Après l'écoute du dernier album de Alustrium, je me suis posé une question : « comment diable vous communiquer l'enthousiasme monstre qui m'a envahi lors de ma première écoute ? » Un support lu n'étant jamais suffisant pour transférer pleinement ses impressions à autrui, peu importe le style et les images littéraires utilisés. Cette question est restée en suspens jusqu'aux alentours de la sixième ou septième écoute et s'est transformée en « comment diable vous communiquer la déception monstre qui m'envahit en ce moment ? »… Bon, on y reviendra plus tard, où avais-je la tête ? Des présentations s'imposent. D'où viennent Alustrium ? On me souffle à l'oreille que Philadelphie a enfanté ces virtuoses. Merci Philadelphie. Que jouent-ils ? Du death metal technique et progressif. Très bien. Soit.
L'album est décrit comme une tentative de mettre en question l'existence même de l'être humain, ses triomphes et désillusions, ses aspirations et croyances, sa crédulité voire son agnosticisme. Un terrain boueux pour le genre qu'est le death technique, souvent assez spatial et abstrait dans ses thèmes. Mais vous l'aurez deviné, ceci n'importune aucunement nos américains qui nous conduisent à un vrai tunnel vers le paradis, un tunnel soutenu par une technique de haut vol, d'une profondeur égale à celle des sujets traités, et éclairé par le talent immense des jeunes musiciens. C'est simple, au même titre qu'Alkaloid quelques mois avant eux, la musique proposée est un compendium de death technique et de metal progressif absolument somptueux. On a donc droit à des structures assez complexes, sans pour autant faire l'impasse sur les mélodies. Exit l'aspect générique et codifié si présent dans le tech death moderne, bonjour la diversité, l'expérimentation, bonjour l'audace. Et dieu que le genre en avait besoin, de cette audace.
A Tunnel To Eden, c'est tout d'abord une vitrine représentative de la technique hors norme du groupe, le niveau des guitares étant dans la norme de ce qu'offrent des vétérans tels qu'Obscura ou Spawn Of Possession, le morceau "My Possessor" est d'ailleurs vivement recommandé pour les mordus du genre. Aussi, les solos, sweeps et tapping ne sont à aucun moment cachés par une batterie trop imposante ou des cris déphasés, au contraire, grattes, percussions et chants se complètent et s'emboitent à la perfection. Le growl enragé de Jerry Martin s'inscrit ainsi parfaitement dans le registre death metal imposé par la musique jouée. Mieux, le guitariste y va même avec sa contribution vocale sur certains passages et ceci à travers des chœurs bien virils superposés à un fond où se mêlent guitares, basse et blast-beats délicieux de puissance. Cette puissance est d'ailleurs bien exhibée sur "In His Own Image", en témoignent son opening riff absolument dantesque et son break saccageur, les messieurs d'Alustrium ne se contentent donc pas uniquement de nous en mettre plein les mirettes techniquement parlant, mais nous proposent aussi des passages à faire headbanger mamie torticolis. Que demande le peuple ?
Doté d'un dosage précis à la seconde près, le disque unit une progression assez conventionnelle à quelques folies passagères permettant de garder l'auditeur à l'affût, le solo épique qui survient de nulle part sur "In His Own Image" ou les structures mélodiques progressives de "Slackjaw" étant les fers de lance de ce style. Ainsi, l'album pourrait très bien servir de livre de recettes pour les autres formations du genre, et ceci pour avoir proposé une vision particulière du death metal, une vison fraiche et innovante, chaotique et reconstructive, qui atteint son apogée sur "The Illusion Of Chaos", morceau de trente-trois minutes de long divisé en trois parties, où maitrise et intensité se succèdent pour notre plus grand plaisir. La trilogie se dégage tellement du reste de l'album qu'elle aurait pu figurer sur un EP et avoir le même succès, surtout qu'un certain Daniel Mongrain de Martyr et Voivod est venu s'inviter durant les sessions d'enregistrement. Mention spéciale à la troisième partie, "Thanatos", avec sa souche très progressive, ses transitions folles ainsi que ses solos exécutés d'une main de maître, la fin particulièrement intense de la piste vous laissera d'ailleurs avec une seule et unique envie : réécouter l'album encore une fois.
Et c'est justement là où pèche le disque : une fois la claque du début passée, les sensations procurées ne sont plus les mêmes ! Le groupe a beau utiliser ces petites transitions complexes ainsi que les solos presque improvisés lors de l'enregistrement, on fait très vite le tour de la galette, à tel point que les morceaux s'enchaînent telle une musique de fond sans particulièrement donner une quelconque envie d'y prêter attention. On pourrait accuser principalement le tempo, qui reste globalement le même durant tout le disque, mais aussi le manque de mélodies « tubesques » ou de passages techniques de très haut vol. Le tempo aurait d'ailleurs pu être accéléré avec une contribution plus active du batteur, qui joue la carte des rythmes « groovy » plutôt que jouer ces parties « rapides » caractéristiques au genre, initiative bienvenue tant elle apporte une certaine variété au disque, mais qui nuit par la même occasion au potentiel de réécoute de par la quasi-uniformité de son utilisation sur les différentes pistes. Aussi, les contributions vocales du guitariste pourtant louées plus haut sont très peu sollicités, laissant l'ennui s'installer chez l'auditeur, du chant clair ou une utilisation d'un timbre différent par le chanteur auraient pu apporter cette variété vocale recherchée.
Selon les membres du groupe, cet album est la « manifestation audible de leurs rêves et passion pour la musique qu'ils aiment ». Ceci résume plutôt bien le disque, les musiciens se sont clairement fait plaisir. Les sensations procurées par les premières minutes laissent même présager une claque des plus grandes, mais malheureusement, le groupe n'a pas su travailler l'après-écoute, autrement dit, complexifier sa musique en la jouant sur plusieurs couches permettant une écoute par étapes, ce qui est plutôt fâcheux pour du death metal titillant le côté progressif de la chose. Soyons d'accord, l'album n'est pas mauvais, au contraire, c'est l'un de mes coups de cœurs de l'année, c'est justement pour cette raison que j'aurais souhaité quelques heures supplémentaires en sa compagnie, malencontreusement rendues impossibles par la copie livrée. Donc en bref, foncez, profitez ! Mais pas trop vite non plus, sinon l'arrière-goût n'en sera que plus acide.