Winter : Salut Belza ! Tu es chroniqueur pour Les Eternels depuis un certain temps, mais tu es surtout connu comme dessinateur. Première question, ou plutôt première confirmation : ta passion pour la musique ne transparaît pas dans tes BD, n’est-ce pas ? Jotunheimen, ça sonne black metal, mais c’est une coïncidence… (rires)
Belzaran : En fait, j’ai fait une tentative il y a un certain temps. J’avais dessiné quelques planches de Live Report, mais le problème, c’est que j’écoute des trucs que personne ne connaît dans le grand public. Quand j’en parle, j’ai l’impression de parler dans le vent, d’autant plus que je côtoie très peu de gens qui écoutent du metal. J’aurais même du mal à parler du milieu metal. Ça reste néanmoins dans un coin de ma tête, quand je crée des personnages par exemple. Je peux me dire « tiens, si celui-ci jouait de la gratte... », ce genre de choses… Le metal est pour moi une activité solitaire.
Winter : Tu n’es donc pas un gros chevelu avec une veste à patches…
Belzaran : Non, mais j’ai une barbe.
Winter : Ah, bon, ça va alors… (rires) Donc ton univers de BD, c’est surtout l’univers professoral et de l’école en général…
Belzaran : Disons que j’ai beaucoup dessiné sur les profs, parce que ça fait partie de mon univers. Je donne dans l’autobiographie – comme la BD Salle des Profs - ou l’autofiction, basée sur des expériences personnelles, donc. Je reste sur des choses que je connais, et que j’ai vécues, même si je me permets d’inventer certains passages, histoire de rendre le tout intéressant, comme pour Jotunheimen, mon périple en Norvège, qui n’était pas suffisamment intéressant pour le raconter tel quel.
Winter : Il y a donc toujours une base réelle pour l’ensemble de tes œuvres.
Belzaran : Il y a longtemps, j’inventais des mondes, de science-fiction ou d'heroïc-fantasy, mais en vieillissant, ce qui m’intéresse, c’est de parler de choses que je connais. Je pense avoir des choses plus intéressantes à raconter que quand je tentais de tout inventer, en essayant de trouver l’Idée originale avec un grand I. Ce changement vient aussi de l’évolution de mes lectures. Tout ce que je lis influence directement mes dessins. En musique, c’est pareil.
Winter : Tu écris de la musique ?
Belzaran : Oui. Du metal. Et c’est pareil, j’ai toujours été influencé par mes écoutes du moment. Je n'ai pas un style immuable. Quand j’écoute du power metal, j’écris du power metal, pareil avec le melodeath. J’intègre les groupes qui me marquent. Le fait que je fasse ça dans mon coin – je n’ai pas de groupe – me donne cette liberté.
Winter : Tu as donc un certain nombre de morceaux prêts ? Ou d’albums ?
Belzaran : Quand j’étais étudiant, j’enregistrais des albums, oui. Maintenant que je travaille, ma production est beaucoup plus sporadique. Dernièrement, je programme ça sur Guitar Pro, je n’enregistre même plus. Je n’arrive plus à trouver le temps pour aller au bout.
Winter : Que pratiques-tu comme instrument ?
Belzaran : A la base, la guitare, mais en école, je me suis mis à jouer aussi de la basse dans un groupe. C’est pendant ces années étudiantes que j’ai appris la propreté du jeu. Maintenant, j’ai délaissé la basse et me contente de gratouiller de temps en temps.
Winter : Mais tu privilégies le dessin…
Belzaran : Actuellement oui, même si j’ai toujours plusieurs activités en parallèle. J’ai fait de la création de jeux vidéos, par exemple, j’ai également écrit des livres, et donc, je fais de la musique.
Winter : Depuis combien de temps dessines-tu ?
Belzaran : Je me suis mis à faire de la BD il y a huit ans.
Winter : Tu as ton public ?
Belzaran : J’ai un blog et un certain lectorat, même si c’est dernièrement un peu en baisse. Les blogs BD c’est moins à la mode, de manière générale. Maintenant, il faut être sur Facebook, Instagram, etc. J’ai environ une centaine de personnes qui me suivent. J’ai eu un pic de lectorat d’environ cinq cent personnes, lorsque je parlais des profs. Il n’y a pas de secret… C’était ma « période de gloire », il y avait un côté viral qui plaisait…
Winter : Et toi, le côté viral, ce n’est pas trop ce que tu recherches…
Belzaran : Ah quand même, quand je suis arrivé sur Facebook, c’était ce que je recherchais. Que les gens partagent mes posts… et en fait, tu t’aperçois que les gens ne partagent pas grand-chose…
Winter : Ça dépend, si tu parles des sujets à la mode, là, les gens partagent plus…
Belzaran : Figure-toi que je pensais que mes amis partageraient mes planches, histoire de me promouvoir un peu. Mais en fait, non. On m’avait vendu Facebook comme ça, « tu vas voir, c’est social… » . Dans les faits, ça n’a jamais marché pour moi, et pourtant, j’ai dépensé beaucoup d’énergie sur ce sujet, pour me faire connaître, pour essayer de trouver des astuces pour intéresser, mais non, je n’y suis pas arrivé, et ça m’a un peu épuisé. De plus, ma dernière BD, j’ai mis trois ans à la faire et il n’y a pas grand monde prêt à te suivre pendant trois ans. Du temps de Salle des Profs, c’était plus facile : il s’agissait de petites histoires, bouclées en quelques semaines, que je publiais au fur et à mesure, et là, ça marchait. J’ai fait le choix d’écrire des histoires plus longues, en sachant pertinemment que j’allais bousiller mon lectorat.
Winter : Jotunheimen a donc moins de succès que Salle des Profs.
Belzaran : C’est quand même à nuancer, parce qu’il a un succès d’estime dans la communauté, chez les dessinateurs.
Winter : Tu jouis d’une certaine reconnaissance du milieu des dessinateurs français.
Belzaran : Oui, enfin, du milieu amateur. Il y a toute une communauté amateure, pas si nombreuse que ça. Nous nous connaissons bien à force de nous croiser dans les festivals. Eux connaissent ma BD et l’estiment pour sa qualité graphique. Et aussi pour le courage d’avoir fait quelques chose sur trois ans.
Winter : Il y a un fossé avec le milieu professionnel ?
Belzaran : Pas forcément. Le milieu professionnel de la BD souffre, il est dur de trouver un éditeur et on est souvent payés au lance-pierres. Il y a des passerelles avec le milieu professionnel. Je connais des amateurs devenus professionnels, en revanche, j’ignore s’ils mangent à leur faim. Ça ne m’intéresse pas de me professionnaliser là-dedans. J’ai un boulot à côté et je n’ai pas envie d’avoir de pression sur l’écriture de BD.
Winter : Tu es prof de physique, comme dans Salle des Profs…
Belzaran : Oui. C’est une erreur en fait, je n’aurais pas dû coller autant à la réalité.
Winter : Pourquoi ?
Belzaran : Je suis trop facilement identifiable. Au rectorat, s’ils avaient voulu, ils m’auraient trouvé…
Winter : Crois-tu que tu aurais pu avoir des problèmes ?
Belzaran : Je psycothe un peu là-dessus, je dois dire… Il y a un professeur allemand qui s’est fait virer de l’Éducation Nationale parce qu’il jouait dans un groupe de black metal. Le Ministère suit les blogs des profs… En fait, j’avais peur que mes élèves me reconnaissent… et c’est ce qu’il s’est passé. Certains de mes élèves suivaient mon blog et, en cherchant « Belzaran », sont tombés sur ma photo. Ils sont tombés des nues parce qu’ils n’avaient pas fait le lien. Ma grande chance a été de tomber sur des élèves très mûrs, qui ne l’ont dit à personne… Ils se sont juste limités à me le dire en fin d’année. Et certains suivent encore mon actualité, des années après !
Winter : En même temps, toi, tu ne fais pas du black metal, et ce que tu dis de tes collègues dans Salle des Profs n’est pas insultant…
Belazaran : Oui, mais quand même, certains de mes collègues se sont vus représentés comme des tarés, ou n’ont pas aimé leur représentation… Soit l’animal choisi, soit ce que je leur faisais dire, parce qu’ils n’avaient pas cette image d’eux-mêmes.
Winter : Tous tes êtres humains ont des têtes d’animaux, dans toutes tes œuvres…
Belzaran : Pour moi, c’est naturel. J’ai lu plein de BDs qui utilisent l’anthropomorphisme, ou style animalier. Canardo, Blacksad, Lapinot... Ce sont des œuvres qui m’ont donné envie de faire de la BD et qui sont en animalier. En plus, j’aime bien le clin d’œil qui va avec. Je dois aussi dire que, quand j’ai commencé la BD, je ne savais pas dessiner, et que représenter des animaux, ça aide à caractériser les personnages. Quand tu ne sais pas bien dessiner, toutes les personnes que tu dessines ont la même tête…
Winter : Dans le monde contemporain, l’anthropomorphisme, c’est quand même assez lié à l’enfant.
Belzaran : Tout à fait. J’ai d’ailleurs été bercé par les films de Disney, mes préférés étant ceux où les protagonistes étaient, techniquement parlant, des animaux. Regarde Robin des Bois. Par contre, des BD comme Canardo ne sont vraiment pas pour les enfants, et quelque part, comme j’ai dit, j’aime vraiment le côté clin d’œil – c’est un humain, sans vraiment en être un. De plus, tu as tendance à oublier que c’est un canard, dans le cas de Canardo. Ça n’est pas si important.
Winter : Tu plaques quand même de l’humain dessus. Il y a également un côté symbolique de l’animal.
Belzaran : Je l’utilise peu. Quand je choisis un animal plutôt qu’un autre, ce sont plus des considérations graphiques que l’envie de faire passer un message symbolique.
Winter : Pour l’instant, tu ne te vois pas représenter des humains avec des têtes d’homme…
Belzaran : Ça dépend des projets. J’en ai dans mes cartons où je n’aurai pas le choix. Deux exemples : je projette de faire quelque chose sur l’enfer, avec les sept péchés capitaux représentés par des animaux. Du coup, les humains devront avoir des têtes d’homme pour qu’on s’y retrouve. Autre exemple : je veux aussi dessiner un univers où les femmes chassent les hommes, qui se trouvent à l’état sauvage, pour se reproduire. Ça n’aurait donc aucun sens d’utiliser l’anthropomorphisme. Dans ces deux cas, je crée des univers où il n’est pas adapté.
Winter : Des femmes qui chassent les hommes. Sujet d’actualité…
Belzaran : C’est assez amusant… Le départ de ce projet, c’est une histoire drôle, décalée, que j’avais dessinée sur cinq pages, avec de gros clins d’œil sur le thème « Je suis une chasseuse d’homme », avec ce que cela sous-entend : la femme, civilisée, cherchant l’homme uniquement pour se reproduire, et l’homme, resté à l’état sauvage… Eh bien, il se trouve, que j’ai eu le droit à des réactions diamétralement opposées, certains ont vu ça comme quelque chose de féministe, et d’autres ont trouvé ça au contraire très misogyne, bien qu’à la base, je sois moi-même très féministe. Finalement, comme je trouvais cet univers intéressant, je l’ai développé et également modifié. L’univers final est plus violent, avec des notions de meurtres ou de viol, aussi bien de la part des hommes que des femmes, pour éviter de tomber dans un discours moralisateur. D’une manière générale, quand j’écris une histoire et que j’obtiens des interprétations opposées, je trouve ça intéressant. J’aime laisser au lecteur une place pour l’interprétation. J’ai envie que ça provoque un questionnement.
Winter : Quand allons-nous pouvoir voir ça ?
Belzaran : Je ne sais pas… Il faut que je trouve le temps… C’est sûrement le prochain scénario sur lequel je vais plancher, mais comme j’en ai déjà un en route.... On en reparlera d’ici cinq ans.
Winter : Actuellement, sur quoi travailles-tu ?
Belzaran : Actuellement, je bosse sur une BD qui s’appelle La Prépa. J’ai fait une prépa math-sup/math-spé. Pour ma part, j’ai vécu une prépa normale, avec son lot de souffrance, de mauvaises notes, etc., mais rien d’extraordinaire. En revanche, il est arrivé des choses assez dingues à d’autres personnes avec qui j’étais en contact. Au début, j’avais une idée de polar, mais finalement j’ai choisi quelque chose de plus simple. Même s’il se déroule des événements assez graves, il s’agit essentiellement de la prépa vue de l’intérieur par deux nanas, cothurnes à l’internat. Là je finis le storyboard et vais commencer les dessins. En fait, il y a très peu de choses de faites sur les prépas, et c’est presque toujours sur les prépas littéraires, pas sur les scientifiques. Ce qui est logique…
Winter : Tu ne trouves pas dur de te mettre dans la peau de femmes ?
Belzaran : Si, très. J’ai basé la plupart de mes écrits de ces dernières années sur une réflexion sur la signification du fait d’être un homme. Qu’est-ce qu’être un homme ? Qu’est-ce que la virilité ? C’est le fil rouge de ces dernières années, et il donne lieu à la création de personnages, comme le protagoniste de Jotunheimen, pas franchement un macho alpha, avec ses peurs, ses vertiges, qui suscitent des réactions de rejet. Certains m’ont dit qu’il devrait se montrer courageux devant une fille, et autres commentaires auxquels je n’adhère pas du tout. Ce qui me fait dire que je dois persévérer dans cette voie, de décrire des mecs fragiles, vu que certains ont toujours ce genre de réaction. Dans une de mes nouvelles, je parle également d’un homme âgé, atteint de priapisme, j’évoque aussi la paternité…
Dans le cas de La Prépa, j’avais également commencé par choisir un mec comme personnage principal, mais, c’est en imaginant une scène de bizutage, que je me suis dit que je devais changer mon fusil d’épaule : le bizutage, c’est bien plus souvent avec les filles que ça dérape, qu’il y a des problèmes, liés à des attouchements, par exemple. C’est là que je me suis dit que je devais parler directement des personnes concernées par ces problèmes, et pas indirectement. Et finalement, j’ai pensé qu’il serait intéressant de prendre des filles comme héroïnes. Je pense qu’aller en internat à dix-huit ans, être coupé de ses proches, c’est beaucoup plus casse gueule pour des filles. L’internat pour les filles, c’est la galère. Simplement, il a fallu que je me mette à leur place. Ceci dit, ça ne me pose aucun problème de décrire certains mecs comme des salauds. La BD sera complètement dans l’ère du temps…
Winter : Tu ne devrais pas te faire lyncher sur internet…
Belzaran : On ne sait jamais. Ceci dit, il y a des choses qui me dépassent. Devoir demander de ne pas emmerder les filles dans le métro, par exemple... Ça devrait tellement être naturel… Des fois, quand je me ballade, je regarde les gens. Si je regarde une fille, il est possible qu’elle baisse les yeux, parce qu’elle n’a pas envie de se faire emmerder. Ça me paraît d’une tristesse d’en être arrivé là…
Winter : Ce n’est pas d’aujourd’hui. Je me rappelle d’une amie, au début des années 90, qui m’avait avoué ne plus sourire dans la rue, parce qu’on se méprenait sur ses intentions…
Belzaran : Oui, et la société n’a pas évolué. Reiser, dans les années 70, décrit déjà ça.
Winter : Hors de la BD, as-tu d'autres projets ?
Belzaran : Nous allons faire une expo en région parisienne, au mois de janvier, avec quatre amis bédéastes et, en ce moment, je fais des illustrations pour l'exposition.
Winter : Et hors du graphique ?
Belzaran : Aussi. Je viens d’auto-éditer un livre qui s’appelle Chemins Détournés. C’est une série d’une nouvelle qui parle essentiellement de mes voyages. C’est de l’ordre du ressenti sur les lieux que je visite – Norvège, Écosse, Vietnam – et sur la randonnée. Il y a un petit aspect que l’on pourrait percevoir comme fantastique, mais j’avais surtout voulu exprimer les sensations qui découlent de la marche, des odeurs, de la caractérisation des lieux...
Winter : A propos de fantastique, j’ai trouvé Jotunheimen très vrai, poétique également, mais sans aucun élément fantastique. Est-ce un style que tu aimerais introduire dans tes prochaines œuvres ?
Belzaran : Ce que je voulais, sur Jotunheimen, c’est parler de la randonnée, vu qu’il s’agissait de ma première expérience du genre. Il se trouve que la rando, c’est quelque chose de très concret : tu as faim, soif, froid, mal aux pieds… C’est un retour à quelque chose de très primaire. Avec donc un côté concret et également une sorte de spiritualité brute. En ce qui concerne le fantastique, autant j’aime la SF ou l’Heroic Fantasy, autant le fantastique ne me botte pas trop. Il y a trop souvent une forme de facilité derrière, même si parfois, c’est vraiment bien fait. Je peux aimer la surprise que ça engendre ou cette frontière entre réel et fantastique, mais ça ne m’attire pas plus que ça. Ceci dit, j'ai donné dans le fantastique pour une des nouvelles du recueil, c'est venu comme ça, par surprise.
Winter : Ces rencontres inattendues, ces changements, font partie de la magie de l'écriture...
Belzaran : Oui, c'est d'ailleurs un avantage par rapport à la BD, où revenir sur quelque chose est tout de suite plus dur. Il faut bien préparer son coup, en BD, parce que se rendre compte, après deux ans de boulot que quelque chose ne fonctionne pas... Il y a beaucoup plus de liberté dans un livre, je trouve.
Winter : Surtout toi qui es un amoureux du trait. Tu aimes montrer tes dessins, sur les réseaux sociaux, par exemple, et on se rend bien compte que tes planches, tu ne dois pas les gribouiller en deux minutes...
Belzaran : Cet amour là vient du fait que je prends des cours du soir aux Beaux Arts, depuis huit ans. Des cours de dessin, peinture, de BD aussi. Entre ça et le fait de fréquenter des expos, c'est vrai que je suis plus amoureux du trait qu'avant, où je voyais la narration comme vraiment prépondérante.