Bon vu que je suis a peu près certain que le nombre de lecteur de cette chronique va avoisiner les abîmes des scores du site (n’ayez crainte, j’y suis abonné), je me lâche! Attention donc, surdose de propos élogieux et lyrisme exacerbé seront maître de cérémonie ici! Je commence tout de suite avec une approche thématique sur la définition de la musique progressive! Lecteur égaré, il est encore temps pour toi de quitter cette page!! Let’s Go!! Initialement, on a appliqué le terme rock progressif pour décrire un ensemble de groupes qui avait su s’affranchir des limites qu’imposait la musique rock (tout un programme!). Ainsi, le progressif n’était pas un style, mais une idée, une volonté d’évolution perpétuelle. Un groupe n’était pas progressif parce qu’il insérait un solo de synthé dans un morceau de vingt minutes ou qu’il opérait une rythmique syncopée sur fond de duel claviers/guitare mais parce qu’il expérimentait tout (pas mal) et n’importe quoi (surtout) sans la moindre restriction.
Certains amateurs pensent même que le progressif est mort le jour ou il s’est standardisé, devenant ainsi un genre à part entière bien défini avec des groupes qui n’avaient plus qu’à appliquer LA formule (les stigmates que sont les durées, les rythmiques etc..). Cette prise de position pertinente, quoique trop extrémiste à mon goût, a le mérite d’éclairer sous un jour nouveau l’histoire progressive et ainsi, la manière dont certains ont abordé et abordent encore cette musique. Pourquoi ce paragraphe introductif? Parce que le groupe qui nous intéresse aujourd’hui est un exemple vivant de cette définition originelle et là, ça le fait, on est d’accord!
Petite présentation : cela fait plus de vingt ans que cette entité suédoise existe et qu’elle mute selon l’humeur de Mats Johansson (clavieristé et compositeur du groupe, un petit génie pour le coup!). Pourtant, le groupe reste relativement peu acclamé par les amateurs, tout au plus cité par défaut lorsque l’on aborde cette fameuse scène progressive suédoise (sans aucun doute la plus passionnante depuis bientôt quinze ans). Oui, c’est parfaitement injuste. Quoiqu’il en soit, comme je le disais plus haut, Isildurs Bane a toujours su évoluer.Des débuts rock symphonique mélodique, en passant par l’ajout d’une orientation plus jazzy par la suite, le groupe finira enfin par apporter une touche classique à son répertoire avec le disque Cheval : Volonté De Roche. Album qui précède justement celui qui nous intéresse là tout de suite : The Voyage.
Si l’album cheval proposait déjà des expérimentations néo-classiques, ce n’était qu’une mise en bouche pour la suite! Car dans The Voyage le groupe va pousser le concept plus loin avec un mix assez improbable et sans concession entre rock progressif, jazz et musique de chambre (expérimentations qui trouveront vraiment un équilibre pour l’album Mind Vol. 1, mais j’y reviendrai). A tel point que cet album comporte plus de pièces à consonance purement classique (ne partez pas !!) que de grosses guitares. Evidemment, l’album est purement instrumental (si ce n’est quelques chœurs disséminés ça et là). Au delà de ces considérations stylistiques, ce qui ressort avant tout de la première écoute, c’est la finesse des arrangements élaborant des ambiances ciselées au fusain par les divers instruments invités.
C’est notamment le cas des trois promenades de Picassiette inspirées par les œuvres de Raymond Isidore. Trois pièces composées autour du délicat piano de Johansson où viennent se poser basse, violon, percussion et saxo. Non sans rappeler Satie, ces petits bijoux sont de pures merveilles mélancoliques et lyriques laissant l’âme de l’auditeur voguer au loin. Isildurs Bane s’est aussi attaché à décrire musicalement la Sagrada Familia en quatre parties. Chacune représente l’homérique cathédrale sous une période différente du jour. Chœurs religieux, flûte et guitare Gilmourienne nous proposent ainsi de courtes (environ deux minutes à chaque fois) transitions élégantes mais qui n’ont pas le génie de la trilogie Picassiette.
L’amateur du groupe devait être assez perdu vu le changement radical effectué ici (il devrait pourtant avoir l’habitude), mais heureusement pour lui, Isildurs Bane va tout de même citer son patrimoine musical sur deux morceaux plus « communs ». Le premier, "Das Junkerhaus", est le seul véritable morceau jazzy (c’est en contradiction avec ce que je dis plus haut, je sais mais c’est pas grave) de l’album. Basé sur l’artiste Karl Junker, il y est surtout question de saxophone langoureux. Bienvenu pour la diversité du disque, le titre ne déchaîne pas pour autant les passions (oui j’aime bien cette formule… et alors ?) et reste celui qui me touche le moins.
Le second, "Nimis – Wotan’s Tower" est un autre chef d’œuvre. On y retrouve le style typique d’Isildurs Bane, à savoir un rock prog tout en douceur, superbement mélodique où une guitare parfois héritée du floyd danse avec la flûte de Björn J:son. Sublime tout simplement! Et puis, il y a le titre fleuve éponyme : "The Voyage..." Explication : Adolf Wölfi était un Suisse légèrement dérangé (je sens venir les gags foireux). Du moins, suffisamment pour être interné dans un hôpital psychiatrique durant la moitié de sa vie. Il y perdit la mémoire avant de tenter de se reconstruire une histoire, une biographie. C’est là que son potentiel artistique explosa! Il utilisa les média à sa disposition (peinture, musique, écriture) et se créa une vie fantasmer extraordinaire. Du coup, il devint l’une des figures emblématiques de l’art brut, mouvement datant du début du siècle passé. Que pouvait donc donner un morceau inspiré par un artiste à moitié fou? Et bien, simplement l’un des sommets de l’histoire progressive voire de la musique contemporaine en général! Un fabuleux voyage musical, d’une inventivité folle (justement!) et superbe où l’auditeur n’a de cesse d’être émerveillé, surpris.
Divisé en quatre parties différentes, le tout avoisine les quarante-cinq minutes. Pour cette ambitieuse création, le groupe est accompagné par un véritable trio classique de virtuose (un violoniste, un violoncelleliste et un pianiste qui composent The Zorn Trio) permettant ainsi une symbiose fusionnelle inédite entre rock et classique. Ici les frontières n’existent plus, balayées par la beauté de la composition! Seul la partie "Wild As A Toad" ne respecte pas totalement ce schéma, puisqu’elle propose pas moins de dix minutes de champ libre au Zorn Trio (et donc totalement acoustique)! Mais attention, ces dix minutes sont d’une beauté a couper le souffle et s’insèrent parfaitement dans le reste (d’ailleurs "Wild As A Toad" est sans aucun doute le point d’orgue du disque, notamment dans ses parties électriques qui sont par là-même les plus furieuses du disque). La dernière partie, "Magnificient Giant Battles" vient clôturer ce chef d’œuvre sur les chapeaux de roue avec une orchestration symphonique écrasante reprenant le thème général pour une explosion musicale acoustique et électrique intense (ouf !!). A noter que les trois premières parties de cette composition seront réarrangées par la suite dans le live Mind Vol. 2 sous une forme différente mais tout aussi incroyable nommée "Exit Permit".
Des critiques? Bien sûr! Le disque n’est pas parfait et son principal défaut est son manque de cohésion. Car il est vrai que les expérimentations d’Isildurs Bane partent un peu dans tous les sens, rendant l’écoute parfois laborieuse. Défaut en grande partie résolu par la suite dans Mind Vol. 1 où le groupe trouvera l’équilibre parfait entre toutes ses composantes. Mais est-ce une raison suffisante pour mettre de coté The Voyage dans la discographie du groupe comme je l’ai trop souvent vu? Non!! Ce disque est une merveille qui mérite vraiment que l’on s’y abandonne complètement, délivrant ainsi tous ces secrets.
Au final, The Voyage est une œuvre à part dans l’histoire d’Isildurs Bane. Une sublime création qui mériterait sans doute d’être redécouverte. Peu accessible, grandiloquente et même écrasante, c’est une pièce musicale qui peut provoquer un grand rejet comme une admiration sans limite et sans borne (mon cas, vous l’aurez compris). La suite du groupe sera tout aussi passionnante et pleine de surprises (Mind Vol. 4, disque de pop ultime), prouvant par la même l’importance majeure de ce groupe qui reste, malgré tout, une ombre dans le paysage progressif actuel.