Au sein des courants les plus lents et pesants des musiques extrêmes (majoritairement doom / sludge / psyché voire stoner, pour les fans de speed-metal ignares), on a tendance à recourir sans vergogne à l’hyperbole forestière pour décrire ce que nous inspire la musique écrasante et groovy dont nous bombardent régulièrement les nombreux combos du style. On parlera donc de groove de bûcheron pour décrire une section rythmique, de broyeuse à végétaux ou de tronçonneuse pour délicatement évoquer la saveur d’une guitare totalement fuzzée et distordue, et plus simplement, de « bûche » en général. La bûche en gros, c’est ce truc lourd mais si naturel, qui te réchauffe le cœur en hiver, mais qui pourrait tout aussi bien t’écraser le pied, ou la gueule, si tu n’y prend pas garde. Plutôt parlant comme métaphore. Et clairement, le groupe dont on va parler aujourd’hui remplit tous les critères lui permettant plus que largement de mériter son label « A.B.C » (Appellation Bûche Contrôlée).
Ce groupe, c’est Conan. On les suit depuis pas mal d’années, et force est de constater que pour des Anglais, pourtant peu réputés pour leur passion des forêts et de l’univers champêtre au sens large, ces derniers bûchent énormément, voire bûcheronnent de façon exacerbée. Forts d’une discographie déjà très riche (devrait-on dire profondément enracinée ?) en à peine dix ans ans d’existence (2 albums, 2 EP, 2 splits, 2 lives), les encapuchonnés de Liverpool nous revenaient en ce début d’année 2016 avec un troisième LP, le très attendu Revengeance. Se présentant eux-mêmes comme un groupe de « Caveman Battle Doom » (www.genre-qui-parle-de-lui-même.com), les Anglais n’ont pas fait varier leur écrasante et primitive recette d’un iota depuis leurs débuts. Servis par une production extrêmement massive et granuleuse, les trois membres de Conan délivrent ainsi depuis 2006 de grandes claques sur la nuque de l’auditeur hébété, sous la forme de titres très majoritairement longs, lents, et surtout très, très lourds (parfois plus lourds que la Terre elle-même, cf la fracassante ''Total Conquest'' sur l’excellent Blood Eagle). Et sur ce Revengeance, sans grande surprise mais avec un plaisir non-feint, force est de constater que Conan continue de la même manière que précédemment… à quelques petites différences près ! La première, et de taille, est que le chant a pas mal progressé. Point faible évident du groupe, les précédents Conan étaient conduits par un chant braillard, peu en place, et finalement assez insignifiant car trop en décalage avec le réjouissant sentiment de puissance absolue délivré par la musique du trio. Sur ce Revengeance, c’est mieux. On ne va pas vous raconter de craques, Jon Davis reste un frontman limité et son organe n’est qu’un accessoire au service de l’imposante bâtisse sonique érigée par le combo, mais le bougre a progressé, c’est indéniable. Son chant semble moins sortir de nulle part, et le fait que davantage de backing vocaux (en forme de beuglements d’ours), seyant parfaitement la musique du trio, aient été ajoutés est un plus non-négligeable. On pourrait même presque aller jusqu’à dire que sur ''Throne Of Fire'', son chant est cool. Étonnant.
L’autre évolution relativement notable c’est cette influence quasi-hardcore, presque imperceptible, mais indéniablement plus présente que par le passé. Elle s’incarne majoritairement dans deux titres, le parfait opener ''Throne Of Fire'' et l’énorme morceau-titre ''Revengeance''. Sur ces deux pistes, Conan s’accorde quelques saillies beaucoup plus rapides et vénères que par le passé, tout en conservant ce son plus écrasant qu’un 747 vous tombant sur la gueule sans crier gare avec, pas de bol, le chargement de pierre de taille qu’il transportait. Et le résultat est absolument fracassant. Véritablement deux des meilleurs morceaux jamais écrits par le groupe, notamment le final destructeur de ''Throne Of Fire'' avec cette évolution de riff bien plus subtile et sournoise qu’il n’y parait. Le reste des compos de ce troisième opus est plus classiquement Conan-ien, c’est-à-dire bien pachydermique et direct, mais leur impact demeure tout à fait kiffant. On pense notamment à ''Thunderhoof'', sur laquelle le groupe repousse encore les limites de la lourdeur et de la pesanteur mises en musique (cf la fin du morceau, jovialement abrutissante), ou à ''Every Man Is An Enemy'', portée par quelques riffs simples mais démentiels et un groove d’éléphanteau monté sur des échasses à ressorts, ou encore à ''Wrath Gauntlet'', dont le riff vous clouera au mur à mi-morceau. D’ailleurs parlons-en, des riffs. En deux mots, ils sont toujours aussi simples, mais toujours aussi inspirés et surtout dotés d’un son de tronçonneuse triple-XL : on pourrait presque les toucher tant l’épaisseur qui s’en dégage est prégnante. La section rythmique est au diapason : elle est là pour casser des bouches et enchaîner les bourre-pifs tel un Lino Ventura de la grande époque, bien que la batterie ne soit pas dénuée de subtilités. On s’en rend notamment bien compte via les petits jeux de cymbales sur ''Earthenguard''. Ce morceau clôture d’ailleurs parfaitement l’album via un ensevelissement de première classe de l’auditeur, qui se voit progressivement enfoui sous des tonnes de riffs, qui sont autant de tonnes de terre de champ de bataille, gorgées de sang et de larmes. Bref, ce Revengeance est aussi bas du front qu’il est réussi, et comprenez-le bien, il est particulièrement bas du front.
In fine, l’absence de coup de cœur sur ce nouvel opus des Anglais tient exclusivement à l’absence quasi-totale d’innovation, les deux séquences rapides de ''Throne…'' et ''Revengance'' mises à part. Ce qui est un peu un léger pour un groupe maniant aussi bien l’art délicat du lancer de bûches et du broyage de troncs, vous en conviendrez. On en reste donc là avec cet excellent nouveau Conan, qu’on peut sans aucun risque de se planter labelliser comme « A.B.C 100% Poutre Massive », et que je ne peux donc que vous conseiller ardemment, que vous soyez fan du genre ou pas. Pas d’aggloméré de merde ici, on n’est pas chez Ikea, uniquement du lourd groove de madrier de chêne, adossé à de puissants murs porteurs de riffs en sapin massif. Sur ce je retourne découper des troncs centenaires à la tronçogratte au son de ''Thunderhoof'' et méditer sur mon prochain plan de bataille épistolaire.