lorsque la musique parvient a ce seuil, Cette voix, elle-même entre deux mondes, Cette parole élève l'ensemble à son paroxysme. Ou bien est-ce la musique qui la transcende ainsi ? Pour paraphraser le propos de certains: douleur cuisante et désir viscéral, intimement entremêlés, portant en leur sein un sentiment d'urgence foudroyant. Je ne peux que soutenir cette assertion, mais plus encore. Ce n'est pas "A mon Âme", ce n'est pas "Charon", ni "Rasa"... c'est tout ceci, autre chose, et plus encore. La voix de Colin H Van Eeckhout atteignant ici la perfection du genre, nourrissant la musique d'un sentiment proprement indescriptible, né de la délicate alchimie entre une frénésie incroyable et une quiétude totalement paradoxale, créant un sentiment de plénitude teinté de fébrilité, totalement à contre-courant. Mais je crois que les mots sont insuffisants. Il me semble, toute objectivité conservée, que ce chant a atteint le seuil du fantastique ici et maintenant, car il met en « mots » et en « notes » quelque chose qui ne pouvait l'être à mes yeux jusqu'à lors. Écrire sur le sujet de Lueur n'a que peu de valeur en vérité. Je vous enjoins à écouter, entendre, percevoir et saisir, mais vous préviens que ce voyage ne peut s'adresser qu'aux avertis du genre.
Il n'est nulle perfection en ce bas monde, y compris en matière musicale, mais à cette heure, je ne vois aucun défaut à cette superbe réalisation qui puise très loin l'émoi. Un jour peut être, changerai-je d'avis, lorsque moi-même, j'aurai découvert une clé supplémentaire. Je laisse donc simplement à nos talentueux musiciens la liberté de nous stupéfier encore, dans un proche avenir je l'espère.