No Code, quatrième album de Pearl Jam, est certainement celui qui a le plus fait couler d'encre. Pensez donc, chaque nouveau Pearl Jam était attendu comme le messie à l'époque, avant que cela ne devienne une routine. Le contexte est pour le moins particulier : Eddie Vedder et sa bande apparaissent plus blasés que jamais, on pouvait déjà s'en rendre compte pendant les interviews données pour la sortie de Vitalogy. No Code exprime un ras-le-bol général : ras-le-bol du music-business, du succès, d'être considérés comme des « Dieux », de la fan-attitude et du « star-system », des tournées à rallonge, des concerts trop chers...
Eddie Vedder n'est pas heureux et cela se ressent très fortement dans sa musique. Oh bien sur, on s'en était déjà rendu compte sur Vitalogy qui ne transpirait pas vraiment la joie de vivre lui non plus, mais Vitalogy contenait encore des hits essentiels du répertoire de Pearl Jam. Avec No Code, Pearl Jam donne l'impression d'avoir voulu vendre le moins de disques possible. Introduit par le single "Who You Are", l'anti-hit par excellence, un single qui m'avait complètement refroidi (j'ai mis plusieurs années avant de franchir le pas et d'oser acheter No Code)... une mélodie pauvrissime, un chant inexpressif et blasé, trois pauvres accords, un des plus mauvais morceaux de Pearl Jam ! Avec un tel single, Pearl Jam ne pouvait que vendre moins de disques et c'est d'ailleurs ce qui se produira, No Code se vendra nettement moins que Vitalogy, VS et Ten.
Le message est clair : Pearl Jam n'en a plus rien à foutre et a décidé de tout envoyer balader, de limiter le plus possible les plateaux TV et les interviews promotionnelles. Stone Gossard cite Jonny Greenwood de Radiohead comme un des plus grands guitaristes de tous les temps, ses références du moment vont vers des groupes de brit-pop comme Supergrass. On ne s'étonnera donc pas trop du minimalisme exacerbé des guitares, des rares solos réduits à leur plus simple expression, tenant généralement sur deux notes (qu'on est loin des solos construits et inspirés de Ten). Jack Irons, l'ancien batteur des Red Hot Chili Peppers, remplace Dave Abbruzzese, viré comme un malpropre. La frappe lourde et puissante de Jack Irons convient parfaitement au nouveau son de Pearl Jam, là où le jeu précis et pointilleux (toujours au millimètre près) de Dave Abbruzzese n'aurait pas collé sur No Code. Dave Abbruzzese, trop technique pour Pearl Jam ? On peut se poser la question.
Heureusement, "Who You Are" n'est guère représentatif du contenu de No Code, plus riche qu'il en a l'air. C'est certain, on sent que les mecs de Pearl Jam ont moins bossé ce coup-ci, que tout est simplifié et que les morceaux ont parfois été composés à la va-vite (le furieux "Lukin" par exemple, en hommage au bassiste de Mudhoney, Matt Lukin, ou le punky-pop "Mankind", chanté par Stone Gossard). No Code se veut brut, live, le moins travaillé possible, il ne contient aucun classiques de la trempe d'"Alive", "Even Flow", "Dissident" ou "Better Man". Si Pearl Jam apparaît blasé et revenu de tout, on ne retrouve pas pour autant l'extrême noirceur qui faisait tout le charme de Vitalogy. Au menu, davantage de chansons acoustiques, dont la plupart font mouche ("Off He Goes", "I'm Open", le magnifique "Present Tense", "Around The Bend"). Problème : c'est là le début de la routine puisque No Code définit les bases de Pearl Jam pour les dix prochaines années, le groupe ne cessera de rabâcher des titres acoustiques dans ce style là, en moins bien. Et puis, entre nous, aucun de ces titres calmes n'arrivent à la cheville des "Indifference", "Elderly Woman Behind The Counter In A Small Town" ou "Immortality", il faut se rendre à l'évidence !
En 1995, Pearl Jam participe à l'album Mirror Ball de Neil Young, cette expérience toute récente se ressent avec l'aspect folk qui se dégage de ce disque, ainsi que sur le lourdeau "Smile", riff crado, harmonica à l'appui ; l'influence Neil Young éclate ici au grand jour : un des titres les moins bons du disque. Sur "Red Mosquito", le riff électrique n'est pas sans rappeler les titres lents de Bad Religion... ne pas oublier qu'Eddie Vedder a participé à l'album Recipe For Hate en 1993. L'alternance acoustique / électrique tourne à plein régime, avec de belles mélodies et un côté un peu décousu, destructuré, à l'image de No Code finalement. Pearl Jam sait encore se montrer nerveux, agressif ("Hail, Hail" et surtout le bruyant "Habit", terriblement puissant), même si là encore aucun de ces titres ne marquera les esprits autant que les "Go", "Animal", "Porch", "Once", "Spin The Black Circle"...
Quoiqu'il en soit, No Code laisse un arrière-goût amer dans la bouche, un patchwork de qualité, mais avec une frustration palpable, une démarche déroutante, masochiste même, comme si Pearl Jam avait voulu saboter tout ce qu'ils avaient construit sur plusieurs années, et surtout l'impression que plus rien ne sera comme avant.