Comity -
As Everything Is A Tragedy
Quand on appelle son premier album The Deus Ex Machina As A Forgotten Genius, on peut légitimement comprendre certains préjugés de la part de l'auditeur qui va s'attendre à écouter un groupe plutôt cérébral. Et il aurait bien raison : Comity est un groupe totalement expérimental, un qui envoie bouler toutes les tentatives d'étiquetage et de description facile. Du postcore au grind en passant par la pop, le jazz dégénéré et le doom, Comity a décidé d'abattre toutes ses cartes sur cet album schizophrène et imprévisible. Ne cherchez surtout pas à comprendre...
Inutile en effet de se barder d'arguments et d'analyses métaphysiques ici : la musique de cet album est tellement alambiquée et difficile d'accès qu'elle ne saura trouver d'écho que dans la sensibilité de celui qui l'écoute. Le genre lui-même demande un état d'esprit particulier pour être abordé : vous qui ne jurez que par les refrains, les couplets et les enchaînements bateaux laissez ici toute espérance... car cet album ne renferme qu'un titre! Ou disons plutôt que les musiciens de Comity ont écrit cinquante-cinq minutes de musique et l'ont posée sur un cd tel quel, comme une gigantesque jam dont le seul fil rouge serait la volonté de ne pas arrêter le morceau. Et bien évidemment de balader l'auditeur sans ménagement d'une émotion à l'autre, ne le laissant goûter au repos et à la contemplation que pour mieux le surprendre vicieusement par un tir de barrage de folie furieuse et déstructurée.
Les musiciens de Comity enchaînent comme des sagouins d'un genre à l'autre, et ceci sans aucune difficulté. La dominante reste postcore donc pensez riffs dissonants et tordus sur fond de chant hurlé possédé... mais instruments comme chant savent dépasser cette sphère pour aller fouler joyeusement les terres de l'inclassable. Le chant va fureter du côté du grind et du brutal-death : le sieur Thomas se déchire littéralement sur tout l'album et sonne toujours juste alors que la versatilité de ses camarades brille de mille feux. Aux déferlantes postcore sans queue ni tête s'ajoutent en effet des plans accrocheurs en diable qui relancent sans cesse le plaisir d'écoute : stoner voire doom, puis pop, puis death, puis grind, puis post-rock... Comity n'est certes pas le premier groupe à proposer un mélange de ce genre mais il atteint un niveau d'intensité et de talent brut qui laisse sans voix à plusieurs reprises.
As Everything Is A Tragedy regorge en effet de moments de grâce, de plans qui font flotter l'auditeur quelques instants grâce à une inspiration particulière. Leur valeur est d'autant plus précieuse qu'il est impossible de les retrouver ensuite sauf à écrire leur temps de passage... Qu'il s'agisse d'arpèges ou de mélodies limpides sortant de nulle part, d'un blast-beat inhumain ou d'une progression d'accord sur laquelle Guillaume fait un break de deux minutes, on finit tôt ou tard par se prendre un de ces passages en fer forgé qui laissent des séquelles et ne se ressemblent presque jamais. L'album prend donc la forme d'une recherche musicale en temps réel, une exploration virtuose de là où tel ou tel plan peut mener un ensemble de musiciens. On observe le groupe s'enfoncer toujours un peu plus dans son univers torturé et on le suit avec délice car tout mène naturellement à ce qui suit et on ne sent nulle part la moindre artificialité.
C'est là l'incroyable talent de Comity : aussi complexe et cinglée que soit leur musique elle semble à chaque instant sortir des tripes des musiciens et pas d'un quelconque calcul de type branlette intellectuelle. Même les plans les plus bruitistes et injouables on un côté brut et primaire qui les rend appréciables en tant que tel, et ce sur quoi ils mènent est toujours pertinent. As Everything Is A Tragedy est donc un recueil d'idées psychotiques possédant une cohérence en béton armé : cet album rivalise voire dépasse les références connues en matière de truc de fou (je pense à Dillinger Escape Plan ou Ephel Duath) et je le conseille à n'importe quelle personne un tant soit peu sensible au style.
Cet album très exigeant ne s'écoutera que d'une traite à l'autre et ne s'appréciera que dans l'état d'esprit adéquat, mais passée cette limite il n'a que très peu de défauts. À écouter d'urgence!