Fut un temps, Ride repompait les Beatles, mais ajoutait un mur de son et des harmonies vocales époustouflantes. Fut un temps, les Lilys repompaient My Bloody Valentine, mais retiraient un peu du côté bruitiste langoureux pour ajouter plus de dynamique. Puis fut un temps où Muse pompa allègrement Radiohead (pas la peine de hurler, l’objet du crime s’appelle Showbiz), sans rien ajouter. Si ce cycle incessant du pompage peut être aussi appliqué à bien des genres (coucou le brutal death et ses palanquées de clones défectueux), rarement il n'avait été pratiqué avec aussi peu de personnalité que par Muse sur son premier essai. Et pourtant, il faut croire qu’il est toujours possible de trouver pire.
Tout ça pour parler maintenant (enfin) d’Imagine Dragons. Nouvelles idoles des ondes hertziennes et des jeunes, l’écoute du résultat en sachant cela à la base ne surprend donc pas du tout : rarement on aura vu aussi peu de personnalité. Même Muse n’avait pas osé ; eux l’ont fait. A ce titre, Smoke And Mirrors se veut le parfait petit catalogue de tout ce qu’il faut faire musicalement si l’on veut passer en radio et refourguer du disque par caisses entières à tout un chacun, à condition qu’il n’ait pas réellement d’intérêt pour le quatrième Art. Parce que oui, au débotté, c’est de la musique qui accroche, et c’est ça que veulent Kevin et Vanessa, entre deux épisodes de télé-réalité et leurs party hebdomadaire (parce qu’il s’agit tout de même de ne pas perturber leur petit quotidien hédoniste) : du bon ons’ ki akkroch, mdr. Alors quand Kevin et Vanessa préfèrent que ça bouge plutôt qu’il y ait un bon flow, deux solutions s’imposent alors à eux : ou ce sera le dernier tube électro du Top50 du moment, ou le dernier hit d’Imagine Dragons, ce qui revient parfois, malheureusement pour ceux qui le subiront, au même, comme sur "Shots" ou la plupart des morceaux de cette véritable purge. Ajoutons à cela un chant de jeune premier plus que crispant que même les élans pop actuels n’oseraient imiter. Tellement sucrés qu’ils finissent par coller et entraîner le tout dans un bourbier mélangeant allègrement guimauve et caramel. Et là, gare à la noyade !
D’autant plus que, pour peu que l’on ne supporte/endure/subisse (rayer la mention inutile) que difficilement ces minauderies, l’on ne peut que s’étouffer en constatant les 50 minutes qu’affiche l’album au compteur, pour la version standard. Faisons donc une minute de silence pour ceux qui ont pris le second disque avec ça.
Voilà, c’est fait ? Reprenons donc là où nous nous étions arrêtés. Le groupe, vendu comme de la pop/rock, n’a même pas une once de petit orteil dans ce dernier genre, puisque quelques guitares sous distorsion posées ici et là à l’occasion ne suffisent pas à cela ; ainsi référez-vous plutôt au récent Sun Structures de Temples pour avoir quelque chose qui mérite vraiment cette étiquette. On remerciera encore des critiques noyés sous un torrent radiophonique aussi indigeste qu’indigent musicalement parlant pour avoir catalogué, une fois n’est pas coutume, le groupe en jouant aux fléchettes les yeux bandés, par grand vent. En lieu et place, de la synthpop mâtinée d’éléments électro modernes. Mais, de même que le dit le reste de ce pamphlet, un mélange électronique bien fade : on prend un beat par morceau, lourd de préférence pour la street cred’, et on l’agrémente de nappes de synthé, en rajoutant à l’occasion de la guitare, mais pas plus de quelques notes, restons sérieux. Je me sens Zemmour pour le coup, en ce que, comme le disait le monsieur face à Lady Gaga : « La musique que j’ai entendu là, j’ai l’impression de l’avoir entendue depuis vingt ans, c’est toujours la même. C’en est même sidérant ».
Certes, il arrive que les tâcherons s’énervent à l’occasion d’un "I’m So Sorry", et en reviennent à un pompage dans les grandes largeurs du Muse moderne, celui qui se prend pour Skrillex ; pour une fin qui lorgne vers l’époque antérieure où un peu de saturation du côté des instruments ne les choquait pas outre-mesure. Voilà, ainsi la boucle est bouclée. Les voir essayer de ratisser large pour toucher un public toujours plus large est assez irritant, il faut l’avouer. Tout ça pour déboucher sur un "I Bet My Life" hautement énervant, entre un sample de cri de femme de ménage de Sofitel qui revient à chaque couplet, un refrain radiophonique lambda et raté, et un retour du refrain tellement prévisible que même les Maïas l’annonçaient entre deux prophéties de fin du monde. Génial, si ce n’était pas un patron sur lequel sont calqués la plupart des titres, ce serait juste parfait. Vous rappelez-vous de Radiohead ? Eh bien, à l’écoute, leur nom vient spontanément, tant le tout nous réserve "No Surprises". C’est d’ailleurs très sûrement le seul plan sur lequel il est possible de comparer Ok Computer et Smoke And Mirrors, tant l’abysse est grand entre les deux œuvres. Mais un bête name-dropping d’œuvres plus digne d’intérêt (fiouh, que la liste est longue) ne mènera nulle-part. Le lissage est au-delà de tout ce qu’il est possible de faire, et même le morceau qui aurait dû étaler au moins un ou deux riffs, "Friction", se retrouve noyé sous des synthés avec des phrasés de chant R’n’B toujours aussi mielleux, avant une fin salvatrice, enfin un tant soit peu efficace.
Lesdits synthés, dispensés sous forme de nappes atmosphériques deviennent rapidement indigestes, un peu comme le reste, même si l’on se surprend assez fréquemment à soupirer de réconfort lorsque la batterie est authentique et non samplée. Passons sur les mélodies de Bisounours, qui ajoutent encore à la mièvrerie extrême du tout, ne manquant pas de renvoyer au pire de Sigur Ros : doit-on évoquer le piano introductif de "Dreams", qui rappelle désagréablement celui de "Wrecking Balls" de la nudiste au boulet de démolition dans les sonorités et le ton, ainsi que des envolées vocales qui doivent beaucoup à Adele (mais si vous savez, "Skyfall", et "Rolling In The Deep" !) ? Le ton général qui oscille entre le joyeux fêtard et l’émo dépressif (pléonasme ?), de façon assez pitoyable, puisque le tout sonne creux et faux, la faute à une production qui tient du miracle, dans le mauvais sens du terme. Pas besoin d’être un vieux con réactionnaire comme l’auteur de ce papier pour se rendre compte de la vacuité globale de Smoke And Mirrors, s’être un peu intéressé à la pop qui ose réellement des choses musicalement suffit. Si certains morceaux sont un peu plus réussis que le reste, comme "Trouble", qui arrive presque à la fin, évidemment, et ne parvient pas à éviter l’écueil du pont acoustique trop mélancolique tavu, ou le début de "Summer", qui laissera tout fan de Dream Theater ou Meshuggah rêveur devant sa complexité rythmique, moins énorme, plus posé, qui permet d’entrevoir le bien dont pourrait être capable la formation si elle ne cherchait à tout prix le tube à gros son bien compressé.
Ah ! Ils sont bien loin les Smiths et tous leurs pairs, qui ne manqueront pas de faire un triple flip dans leur tombe lorsqu’un scribouillard ne reculant devant rien se permettra de comparer leur génie à cet étal de marchand de bonbons musical : on y passe toutes ses économies, on sent un vague goût sucré qui s’estompe rapidement, et il ne nous reste finalement que du vide et un frustre souvenir, plus une rage de dent pour les moins chanceux. Quand on voit ce qu’a produit le monde de la pop, hier, et aujourd’hui encore, on se demande quel besoin il est de s’encombrer du diktat de la radio et de ses « « « artistes » » » tellement lisses que le moindre pas dans leur direction expose l’auditorat à une chute périlleuse, à défaut de mortelle.