Connaissez-vous l’adage « si vous savez faire quelque chose, il y a forcément un Asiatique qui le fera mieux que vous » ? Aussi grosse soit la polémique que cette phrase peut provoquer, il faut dire qu’elle se vérifie tout de même régulièrement dans le domaine de la Musique : en dehors de Psy et ses milliards de vues sur Youtube, impossible de ne pas penser aux très nombreux groupes de pop, comme Passepied (et son super nom) ou autres Chatmonchy, sans oublier Babymetal… S’ils ont souvent une identité et une patte indéniable, leurs influences, bien que perceptibles, viennent souvent de l’Occident. Ainsi, quasiment tous les courants ont pu arriver jusque dans l’archipel nippon, même les plus obscurs, comme le shoegaze. Coaltar a bien assimilé tout ça, de Slowdive à My Bloody Valentine, et n’a pas oublié de le mélanger avec grande intelligence à de nombreux autres styles.
Yukari Telepath est l’aboutissement de la carrière du groupe : il est possible d’y retrouver toutes les phases par lesquelles ils sont passés, des premières démos, à Newave, soit le mélange entre dream pop, noise rock, metal alternatif, musique électronique et de discrètes pointes d’ambiant, quand ce n’est pas un craquage sous forme d’un morceau de bossa nova. Si les mélanges n’étaient parfois pas encore bien maîtrisés, comme sur Come Over The Depend, où le groupe tentait parfois de faire rentrer de force le metal alternatif dans sa recette, quitte à offrir à l’occasion des passages du coq à l’âne de toute beauté, ce n'est plus ici le cas. Yukari Telepath offre un gros bloc uniforme d’une heure de musique. Enfin, uniforme… Uniforme en ce que tout ne semble sur cet album qu’un enchaînement logique, où chaque partie semble manufacturée pour s’insérer juste après la précédente. Quoi de mieux à ce titre que de démarrer par l’aspect le plus brutal, avec un riff metal bien servi par une production énorme que suit un passage donnant une idée de la direction de Yukari Telepath : nous voilà avec le disque qui réconciliera définitivement le rock avec l’électronique pour ce groupe, après avoir tenté de faire les deux de façon exclusive. Et diable, que cela fonctionne bien ! Le mélange venant du génial Nagasaki, ressorti de ses expérimentations, donne des pièces très accrocheuses, avec le sens habituel de la mélodie, n’hésitant pas à intercaler du growl au milieu du chant pop de "Wipeout", déclamé sur un fond de riff violent, avant que n’arrive un passage plus aérien où le groupe se décide à dégainer le chant féminin, réminiscence de My Bloody Valentine, qui vient périodiquement parsemer les compositions du groupe depuis un moment déjà.
En bonne synthèse, Yukari n’oublie pas l’importance de l’accroche au profit d’un gigantesque melting-pot. Au milieu de cette grande marmite dans laquelle auraient été mis tous ces ingrédients, quelques expérimentations font contraste, mais de la bonne manière. Ainsi, "Water Birds", malgré son rendu étrange, et les passages oubliant légèrement le concept de tonalité, rend tout de même singulièrement bien ; de même pour "Evil Line" qui intègre magistralement la Jpop à la mixture en lui donnant par là même une saveur toute particulière. De plus, malgré sa grande diversité, le disque, marqué par la patte atypique de ses géniteurs garde tout de même une belle cohérence, avec un climat éthéré et légèrement déshumanisé, ceci étant peut-être favorisé par les légères touches de vocoder trouvables à l’occasion, rappelant l’univers surréaliste de l’Anime Mawaru Penguindrum, pour lequel la formation avait d’ailleurs composé un titre. Ce qui étonne surtout à l’écoute de Yukari Telepath, c’est l’étendue de la gamme de sonorités proposée, ceci étant principalement dû à l’électronique qui, lorsqu’elle occupe l’intégralité d’un titre, à l’exemple d’"Aquarian Age" ou "Automation Structures" cloue gentiment au pilori tous les préjugés qu’il est possible d’avoir sur son mélange avec les guitares saturées. Ainsi, chaque titre, chacun avec son potentiel de tube, a son identité propre, avec des passages aisément mémorisables et attendus avec impatience à chaque écoute.
Passé totalement inaperçu ailleurs qu’au Japon, Yukari Telepath est pourtant un très grand coup frappé par les Nippons, à tel point qu’ils ont été silencieux depuis, en dehors de la sortie d’un best-of, d’une compilation de leurs EP, et du single du morceau composé pour Mawaru Penguindrum, pas sans raisons, car il est aisément compréhensible que donner un successeur qui soit à la hauteur à une telle œuvre soit difficilement envisageable. De par sa grande diversité, Yukari tend plus sur le caméléon que le télépathe, très éloigné qu’il est de tout standard ou carcan, mais il s’impose comme l’album de la réconciliation pour ceux qui abhorrent tout ce qui est un tant soit peu estampillé Kawaïï.