Soledad, A Solo Project

Entretien avec Lola Damblant-Soler - le 02 février 2020

87
Malice

Une interview de




Soledad,_A_Solo_Project_20200202

À l’occasion du premier anniversaire de Catharsis, premier album assez prometteur pour s'être fait une place dans mon Eternotop 2019, la musicienne et compositrice à l'origine du projet m’a accordé un interview.

Malice: Hello ! Avant toute chose, pourrais-tu te présenter pour les lectrices et lecteurs qui ne te connaîtraient pas ?

Lola: Bonjour, je suis Lola Damblant-Soler, j'ai vingt-trois ans, je suis française et je suis aussi compositrice, guitariste et je chante. J'ai sorti un album de metal progressif en février 2019 qui s'appelle Catharsis sous le pseudonyme de Soledad, A Solo Project.

Malice: On sent que tu as beaucoup mis de cœur et de réflexion derrière la création de Catharsis. D'où t'est venue l'idée de commencer un tel projet ?

Lola: Ça remonte à 2016 (juin, juillet), un an après que j’ai quitté une relation plus que nocive. J'étais un peu comme un zombie, je ne savais pas trop où j'en étais dans ma vie, j’avais commencé un EP où il y avait déjà “Routine”. C’était juste un EP instrumental. En juin, j’ai réalisé plein de choses sur cette relation et comme elle m’avait affectée inconsciemment. J’ai commencé à prendre conscience de tout et ça m’a pesé de plus en plus fortement. À partir de là, j'ai commencé à écrire les textes de Catharsis ; c’était juste pour évacuer, de base, mais je me suis dit : t’es musicienne, fais-en un album. C'était dans un but thérapeutique et d’introspection, pour faire ma propre analyse.
De la réflexion, je n’en ai pas tant mis que ça, par contre du cœur, oui. Catharsis, c’est de l’affect et du ressenti. Après oui, on peut dire qu’il y a de la réflexion derrière, dans le sens où j’ai essayé de traduire musicalement ce qui se passait dans mes textes. Mais à part ça, non, c’est surtout de l’affect, du ressenti et de l’émotion.

Malice: En m'intéressant un peu plus au line up de Catharsis, j'ai vu que tu avais quasiment tout fait toute seule (composition, arrangement, écriture, etc). Dans ce processus, quelle est la partie que tu as préférée ?

Lola: Oui, j’ai à peu près tout fait toute seule. Lucas de la Rosa m'a beaucoup aidée pour l'arrangement et a fait toute la production, mais sinon l’écriture, la composition, l’enregistrement des guitares et des voix, c’est moi.
Pour l’écriture des paroles, ça m’a fait beaucoup de bien de ressortir tout ça et de le transférer sur le papier. J’avais l’impression que ça sortait de mon corps pour aller autre part et noircir la feuille au lieu de me noircir moi, à l’intérieur. C’était un processus vraiment satisfaisant.
Pour la composition, j’adore ça. Si je pouvais composer toute ma vie et ne vivre que ça, je le ferais sans hésiter, mais vraiment. C’est la composition que je pense avoir préférée, parce que c’est ultra intéressant de partir d’un texte ou d’une idée et de réussir à la traduire musicalement avec toute la boîte à outils dont on dispose et de voir comment faire pour que ça fasse sens musicalement parlant aussi. J’ai aussi adoré arranger tout le bazar avec les cordes, les claviers, etc.

Malice: La première fois que j'ai entendu Catharsis, j'ai vraiment eu l'impression d'entendre quelque chose d'unique, qui ne ressemblait à rien de ce que j'ai déjà écouté auparavant. Pourtant tu as sans doute tes influences musicales ?

Lola: Oui ! Beaucoup de mes influences viennent du metal progressif principalement : Leprous, Haken, Steven Wilson, Opeth, Plini… toute cette vague-là, que ce soit instrumental ou pas, est une grosse source d’inspiration pour moi, pour trouver des idées au niveau harmonique, thématique, de la composition et de la structure d’un album, ce genre de choses.
Je rajouterais aussi la musique romantique donc Chopin, Liszt, Debussy sont des grosses sources d’inspiration au niveau des progressions harmoniques et des thèmes.
Donc « unique »… je ne trouve pas tant que ça, après je ne suis plus du tout objective sur mon propre album, j’entends clairement d’où mes idées pourraient venir. Mais c’est cool, merci.

Malice: En lisant les paroles de tes compositions, j'ai remarqué que tu utilisais l'anglais et le français. Pourquoi avoir choisi deux langues ?

Lola: Ça va sonner bizarre, mais en fait je n’ai pas choisi. C’est-à-dire que pour l’écriture des paroles, j’ai utilisé une technique qui s’appelle l’écriture automatique. L’anglais n’est pas ma langue maternelle. Je l’ai utilisé car c’était aussi flou que la situation dans laquelle j’étais. À partir du moment où j’ai réalisé ce qui s’était passé réellement, dans les faits, j’ai commencé à écrire en français pour ce côté plus “clair”. Pour moi c’est beaucoup plus naturel d’écrire en français qu’en anglais. Ça a été le moment de la révélation, et donc je me suis dit : « ça, tu l’écris en français parce que tu te rends compte de tout ».

Photo_1_h_w

Malice: En parlant des paroles, j'ai remarqué que certains des thèmes et images que tu as utilisés (le soleil de juin notamment) reviennent, surtout dans "Indigo". D'où vient ce choix ?

Lola: Ce n’était pas vraiment un choix, c’était vraiment de l’écriture automatique donc les métaphores me venaient aussi comme ça. En fait, l’album décrit juste l’aspect chronologique de mes années 2014-2015 et comment ça s’est déroulé.
La rupture a eu lieu en juin. Métaphoriquement, le soleil de juin, c’est quand j’étais dans le train, que je rentrais chez moi. J’ai pris un train à la dernière minute, c’était horrible (rires). Donc je suis rentrée et il y avait le coucher de soleil (il était 20h), puis le voyage a duré toute la nuit. Je trouvais intéressant de faire le parallèle entre le soleil de juin qui disparaît au loin et celui, dans "Indigo", de la relation qui s’évanouit et qui devient absente. Ça semble un peu nul quand j’en parle comme ça [ndlr : pas du tout] mais c’était un peu l’idée. Le soleil de juin revient aussi forcément dans "Sun of June". Tout ce qui se passe entre "Sun of June" et "Indigo" est un laps de cins-six heures, c’était un moment très dense dans ma vie.

Malice: Certaines des paroles de Catharsis ont un côté surréaliste et très imagé, très intriguant. Pourrais-tu détailler ton processus d'écriture ?

Lola: Je prends une feuille, j’écris tout et éventuellement j’essaie de réagencer un tout petit peu vu que dans l’inconscient collectif, il faut des rimes, mais c’est tout. Globalement, là, si je ressors mon carnet de brouillon de 2016, il y aura quasiment la même chose que dans l’album, à une dizaine de phrases près.
J’écris ce qui me passe par la tête, je ne réfléchis même pas. Après, je vois comment améliorer un petit peu, mais j’ai un style très brut et c’est voulu. Je ne voulais pas aller dans la démonstration technique pure et dure et vu que je ne suis pas une écrivaine, ça n’aurait pas été intéressant de se mentir à soi-même et faire plus compliqué que nécessaire. Donc j’ai gardé un style assez sobre et brut. Surréaliste, je peux comprendre, mais les images venaient directement de ce que j’ai vécu et de ce que je pouvais observer quand les situations décrites dans l’album arrivaient. Je n’ai pas écrit dans l’idée d’être dans un courant surréaliste, c’était vraiment des impressions que j’ai eues ou des souvenirs et des visions, des sons qui étaient très présents pendant la chronologie des évènements.

Malice: En réécoutant l'album, j'ai vraiment été charmée par "Parasite" et la façon dont tu as repris un thème de Purcell. D'où t'es venu l'idée d'incorporer ce thème à Catharsis ?

Lola: Il y a plusieurs symboliques là-dedans. J’étais à la fac en musicologie et j’ai dû le chanter, ce morceau (en version baroque de Purcell, donc pas ma version du tout) et je l’ai complètement foiré à mon partiel, il était horrible (rires). J’ai donc eu ma revanche à prendre dessus.
D’un point de vue plus profond… Je ne vais pas faire un dessin mais "Parasite", c’est pas très compliqué à comprendre. Ça représente un évènement extrêmement dur et compliqué. Si j’ai foiré ce partiel, c’est justement parce que j’ai fait un gros transfert entre les paroles, qui parlent de la mort de la reine Didon et un moment où j’ai eu l’impression de mourir. Du coup, j’ai complètement phasé. Je me suis dit: « ce serait une super idée de le mettre dans l’album », à charge de revanche mais aussi pour le côté symbolique.
En plus, j’adore ce morceau, franchement c’est mon morceau baroque préféré, le thème m’achève tout le temps et la progression harmonique aussi… C’est juste fou, musicalement, ce qu’il s’y passe et je trouve qu’il avait clairement sa place dans Catharsis.
Après, reprendre une œuvre dite « baroque » ou « classique » en prog métal ou même la reprendre avec des instruments amplifiés, c’est extrêmement casse-gueule et je suis contente qu’elle ait été très bien reçue. On peut vite tomber dans le très kitsch et vite tomber dans la grosse parodie, ce n’était pas du tout le but. L’objectif, c’était de prendre une revanche sur tout ça et vu que c’était un de mes morceaux préférés, c’était important pour moi de bien le refaire.

Malice: Comment es-tu entrée en contact avec les guests (extraordinaires, soit dit en passant) présents sur Catharsis ?

Lola: De base, aucun ne devait être guest, ce sont tous mes potes, en fait. Lucas, je le connais depuis 2015: on s’est rencontrés à un concert d’Opeth et on est devenus super proches. Quand on en avait discuté, je lui avais demandé si c’était possible pour lui de produire mon album et il m’avait dit: « ouais, je suis chaud ». Du coup, le fait qu’il soit guest était évident, c’était impératif, il n’y avait aucune question à se poser, c’est l’un des meilleurs musiciens que je connaisse. J’ai rencontré Liam à travers la Prog Snob community [ndlr : Prog Snob est un groupe d’amateurs de prog sur Facebook]. On avait commencé à discuter et j’étais un peu cachée dans mon coin, en train de l’observer jouer sur internet, métaphoriquement. Donc je le regardais, j’osais pas trop lui parler. Un jour, je lui ai envoyé: « Salut, tu joues trop bien, bisous, au revoir » (rires) et depuis, on devenus super proches aussi. C’est l'un de mes meilleurs potes aussi, on s’entend trop bien et en vrai, c’est le premier à qui j’ai proposé un guest et avec qui j’avais envie de bosser parce que j’étais absolument impressionnée par son jeu. Pour moi, il a quelque chose de « jamais entendu » auparavant, son jeu est vraiment trop original et je le voulais dans Catharsis. Du coup, comme on avait beaucoup discuté, il était très chaud.
Hugo, je le connais de la fac. C’est le guitariste de Fractal Universe qui est un super groupe de technical death metal [ndlr: qui avait donné un très bon concert au Motocultor 2016]. Pendant ma dépression, il m’a beaucoup aidée, c’était juste une évidence qu’il soit dans l’album. En plus, c’est un guitariste classique donc pour "Parasite", c’était une évidence car c’est typiquement le genre de trucs qu’il joue à la guitare classique.
Pour Soumia, la première fois que je l’ai vue jouer, c’était sur Instagram. Je suis tombée sur son profil et je me suis dit : « Oh mon Dieu,elle est beaucoup trop forte, elle est trop bien ». On a commencé à discuter, on faisait de la guitare toutes les deux, donc voilà. Elle est beaucoup trop cool, on a beaucoup parlé, aussi. Après, on est devenu un peu moins proche toutes les deux mais on s’entend toujours bien. J’adore son jeu, elle a un phrasé de dingue. C’est la dernière à qui j’ai proposé, on a partagé beaucoup de choses ensemble émotionnellement parlant donc c’était aussi une évidence.
Donc voilà, c’est tous des potes avant d’être des musiciens qui ont joué sur Catharsis. J’avais un contact déjà avant avec tous, et c’était important pour moi d’avoir des gens qui m’étaient proches et qui comprenaient le projet.

Malice: Après plusieurs écoutes (j'en avais parlé dans ma chronique), j'ai trouvé que le projet donnait une impression très ambitieuse. As-tu eu des doutes lors du processus de création de ce premier album ? Qu'est-ce qui t'as permis de les surmonter ?

Lola: Des doutes, j’en ai encore (rires). Concrètement, concernant Catharsis, il n’y a aucun moment où je n’ai pas eu de doute et c’est ça aussi qui est intéressant: réussir à sortir quelque chose en étant remplie de doute (j’ai un syndrome de l’imposteur absolument effroyable aussi), c’est très compliqué surtout quand il y a un affect comme ça avec le thème. J’ai toujours eu des doutes, j’en ai encore et ce n’est pas grave: tout le monde doute à propos de plein de choses. À la limite, le seul truc sur lequel je n’ai pas douté, c’était la performance des guests et la qualité de la production. J’étais à fond dans l’hésitation sur tout ce qui se rapportait à moi: « est-ce que là, je devrais rajouter un cycle ? », « est-ce que là, je devrais arranger un peu plus ? »... tout le temps. Mais, à un moment, si on ne laisse pas ses doutes de côté, on ne fait rien.
La plupart des prises que j’ai faites, je pourrais les refaire quinze fois mieux maintenant. Même pendant l’écriture de l’album et l’enregistrement, j’aurais pu faire beaucoup mieux mais à un moment, il faut juste avancer et passer à autre chose parce que sinon, on ne sort rien. Donc les doutes, il faut les garder mais pas au point qu’ils ne deviennent un handicap. Je sais à quel point c’est dur car j’en suis gavée tout le temps, mais c’est ça qui fait progresser en même temps. Il faut réussir à en faire abstraction et être objectif sur certaines choses: ce qui est bien, ce qui n’est vraiment pas bien et qui doit être corrigé, on le corrige et à partir du moment où c’est bien voire très bien, on le garde. Après, il n’y a pas besoin que tout soit parfait parce que la perfection, c’est chiant. Quand tout est édité à la note près sans la moindre faille, ce n’est pas intéressant. Il faut exploiter ses doutes, c’est ce qui rend une œuvre plus humaine.

Malice: J'ai souvent entendu dire qu'il était plus difficile pour une femme de se faire une place dans l'industrie musicale. Maintenant que ton album est sorti, as-tu ressenti quelque chose de similaire?

Lola: Je pense que ça dépend de la communauté. Ce n'est pas difficile d’avoir de la visibilité, par contre c’est plus compliqué d’avoir de la crédibilité. Après, je pense que là, les mentalités ont changé. Je peux vraiment l’observer à la MAI « [ndlr : Music Academy International] », en guitare: je suis la seule fille et je ne le ressens jamais, je ne me sens jamais mal à l’aise par rapport à ça. Je suis juste un être humain et je n’y suis pas une « fille », quoi. On ne me rappelle pas que je suis censée être moins bonne parce que je suis une femme.
Avec ça, je n’ai pas eu vraiment de soucis. D’après plein de gens, l’album est solide donc je n’ai pas vécu ça de cette manière. Après, forcément, j’ai eu quelques lourdauds qui sont venus dans mes messages privés pour me dire: « ouais, c’est qui qui l’a écrit, ton album ? » Quand je leur réponds: « c'est moi », c’est un peu compliqué pour certains de comprendre qu’une femme peut écrire de la musique. Sinon, j’ai pas ressenti ça et à aucun moment on ne m’a fait sentir que je n’étais pas acceptée. J’avais vraiment peur de ça et dans les faits, les mentalités ont beaucoup changé. C’est vraiment cool car j’ai ça de moins à penser.

Malice: Catharsis est sorti en février 2019, cela fera bientôt un an. Comment a été cette année pour toi ? Est-ce que beaucoup de choses ont changé ?

Lola: Non (rires). Le plus gros changement s’est fait à la rentrée en septembre. Le fait que je rentre à la MAI a été un changement majeur: je peux enfin jouer avec des gens et je ne suis plus dans ma chambre.
Ça a été un peu libérateur: franchement, j’en avais marre de Catharsis, ça faisait trois ans que je bossais dessus et à la fin, on fatigue. Surtout que j’étais toute seule, il y avait Lucas à la prod et les guests. C’était vraiment un taf à 100% en plus de mon 100% salarié, donc c’était un peu compliqué. Mais non, il n’y a pas grand-chose qui a changé, à part que maintenant, j’ai une certaine crédibilité auprès des gens. Vu que j’ai sorti un album, ils se disent que j’ai une certaine crédibilité, surtout en composition. Par exemple, des personnes viennent me demander des cours de compo et ça se fait.

Malice: Quels projets as-tu pour la suite ?

Lola: Quelque chose se prépare, je n’en parle pas pour l’instant, par confidentialité. Mais on est en train de monter ça en live, j’ai trouvé des musiciens incroyables. J’ai deux guitaristes qui sont des potes de promo avec moi. Ils ont chacun leur style bien à eux et sont tous les deux géniaux à leur manière. J’ai un bassiste, un vieux pote du lycée qui est incroyable, et un batteur qui l’est tout autant. J’ai aussi réussi à dégoter un ingé son dans la filière « music prod ». Voilà, monter le projet en live, c’est le principal objectif actuellement. On est vraiment en train de bosser dessus, on a déjà monté deux morceaux, on se fait une répétition cette semaine normalement, ça va être cool, on en fait relativement souvent. Vu qu’ils sont tous incroyables et super motivés, ça avance super vite et je ne me fais vraiment pas de souci.
Le deuxième album est en cours d’écriture, j’ai déjà cins-six morceaux, mais je n’ai pas du tout le temps de bosser dessus avec les cours. Donc il est là, il est au chaud, les idées sont notées, tout commence à se mettre en place.


©Les Eternels / Totoro mange des enfants corporation - 2012 - Tous droits réservés
Trefoil polaroid droit 3 polaroid milieu 3 polaroid gauche 3