Ça y est, mon élan de patriotisme a fini par prendre le dessus. . . Oui, je le confesse, je fais partie de cette frange très marginale des personnes de l'ethnie arabe qui écoute cette musique démoniaque. Et la présence de l'équipe du Maroc à la prochaine Coupe du Monde de football a achevé de me convaincre. Chroniquons donc un groupe marocain.
Le choix ne s’avérait certes pas très complexe a priori. D’une part car, à l’heure actuelle, des groupes marocains répertoriés, que ça soit sur Spirit of Metal ou Encyclopaedia Metallum, il y en a à peine plus d’une centaine, et d’autre part, car le choix d’un style en particulier n’allait pas poser d’énorme soucis non plus. Exit les styles extrêmes qui pullulent, et exit les formations à tendance core, qui veulent se mouler dans la tendance actuelle occidentale et qui sont donc dénués de toute originalité. Non, tant qu’à faire autant en profiter pour découvrir un pays et une culture grâce à son folklore local. Ce sont donc vers les groupes symphoniques, que l’on appelle également orientaux ou ethniques désormais, que je me suis tourné. Et là, les alternatives s’en sont vues réduites à deux. Tout d’abord, un groupe de Rabat, Analgesia, qui jouit d’une côté de popularité plutôt sympathique, notamment grâce à ses quatre albums sortis en moins d’une dizaine d’années. Et Dark Delirium, one-man band de Casablanca, très méconnu, mais qui mérite que l’on s’y attarde un peu plus. C’est chose faite avec cette chronique qui, espérons-le, lui permettra d’avoir un peu plus de reconnaissance et d’attirer les projecteurs sur lui.
Jamal Morjane, vingt-sept ans, casaoui de naissance, créateur et unique membre du groupe Dark Delirium, compte à son actif deux auto-productions, l’une du nom de Annihilation – celle qui nous intéresse aujourd’hui – sortie en 2014, l’autre s'intitulant Mediaeval Blood, et parue en 2015. Ces deux albums étant sensiblement structurés de la même façon, le choix s’est porté sur le premier, car il permet de mieux appréhender la musique entièrement instrumentale proposée par le Marocain. Attention tout de même, on reste sur des durées étonnamment courtes, quatre titres tournant autour des deux minutes. Et étrangement, le titre le plus long, "The Malevolent", est celui qui n’aurait pas dû l’être car répétitif et sans véritable énergie malgré ses accents folk. Absence de chanteur oblige, vous devrez donc vous concentrer sur tous les instruments présents, à commencer par la sainte trinité guitare/basse/batterie, bien qu’en raison du son médiocre de cette dernière, on soupçonne la présence d’une boite à rythme. Qu’importe, celle-ci ne partant pas dans des excès de débauche et d’énergie mais sert juste à assurer un minimum de rythme, pour du progressif tout de même, cela vous forcera à vous focaliser sur d’autres parties, comme celle du synthé, qui joue un rôle prépondérant dans la création d’une bulle orientale.
Malgré une qualité de production un peu grasse, cet Annihilation nous fournit une bonne louchée d’un metal progressif oriental que l’on entend beaucoup trop rarement. Et il est intéressant de noter que Morjane n’a pas voulu forcément mettre l’accent sur le côté marocain, mais plutôt sur le côté arabe. Écoutez "Nihilistic" et ses incartades égyptiennes pour vous en convaincre. Un relent de panarabisme ? Sûrement, mais comment lui en vouloir tant ces derniers se font discrets sur la scène internationale. Toutes les chansons étant dénuées de vocaux, il peut paraître difficile à première vue de les démêler les unes des autres. Pourtant, chacune possède sa petite touche personnelle. Si la première, "Annihilation", nous envoie quelques riffs saccadés, malgré une bonne dose mélodique, la seconde, "Barbarous", se montre un peu plus technique que la moyenne de l’album. "Shadows On Sand" est peut-être celle qui tire le mieux son épingle du jeu de par son énergie et sa rythmique plus poussées. Le Maroc n’échappe pas non plus à l’influence djent comme en attestent les incursions dans la doublette "Destruction" et "Facing The Unexpected", mais inutile de fuir, car Dark Delirium est surtout – et logiquement - influencé par le maître à jouer en la matière : Opeth (ancienne époque), que l’on retrouve fortement dans "Patronize" et à un moindre niveau, dans "The Forsaken".
Si vous en avez marre de la France et de son climat très aléatoire, procurez-vous ce disque pour vous donner une bouffée de soleil et de parfum oriental, avant peut-être de vous décider à partir au Maghreb. Jamal Morjane vous donne un joli échantillon d’un metal très marqué par le folk d’une culture, mais également fortement progressif. Il aurait peut-être été plus judicieux d’étirer quelque peu les chansons et d’étoffer un peu plus les structures pour que cela devienne réellement intéressant. A l’image du parcours des Marocains à chaque compétition internationale, le potentiel est là, mais n’est jamais exploité à son maximum. A bon entendeur.