Winter : Bonjour. Pouvez-vous vous présenter en quelques mots pour ceux et celles qui ne vous connaissent pas ?
Juliette : Bonjour et encore merci d’avoir prêté attention à mon roman. Je m’appelle Juliette Nicolas, diplômée d’un Master Recherche en Littérature et spécialisée en lettres médiévales. Amoureuse de la nature et des mythologies du monde entier, mes choix littéraires se concentrent autour du syncrétisme et du paganisme afin d’y puiser une aura plus antique et authentique. À côté de mon activité d’écriture, je me suis également lancée en tant qu’illustratrice professionnelle et, récemment, je suis devenue apprentie tatoueuse. La création est vitale.
Winter : La Source est-elle votre premier livre ?
Juliette : La Source n’est pas mon premier livre. Avant de le publier, mon recueil de poésie, intitulé Le Chemin de Feu, a vu le jour. Sa réception a été incroyablement belle et c’est grâce à lui que je suis devenue illustratrice pro. Ce livre est très différent du roman : on y retrouve une écriture à fleur de peau et transcendantale. En effet, j’ai voulu traiter les sujets de la recherche de soi par la spiritualité et le chamanisme. Les poèmes ont pour but de descendre aux confins de soi, de son propre univers, de plonger dans ses coins les plus sombres pour en faire jaillir la lumière.
Winter : Je qualifierais La Source de « conte mythique » ? Êtes-vous d’accord avec cette appellation ?
Juliette : Cette appellation est parfaitement juste. Passionnée de contes, de mythes et de légendes, ces écrits ont été un socle pour fonder mon récit. Les aventures de Sor à travers la Surface s’apparente à une Odyssée celte, là où les dieux et les hommes se côtoient dans une horrible douceur. L’amertume de l’héroïne sublime les paysages froids et tortueux de ce monde de fantasy. Je pense sincèrement que les livres de Tolkien m’ont particulièrement inspiré. On y retrouve cette ambiance doucereuse.
Les mythes celtes et nordiques baignent allégrement La Source. J’y ai repris le mythe d’Odin en passant par la Cité d’Ys. Quoi de plus inspirant que les vieux écrits qui ont fondé nos récits modernes ?
Winter : Votre récit donne la sensation que vous adorez conter des histoires. Est-ce ainsi ? Racontez-vous des légendes à vos amis au coin du feu ?
Juliette : Aussi longtemps que je m’en souvienne, j’écrivais des histoires fantastiques et de fantasy. Il y a une certaine satisfaction à coucher sur le papier les images, les sons, les bruits et surtout les émotions que l’on ressent face à une scène. Adolescente, je m’essayais à plusieurs exercices : je créais une histoire autour d’un tableau ou d’une musique. L’univers des préraphaélites, de Beksiński ( et d’Atkinson m’ont littéralement transportée. Néanmoins, je préfère inventer silencieusement les histoires au coin du feu que de les raconter ! La vue du feu, sans parler des vapeurs de fumée, est incroyablement relaxante.
Winter : Même si elle possède un fil conducteur clair, La Source est un foisonnement de récits de « type nordique ». Vous-êtes-vous inspirée de textes/légendes/mythes existants ou est-ce une création 100% Juliette ?
Juliette : Comme je le dis plus haut, La Source est évidemment un hommage aux mythes celtes et nordiques, mais ce n’est pas tout. Dans ce roman, les paysages ont autant d’importance que les personnages : ils sont le réceptacle des pensées de Sor. Sans la présence si forte des montagnes et de l’eau, le roman est voué à l’échec. Et je pense qu’il en est de même pour l’être humain. Pouvons-nous être sans nature ? Les descriptions du monde de la Surface sont grandement inspirées de mes voyages en Irlande, Écosse et Norvège. En effet, j’ai parcouru le Nord de la Norvège à pied pendant un mois. À la fois perdue dans les montagnes et proche de l’eau, je vagabondais des heures par jour, sac à dos et carnet à la main. J’y ai noté toutes mes pensées, et très vite, le personnage de Sor m’est apparue, lors d’une nuit de tempête. Maintenant, je pense savoir pourquoi est-elle aussi froide ! Ainsi, lorsque je suis rentrée de mon périple, j’ai écrit, durant deux mois, l’Odyssée tumultueuse de Sor. Ce personnage, addictif sous certains aspects, est l’incarnation même de mes pensées cachées, celles qui demeurent tapies au fond de mes entrailles.
Winter : Corollaire de la question précédente, en rapport avec l’univers que vous décrivez : un auteur peut-il créer une œuvre tout seul ou doit-il forcément puiser dans une « mémoire collective » préexistante ?
Juliette : Peut-on imaginer sans aucune base ? Impossible. Notre environnement nourrit obligatoirement notre imagination. Que ce soit les sons dès notre gestation ou bien la multitude de récits que nous pouvons lire, je pense sincèrement que la création est corrélée à ce que nous consommons. La mémoire collective est également un facteur fascinant, et c’est pour cette raison que les contes et mythes m’obsèdent. Les premiers contes, bien souvent étiologiques, à la lisière du mythe, encensent un schéma de pensée primitif. Cette première interprétation de la psyché humaine a bâti des siècles de pensées que nous peinons à nous détacher. Maintenant, nous oscillons entre la déconstruction de toutes ces formes violentes et injonctives de pensées et un retour primaire aux sources de l’humanité, bien trop souvent idéalisée et mystifiée.
Winter : Dans quelle mesure vous identifiez-vous à Sor, la protagoniste ? Êtes-vous également « en quête » ?
Juliette : Chaque personnage est un petit morceau de mon cœur. Je l’ai morcelé de manière brutale pour les modeler dans une obscurité imaginaire. Je suis d’un naturel joyeux, mais Sor reflète mon côté glacial. C’est par le biais de l’écriture que je purge ma solitude intérieure et mes pulsions d’Eros et Thanatos.
Je pense que nous sommes tous en quête perpétuelle. Nous courons toute notre vie vers un avenir meilleur, que ce soit pour nous ou pour la collectivité. Et c’est une quête qui ne s’achève jamais. La religion a été créée justement pour cela : donner l’espoir que cette quête continue après la mort.
Pour ma part, je suis perpétuellement en quête d’apprentissage : je vois ma vie et mes années comme une spirale, un cycle qui ne s’éteint jamais et qui se renouvelle tous les jours. Cultiver l’amour du monde et de nos proches demeure nécessaire.
Winter : Sans dévoiler le récit, la notion de sacrifice est extrêmement présente dans ce dernier, tout comme dans tous les textes à portée initiatique. La Source possède-t-elle une visée initiatique ? En quoi la notion de sacrifice vous parait importante ?
Juliette : Versée dans une magie personnelle, j’accorde beaucoup d’importance à la notion de sacrifice. Au-delà de l’aspect mystique, cet acte, loin d’être anodin pour quiconque le pratique, est un dénouement pour ceux que l’on chérit. Se sacrifier, c’est également déposer une partie de soi pour le bien-être d’autrui. Finalement, le plaisir de donner adoucit la peine et nous avons le bonheur de voir germer et fleurir les fruits de nos efforts. Si l’on attache à un autre prisme de vision, le sacrifice était – et est- un acte religieux et spirituel : on abandonne un pan de la réalité en s'espérant dans une entité plus grande, impalpable et qu’on ne peut nommer.
La Source a pour but de montrer ces différents aspects sacrificiels. La quête de Sor est une initiation à la vie, à la mort, et à cet entre-deux que l’on peut qualifier de «
sacrifice » car le sacré est omniprésent dans ce roman.
Winter : Quel rapport entretenez-vous avec la musique ? Ce livre a-t-il été écrit en musique ?
Juliette : La musique est mon carburant. Je ne peux ni composer, ni écrire ou dessiner sans musique, sincèrement ! Chaque son me donne de nouvelle idée et me procure différentes émotions que j’aime retranscrire selon le medium que j’ai choisi. Chaque chapitre de La Source est inspiré de titres très puissants pour mon imagination.
Winter : J’imagine que vous vous êtes inspirée de groupes pagan/ folk/ black plutôt que de djent ? Ai-je des dons de voyance ?
Juliette : Pour ce livre oui, même si je reste adepte de djent ! Le pagan/ folk/ black demeurent les styles qui m’ont le plus aidée à la composition. Le premier chapitre a été composé avec l’album Futha de Heilung par exemple. J’ai souhaité instaurer dès le début une atmosphère mystique et brutale, taillée dans la pierre de l’humanité. Je ne pourrais pas ne pas évoquer la fabuleuse compilation en hommage à Summoning : In Mordor where the Shadows are. Je vous invite fortement à lire La Source avec la majorité des titres, au même titre que l’album d’Eldamar The Force of the ancient World. Ce sont ces ambiances occultes et planantes qui fondent et fortifient mon imaginaire de fantasy. Néanmoins, des titres de Deadwood Lake ont également donné leur nom à certains chapitres, je vous laisse deviner lesquels !
Winter : Pourriez-vous vous passer de musique ? De lire ? D’écrire ?
Juliette : Privez-moi d’art et vous me conduisez à la potence. Vivre sans art, sans imitation sublime de la réalité, serait un véritable drame. Depuis le commencement, l’humain n’a cessé de créer, de dessiner, de peindre et de composer de la musique. L’écriture a marqué un véritable tournant dans l’histoire de l’humanité. Comment pourrions-nous exister sans cela ?
Winter : Des groupes préférés ?
Juliette : Question ardue ! Étant adepte de fantasy, plutôt tourné old school ou dark, Rhapsody et Summoning ont littéralement marqué mon imaginaire. La Finlande porte, à mon sens, un pan majeur de mes goûts musicaux : entre Ensiferum et Finntroll que j’affectionne tout particulièrement, se trouve Wintersun que j’ai découvert plutôt récemment et dont je ne pourrais me passer. Changeons de style. L’esthétique black est tout particulièrement chère à mon cœur. Il y a plusieurs années de cela, mes goûts se portaient davantage sur des groupes à visée anti-religion comme Behemoth, mais je trouve que cette esthétique s’essouffle, bien que Nergal demeure un de mes chanteurs favoris. Cult of Fire possède une aura qui me plait davantage : on y retrouve ce goût de l’obscurité et du culte des noirceurs, mais d’une autre religion que l’on a peu écumée.
Winter : Avez-vous d’autres cordes à votre arc que l’écriture ?
Juliette : Mon activité d’illustratrice professionnelle rajoute cette autre corde effectivement ! Contre toute attente, elle m’a conduit naturellement vers le métier de tatoueuse qui me plaît, et qui j’espère, plaira à nombre d’entre vous. Dans un tout autre genre, j’aime passer du temps à mélanger les plantes et herbes pour confectionner des tisanes ou des thés, adaptés aux besoins de chacun. Récemment, j’essaie de m’entraîner à la musique (chant, lyre, bodhrán et cithare germanique) mais je pense garder ce pan pour moi, pour le bien être de chacun !
Winter : Quels sont vos projets en cours ?
Juliette : Je continue encore de fonder mon entreprise. Celle-ci n’a pas encore un an et foisonne déjà de mille façons. Ce n’est pas évident de tout gérer ! Cependant, j’ai plusieurs autres livres en cours. Si tout se passe bien, deux autres sortiront avant 2021. Je travaille actuellement sur un court roman de fantasy, à forte symbolique et à portée philosophique. Les auteurs de la Grèce antique m’aident fortement. À cela, le troisième livre des Éditions du Sidh est presque achevé. Il portera sur une vulgarisation du mythe de Mélusine et à la justification répétée de la créature de la femme-serpent dans les mythologies du monde.
Winter : Le monde actuel vous convient-il ?
Juliette : En partie seulement. Dans notre monde occidental, nous vivons dans une quasi-abondance de biens et de sécurité par rapport aux derniers siècles. Nous avons une chance absolue d’avoir de multiples recours pour réaliser ses rêves et vivre de la façon dont nous souhaitons, que ce soit de manière classique ou marginalisé. Mais je ne souhaite pas idéaliser l’Occident qui demeure l’une des sources principales des maux du monde. L’homme ne peut se passer se créer des conflits et d’asservir autrui pour mieux régner, et ainsi, mieux vivre. Ce n’est pas pour rien si nous avons une existence si confortable en Europe.
Winter : Qu’y a-t-il après la mort ?
Juliette : Rien d’affirmatif, et c’est cela qui me plaît : l’Après demeure une source inépuisable d’imaginations et d’histoires. Nous ne pouvons que supposer, laisser place à des rêves et des fantasmes qui ont tous leur place. Si je pouvais émettre une hypothèse, je vois la vie et la mort comme un cycle et une spirale. Pour cela, la conception des Celtes m’a énormément marqué : rien ne s’arrête, tout se transforme et continue d’exister sous différentes formes. La taoïsme et le concept de l’Arkhè nourrissent également ma philosophie de l’Après. Je pense que le fait de méditer sur cette notion n’est pas angoissant : il permet justement de revenir à une réalité plus palpable qui est celle de vivre l’instant présent et de ne jamais rien regretter.