21 octobre 2017
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Strasbourg - La Laiterie
Foin de préliminaires inutiles. Revenons à la grande salle de la Laiterie, en une pluvieuse soirée d'octobre 2017, avec pour mot d'ordre l'expérimentation d'une musique ô combien immersive et pour maître de cérémonie, Godspeed You! Black Emperor.
La soirée s'introduit par l'arrivée sur scène de la Danoise
Mette Rasmussen. Point encore de cordes, de batteries, d'archets ou d’électronique, le matériel (conséquent) patientera paisiblement jusqu'à l'arrivée de la tête d'affiche. Pour l'heure, place à un bois et à Mette Rasmussen donc, qui se place au centre de la scène, simplement, prend son souffle et se lance dans quelque chose de tout à fait surprenant. J'aurais envie d'utiliser le terme de «
performance » ici, car la dame nous fait entendre le «
possible » d'un instrument qui est et demeure le symbole du jazz. Imaginez, un saxophone qui déclame son air dans un langage comme vous ne l'aviez probablement encore jamais entendu, ni même soupçonné. Le cliché traditionnel que nous prêtons fatalement à l'emblématique instrument est repoussé au loin, pour disparaître même totalement. Mette Rasmussen évolue dans le free jazz, les sonorités quelle parvient à faire jaillir illustrent d'emblée sa pleine maîtrise : de cette connaissance intuitive de son instrument, elle colore de bien folles idées. Durant toute sa prestation, nous l'entendons sonder le roseau et le laiton pour donner libre court à toute une expérimentation assez fantasque. Nous la voyons converser avec le saxophone, chercher, fouiller, chuchoter, crier, l'embrasser... C'est un duo au sens propre qui évolue devant nous, défiant les codex classiques d'un coup de bec audacieux, improvisant de manière toute à fait étonnante. Hélas, si l'on ne peut que saluer la prouesse, il reste aussi difficile de suivre l'interprétation de cet étrange éructation de sons inédits (en tout cas aux oreilles de votre modeste chroniqueuse), et rapidement, le décrochage se fait. Faute de fil conducteur l'auditeur reste quelque peu sur le carreau, en spectateur pas vraiment complice de l'instant, mais cependant ébahi de ces possibilités et enclin à applaudir sans bien saisir le but ultime de cette séquence.
Place alors à la tête d'affiche.
Godspeed You! Black Emperor. Du collectif, j'admets ne connaître que bien peu. Découvert à la faveur d'échanges d'impressions entre amis – époque où je retrouvais avec bonheur dans les productions post rock, les sensations naguère produites par d'illustres groupes de krautrock (comprendre, une échappée onirique de haut vol) - je me suis complu dans quelque-unes de ses nappes aériennes, dans ses cadences hypnotiques et dans ses montées en puissances savamment menées. Convaincue par ces quelques prémices, j'ai voulu cependant me garder une part de surprise pour cette occasion, pour le set de ce soir. Et je dois reconnaître que les espoirs fondés sur cette «
découverte » n'ont en rien été déçus. En effet, dès le premier titre offert, "Hope Drone", sur la grande scène de la Laiterie, face à un public manifestement d'avance conquis et attentif, GYBE saisit d'emblée et émeut, intimement. Ses morceaux, exclusivement instrumentaux, s'élèvent avec majesté. Chaque membre du collectif se place avec précision, technicité, mais sans la froideur mécanique que l'on pourrait redouter de la part de musiciens rodés par la scène, et l'ensemble se développe pour nous avec grâce et nous emporte dans un songe étrange composé de vibrations aux teintes indéfinies que l'on se surprend à tenter de saisir à pleines mains. Les pulsations de Godspeed You! Black Emperor résonnent d'ailleurs, avec une telle intensité dans la modeste salle que le corps lui-même peut devenir vaporeux - et les jambes de vaciller un instant sous le coup de l'émotion et de la puissance des vibrations phoniques. Un set où l'on ne peut que se sentir totalement impliqué. Mais ce sont aussi des images qui défilent en arrière fond, colorées par la musique. Tout d'abord imprécises, abstraites à nos yeux, puis de plus en plus nettes, mais sans velléités frontales, ouvrant simplement sur la conscience que face à nous, il est des artistes qui expriment quelque chose de valeur. «
Hope »
. La musique elle-même reste difficile à décrire - de celles qu'on ne peut qu'expérimenter pour bien comprendre les intentions du chroniqueur qui tente l'exercice et se vautre. Univers post-rock, il s'agit surtout d’atmosphères, tissées dans une trame aérienne, légère dans son appréhension, car elle n'écrase pas de front, elle n'est pas brutale. Cependant, elle est aussi dense, riche, c'est une musique qui vous enveloppe dans une mélancolie presque chaude. Si l'on pleurait, les larmes buteraient sur un sourire. Parfois, un grain de folie se glisse dans cet ensemble de superbe facture - ainsi lorsque Mette Rasmussen se joint au collectif pour l'interprétation d'un "Undoig a Luciferian Towers" par exemple. Mais surtout, l'on est conduit lentement, mais sûrement, à des paroxysmes, intenses, où la dragée nous est tenue haute. Car si longue est la progression, longue est également l'extase, la chute n'étant pas, si ce n'est celle du dernier silence.
Un concert saisissant, une expérience à vivre si l'occasion vous est donnée.