Au commencement, il y avait Gaza. Responsable de trois albums et d’un EP d’une violence, d’une lourdeur et d’une non-compromission absolus, sortis sur Black Casket Activities entre 2004 et 2013, Gaza avait rapidement fait sa place au panthéon du hardcore sale et lancinant et les critiques étaient unanimes, c’était un putain de groupe. Hélas, suite à un imbroglio autour d’une sombre histoire d’accusation d’agression sexuelle envers le chanteur courant 2013, les trois autres membres du groupe décidèrent fin 2013 de se distancier de toute cette délétère situation et, considérant que le nom Gaza avait été à jamais souillé par ce lamentable fait divers (ndlr : l’affaire serait encore en cours), ils fondèrent un nouveau combo, Cult Leader, dont je vais vous conter ici les premières aventures musicales. Et étonnamment, les membres survivants de Gaza ne se sont pas mis à l’indie-pop ou à l’EDM.
Cette première information, primordiale, avait déjà pu être vérifiée sur pièces et sur place via la sortie d’un premier EP en 2014, l’excellent Nothing For Us Here, faisant peut-être référence à la fin de l’histoire Gaza. Un EP en forme de violente crevaison d’abcès et qui annonçait la couleur : Gaza est mort, vive Gaza ! En bref, si le nom avait changé, musicalement, l’auditeur était à nouveau mis face à la même tambouille black/sludge/doom/core barrée : sans pitié, sans concessions, sans lumière. Et force est de constater que le groupe a repris le même chemin pierreux et escarpé pour sa toute première livraison LP, le très bien nommé Lightless Walk. Qu’on se le dise, de tels albums de hardcore ne sont pas à mettre entre toutes les mains. On est bien plus proches des débuts totalement déshumanisants d’un Converge (écoutez ''Walking Wastelands'' par exemple, on est en plein dedans), d’un Coalesce ou d’un Breach, ou encore d’horreurs telles que Black Sheep Wall, que des gentillettes sorties de chez Victory Records ou de cette bonne vieille scène hardcore old-school si intangible et donc rassurante. Cult Leader propose ici un océan de haine, de saleté et de misère. Et il le fait extrêmement bien, tout comme le faisait Gaza. Aucune surprise sur cet opus donc, à priori… Aucune ? Eh bien pas tout à fait. Car si une partie des morceaux de l’album font de cette galette un massif rouleau compresseur collant tarte sur tarte (cf. le terrifiant opener ''Great I Am'', ''The Sorrower'', ''Broken Blades'', ''Walking Wastelands'', etc.), dès ''The Sorrower'' on sent une légère différence avec ce que proposait Gaza. Cela tient à peu de choses : un peu plus de groove, ici et là, et de manière générale plus de plans immédiatement compréhensibles dans la musique du Cult Leader... Le son reste d’une noirceur et d’une lourdeur évidentes, mais on est moins dans l’abstraction que par le passé. Cult Leader fait un petit pas contrit vers le hardcore plus « conventionnel », là ou Gaza se refusait à toute forme de séquence pouvant, de près ou de loin, s’assimiler à de la musique un tant soit peu immédiate. Et sur le troisième morceau, le doute n’est plus permis : une ligne mélodique ! Si si, elle est bien là, tirant ''Sympathetic'' vers le screamo/postcore avant que la nature violente du groupe ne revienne plomber la fin du morceau d’un groove d’airain.
''Suffer Louder'' poursuit avec cette approche bâtarde entre passé (les séquences grindcore/sludge sans pitié parsemant le morceau, la production ultra massive, la voix tellement sale) et présent (du groove, des plans indéniablement hardcore, des ambiances plus mélancoliques que terrifiantes), qu’on retrouve également sur ''Broken Blades'' par exemple. La mue est réelle, bien que subtile, et Cult Leader semble délaisser progressivement le territoire Gaza-esque qu’il occupait encore complètement sur Nothing For Us Here pour poser un demi-pied dans la lumière sur Lightless Walk. Impression totalement validée par l’intéressante ''A Good Life'', morceau ambiant presque calme, peuplé d’arpèges lancinants, de batterie doom et de spoken-words inquiétants. Notez que le « presque » est important, la fin du morceau cachant une envolée postcore bien bourrine rappelant Downfall Of Gaia. Impression également renforcée par la superbe (oui, j’ose) ''How Deep It Runs'', vraiment mélodique pour un groupe aussi querelleur par ailleurs. Sur cette piste complètement cathartique virant au postcore avec son riff principal aussi puissant qu’hypnotique et sa ligne mélodique marquante, on sent une autre facette de l’identité de Cult Leader, absente chez Gaza, se développer et prendre peu à peu de l’essor. Ceci dit, des morceaux comme ''A Good Life'', ''How Deep It Runs'' ou encore le closer ''Lightless Walk'', totalement dans le même ton, restent sur cet opus plutôt l’exception que la règle (trois morceaux « lents » sur onze pistes). On l’a dit, de manière générale Cult Leader est finalement assez loin de se radoucir par rapport à ce que faisait Gaza, qui frisait l’extrémisme sonore. Mais leur son diverge de celui que proposait Gaza, s’allège et s’enlumine légèrement tout en restant, dans l’ensemble, salement bourrin et relativement inaccessible au commun des fans de hardcore, qui n’y trouveront pas leur compte en termes de groove et d’immédiateté. Le groove est bien présent (si si, même sur ''Gutter Gods'' ou ''Hate Offering'', écoutez donc la fin du second nommé !), mais il est encrouté dans une telle couche de son brut et de noirceur qu’il est difficile d’y trouver des motifs de satisfaction. Ça tombe bien, ce n’est absolument pas le but de Cult Leader. Et en cela, l’essai est parfaitement transformé.
Voici donc une première sortie extrêmement solide, à défaut d’être géniale, venant de la part de trois revenants (Casey Hansen, Mike Mason, et Anthony Lucero - qui tenait la basse dans Gaza et beugle désormais dans Cult Leader - aidés d’un nouvel arrivant à la basse) dont on n’aurait pas forcément donné très cher à la fin d’un Gaza dont l’histoire s’était vilainement achevée. Un EP et un premier full-length totalement réussis plus tard, on ne peut que se réjouir de voir que le flambeau a été repris avec talent et conviction. A n’en pas douter, un des albums indispensables de 2015 pour les fans de hardcore bien dégueulasse.