Le tercet transnational revient parmi les vivants, près de trois ans après sa dernière sortie. Et au vu de la qualité que nous avait proposé The Man With No Face, il y a fort à parier que celui-ci suive la même voie. De toute façon, il n’y a qu’à voir la tracklist et la durée de l’album pour se faire ne serait-ce qu’une infime idée, et un début de réponse.
VLAN ! Soixante-dix-sept minutes et quinze chansons. C’est en substance de cette manière que l’on aborde Odyssey To The West. La bête étant sorti le 1er avril 2015, on pouvait penser à une bonne blague de leur part. D’autant plus que l’on restait sur un album de soixante-six minutes pour dix chansons, dont une de vingt minutes, on imaginait mal Slice The Cake pousser le vice encore plus loin. Et bien c’est pourtant ce qu’ils ont fait. Et encore, votre dévoué Djentleman a été clément et vous a épargné le préambule Odssey To The Gallows, sorti juste avant et introduisant en quelques sortes Odyssey To The West. Mais celui-ci étant très – trop – particulier, nous ne l’évoquerons qu’en surface, en disant que c’est une unique piste de vingt-huit minutes (un concours organisé avec Dream Theater peut-être ?), strictement composée des vocaux de Gareth Mason, celui-ci évoquant des propos résolument shakespeariens et bibliques, et de manipulations de samples de Jonas Johansson. Bref, cette branche occulte et ésotérique n’est pas nécessaire musicalement parlant, mais relativement intéressante si l’on veut comprendre l’ensemble de l’œuvre duologique que nous propose Slice The Cake en cette année. A vrai dire, on ne savait trop à quoi s’attendre jusqu’alors, car six mois après The Man With No Face, STC avait sorti une compilation intitulée judicieusement Other Slices, sur laquelle on retrouvait des compositions assez anciennes mais remasterisées, le tout résolument orienté deathcore plus classique. Bref, en une année, on avait eu le droit à un chef d’œuvre réfléchi, tourné vers l’expérimental et le progressif, puis un CD fait pour se défouler. Mais il faut mettre ce dernier disque en date de côté, car s’il fait bien partie de leur discographie, ça n’est qu’une parenthèse musicale anachronique. Entre temps, la formation a eu le temps de signer chez Subliminal Groove Records, également à l’origine des sorties de The Room Colored Charlatan, Ovid’s Withering, Nemertines et Delusions Of Grandeur, entre autres. Vous l’aurez compris, ça tourne autour du djent/prog/instrumental, voire de l’expérimental. Les trois compères ont trouvé la maison de disques qu’il leur fallait. Et c’est peut-être la seule maison qu’ils ont en commun. Car les gaillards n’ont toujours pas déménagé pour vivre ensemble dans le même pays. Toujours la même méthode de compositions et d’écriture, toujours cette même distance, toujours de mode de fonctionnement qui a porté ses glorieux fruits à deux reprises déjà.
Malheureusement, c’est sur fond de tension que va déboucher Odyssey To The West. Explications. Resituons le contexte avant toute chose. En 2009, STC naît, fruit de l’union du formidable vocaliste britannique Gareth Mason, et du non moins bon bassiste australien, Jack Magero. Ils sont très vite rejoints par le talentueux guitariste-batteur suédois, Jonas Johansson. Tout se passe on ne peut mieux pendant la création et la parution des trois premières œuvres – deux albums et un EP – surtout quand on prend en compte le fait que les gars vivent à des milliers de kilomètres les uns des autres. Mais, peu de temps avant la sortie de cet Odyssey To The West, se produit une fissure pour le moins inattendue. L’harmonie triangulaire explose et Jack Magero voit Mason et Johansson lui tourner le dos. Si nous en étions restés là, cela aurait eu comme conséquence un simple split. Mais le problème va plus loin, car les deux compères décident de publier l’album à travers les réseaux sociaux, sans l’accord même de l’Australien, et en ne le mentionnait même pas, lui qui est pourtant à l’origine d’une bonne partie de cet opus considérable. Ne le trouvant pas finalisé et voulant retravailler certains passages, il est donc contre toute attente, mis au courant de sa sortie, bien après de nombreux fans du groupe. Blasphème ! Et c’est de cette manière que les auditeurs se retrouvent, malgré eux, dans une situation inconfortable, mêlés à cette querelle. A la fois voyeurs et complices, ils sont balancés entre un malaise pesant, et la possibilité d’apprécier un travail titanesque gratuitement et en avant-première. Magero va alors adopter une attitude mature et pleine de sang-froid, en publiant un message dans lequel il incite l’auditoire à pouvoir apprécier à sa juste valeur cet album, tout en profitant pour égratigner au passage le mauvais comportement de Gareth (principalement) et Jonas pendant les dernières années, et en précisant que ce sont bien lui (Jack Magero) et Jake Lowe (The Helix Nebula) qui ont « écrit 100% de la musique en question ». Bref, un règlement de compte en bonne et due forme, ne basculant pas dans la vulgarité obscène et publique, dans lequel il dévoile tous les efforts qui ont permis d’aboutir à ce disque au détriment de l’équilibre du groupe, le vocaliste quittant la formation à la suite de cette parution, préférant se concentrer sur son side-project. Il semblerait donc que cet Odyssey To The West soit le dernier album du trio tel qu’on l’a connu, sorte d’adieu au fan, et de bilan émotionnel de ces sept années passées ensemble. Même si le message de Magero laisse sous-entendre que Slice The Cake ne serait qu’en pause temporaire et pourrait revenir plus tard sous une autre forme et après avoir pris du temps et du recul par rapport à tout ça.
Le contexte étant donc désormais posé et connu de tous, penchons-nous donc sur le fond. Petit conseil d’avant-propos : si vous venez de manger, passez votre tour, car vous frôlerez l’indigestion à coup sûr. En effet, si le dernier effort de Slice The Cake était déjà réservé à une parcelle, un minimum expérimentée, d’auditeurs, ces parts de gâteaux-ci sont très lourdes à digérer en une fois, voire même en plusieurs tentatives. Si cette sensation indigeste est très présente, c’est dû, en premier lieu, à la longueur et la subtilité de l’album. Un nouveau concept-album qui nous entraîne dans les coulisses de la remise en question d’un homme et le chemin qu’il parcourt afin d’arriver à une métamorphose et une nouvelle vie. Ne s’éloignant donc pas des masses de son prédécesseur, Odyssey To The West est encore plus conceptuel et travaillé, mais affiche une grosse impression de désordre, de quelque chose de très dense et laborieux à démêler, ce qui n’est pas illogique quand on aborde une œuvre de près d’une heure vingt. Et le premier titre donne tout de suite le ton avec son introduction - expérimentale à souhait - nous divulguant une narration accompagnée d’arpèges. La palette de Gareth a également été élargie avec un chant clair que l’on a plus l’habitude d’entendre dans le milieu heavy/rock que dans celui du deathcore progressif et le fricotage avec le monde du black dépressif dans "Ash And Rust Part IV – Nameless, Faceless". Même si le deathcore tend à s’effacer peu à peu et laisser place à un progressif à la Opeth, avec des parties extrêmement bien travaillées, comme dans le début de "Stone And Silver Part I – The Mountains Of Man" ou dans "Westward Bound Part I – The Lantern" et "Castle In The Sky Part II – Pieces Of Ruins". Un bon surplus de parties expérimentales a été introduit ici et, hormis l’introduction à l’orgue dans "Stone And Silver Part III – The Man Of Papyrus Limbs", ce qui déstabilise, c’est la présence de djembés à deux reprises, dans les ouvertures "Ash And Rust Part I – From Shell To Shell" et "Ash And Rust Part III – The Torn Thread". En outre, "Ash And Rust Part II – The Dark" et son condensé de styles (black metal, prog atmosphérique, mêlés à quelques notes orientales) paraîtrait presque banal. On appréciera également fortement d’entendre le son pur du bassiste, notamment dans les lancements de "Stone And Silver Part I – The Mountains Of Man" et la très typée deathcore progressif "Ash And Rust Part III – The Torn" (n’oublions pas les précepts). Et si vous en avez marre des noms à rallonge tels des chapitres bibliques, qui sont pourtant tout indiqués dans ce cas, vous pouvez aussi aller jeter une oreille du côté des deux tueries : l’expérimentale, progressive et mélodique "Unending Waltz", et "Destiny’s Fool", qui tranche beaucoup avec le reste, grâce à ses éternelles samples de bord de mer, cette balade à la guitare accompagnée d’une voix calme et claire pendant sa presque entièreté.
Slice The Cake n’a pas lésiné sur les moyens pour cette œuvre qui sert désormais, a posteriori, d’adieu aux fans. Un concept-album extrêmement difficile à appréhender de part à en part, sous tous les angles, mais qui renferme des joyaux insoupçonnés, tant au niveau musical, qu’au niveau des paroles fortement inspirées par Shakespeare. Vous avez devant vous un gâteau breton, gras, plein de beurre et de lipides, mais qui ne périme pas si facilement. Gardez-le sous le coin de la main (et de la bouche), et mangez-en une part régulièrement, vous aurez peut-être accès à ses secrets plus rapidement que vous ne le pensez.