No One Is Innocent

Entretien avec Kmar (chant) - le 12 septembre 2007

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Cosmic Camel Clash

Une interview de




No_One_Is_Innocent_20070912

Quand on interviewe le chanteur et fondateur de No One Is Innocent Kmar Gulbenkian (en partenariat avec Magma), il est évident que la discussion va quitter les terres purement musicales. Bien que la totalité du line-up ait été renouvelée pour le retour du groupe en 2004 avec Revolution.com et que le son de No One soit parti d'un métal ravageur pour arriver à un rock à tendance parfois pop et bluesy, certaines choses n'ont jamais changé. No One reste un groupe revendicatif, corrosif et politiquement engagé, et la discussion qui suit en est la preuve : recevant votre serviteur chez lui, Kmar a abordé le petit dernier Gazoline de la manière qu'il se doit, à savoir en contexte. Un contexte d'autant plus particulier depuis que l'élection a eu lieu...


Cosmic Camel Clash : J'ai lu sur le net que tu avais tenté de faire coïncider la sortie de Gazoline avec l'élection présidentielle. Etait-ce à ce point une volonté consciente de ta part?

Kmar (chant) : Pas forcément que de ma part, de la part de tout le groupe. Tout le long de la compo en 2006, nous avions les élections de 2007 en vue, beaucoup de choses s'était accumulées depuis par rapport à ce que nous avions envie de dire, et médiatiquement c'était une période assez chaude car il y avait beaucoup de choses à dire. Les gens autour de nous, je pense, attendaient énormément de savoir quels morceaux nous allions faire et de qui nous allions parler... et si nous n'en avions pas parlé ça aurait été aussi pour nous une faute professionnelle de ne pas évoquer cette période. Par contre si nous n'avions pas été prêts à ce moment-là nous n'aurions pas sorti l'album, car nous avons toujours privilégié l'artistique à l'actualité. Donc voilà pourquoi nous avons évoqué Sarkozy dans "L'amour de la haine", pourquoi nous avons fait "Salut l'artiste" sur Chirac, pourquoi nous avons fait "La peur". Parce que c'est un thème qui pour nous était vachement important, et nous avions envie de l'évoquer parce qu'aujourd'hui... enfin, je dis aujourd'hui, mais depuis des lustres il y a des candidats à l'élection présidentielle qui jouent avec la peur des gens pour se faire élire. Et que l'homme politique d'aujourd'hui, au lieu de faire peur, il ferait bien d'éduquer. Si la peur fait bouger elle fait rarement avancer comme on dit, et des mecs comme Le Pen, comme Sarkozy, comme De Villiers ou d'autres ont joué sur la peur des gens pour obtenir des voix.

Cosmic Camel Clash : Tu viens de parler de "faute professionnelle". Considères-tu que No One a la responsabilité d'évoquer ce genre de sujet? Qu'il s'agit de quelque chose que vous devez faire?

Kmar : Si tu veux, nous avons quand même une image qui fait qu'à un moment donné les gens vont être sensibles à ce que nous allons raconter par rapport à certains thèmes dans un nouvel album. Nous-mêmes, à la base, nous nous mettons déjà la pression par rapport à ça... par contre nous ne sommes pas forcément le supermarché de l'engagement, c'est-à-dire que nous n'allons pas pouvoir évoquer tout. A un moment donné nous faisons des choix... après, se dire que nous avons une responsabilité par rapport au groupe ou au public... ce n'est pas forcément une responsabilité parce que ça imposerait de parler de certaines choses auxquelles le public est sensible. Y'a des moments où nous choisissons de parler d'hommes politiques ou des thèmes abordés parce que ça nous paraît important. C'est pour nous : notre maison de disque ou notre public ne nous dit pas forcément qu'il va falloir absolument que No One parle de ça, le propos n'est pas là.
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Cosmic Camel Clash : Par rapport à la chanson "Salut l'artiste" sur Jacques Chirac, comment analysez-vous ce sentiment ambivalent qu'on retrouve parfois chez les gens, à savoir ce respect malsain pour une personne qui a réussi à ce point à embobiner tout le monde?

Kmar : C'est difficile de parler de respect par rapport à Chirac, c'est quand même le plus grand gangster que la vie politique ait connu en France. En fait ce morceau est surtout venu musicalement : quand le guitariste a trouvé le thème principal du morceau, j'étais en même temps en train d'écrire un texte assez ironique et acéré sur Chirac. Nous avions compris très vite qu'il ne se représenterait pas aux élections : trop vieux, pas du tout médiatique, avec mille bourdes autour de lui... L'idée c'était déjà d'arriver à un faire un texte sur le mec sans jamais prononcer son nom, faire comprendre avec nos phrases, et de rappeler des faits majeurs, des faits d'armes : les essais nucléaires, la fracture sociale, le bruit et l'odeur, toutes ces choses-là. Il y a des gens qui disent qu'il y a beaucoup de tendresse dans le morceau... c'est pas trop le mot que nous utiliserions. Nous aimons bien les contre-pieds, et c'est comme le morceau sur Sarkozy qui n'est pas un morceau hyper énervé avec les volumes poussés à fond. Quand nous nous mettons à attaquer des morceaux comme ça où nous avons vraiment envie de pointer du doigt des choses hyper importantes, nous le faisons différemment avec No One. Nous avons fait un morceau super tendu avec Sarkozy, nous avons fait un morceau plutôt bluesy avec Chirac... c'est parce que je pense que nous aimons bien les contre-pieds, et c'est aussi pour ça que ces morceaux se sont fait remarquer.

Cosmic Camel Clash : Sur l'album précédent, la chanson "Revolution.com" était pour le moins sarcastique par rapport aux activistes du web, tous ces gens qui font la révolution depuis leur salon. Que répondrais-tu à ceux qui disent que faire la révolution depuis un studio d'enregistrement c'est à peu près du même niveau?

Kmar : Ben c'est pas pareil parce que nous on sort dehors... nous partons un an et demi en tournée, nous rencontrons les gens, la différence se fait là. Tu demanderas à n'importe quel groupe : enregistrer un CD c'est un prétexte pour aller sur scène et le défendre. Donc avec cette idée-là tu sais pertinemment que tu vas être amené à rencontrer des gens, des collectifs, des associations, etc, qui luttent contre de sales idées. Tu vas rencontrer des gens du public qui renvoient quelque chose par rapport à ce que tu as fait et ça apporte le débat. Le débat n'est pas le même quand on est devant un ordi et un clavier à communiquer avec quelqu'un d'ordi à ordi par rapport à... tu vois, tous les deux, nous sommes en train de nous parler, nous nous voyons, le contact n'est pas le même. Mais tu sais, ce morceau c'est aussi parce qu'à un moment nous avions envie d'évoquer le Net car il y avait l'explosion d'Internet et un espèce de consensus général, tout le monde trouvait ça génial et à un moment donné... nous aimons bien gratter dans les choses qui sont un peu consensuelles.

Cosmic Camel Clash : Par rapport à la musique présente sur Gazoline, on peut dire qu'il s'agit d'un album de rock avec des morceaux un peu plus bluesy. Penses-tu que le No One d'avant, celui qui envoyait méchamment le bois... est musicalement mort aujourd'hui?

Kmar : Ah mais vous vous trompez jeune homme, No One ça envoie toujours le bois... C'est pas pareil, mais ce n'est pas parce qu'on met quinze pistes de guitare sur un morceau qu'il va être plus énervé, plus dur par rapport à un morceau fait avec simplement huit pistes. C'est ça qu'on apprend dans la musique, et nous n'avons pas l'impression d'avoir fait un album plutôt relax.
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PhotoCosmic Camel Clash : Tu as insisté tout à l'heure sur le fait que l'intention de sortir l'album durant les élections ne venait pas seulement de toi mais du groupe. Par rapport à toutes les critiques qui ont émergées lors de Revolution.com comme quoi No One était devenu ton projet personnel... peux-tu affirmer aujourd'hui que No One est un groupe?

Kmar : Les gens qui viennent me voir sur scène se rendent compte que No One est un groupe. Dans tous les groupes il y a des décisionnaires, des leaders à certains moments par rapport aux directions qu'il faut prendre, mais les gens savent pas forcément que tout ça passe par des discussions avec tous les gens qui forment le groupe. Moi, sans les gars du groupe, je ne pense pas qu'il y aurait grand-chose qui existerait. Je me sens dans un collectif, avec des gars qui s'identifient complètement à ce qui passe à l'intérieur du groupe. Quand tu rentres dans le groupe tu t'identifies complètement, tant à la musique qu'aux textes et qu'à tout ce ça dégage autour. Donc au coeur de la bête ça communique beaucoup.


PhotoCosmic Camel Clash : Pourquoi ce titre d'album, Gazoline? C'est un carburant pour quoi?

Kmar : Ah ben c'est un carburant pour continuer à exister, parce que cet album brûle pas mal, quoi... et qu'il était assez cohérent par rapport à l'idée visuelle de la pochette. C'est le morceau Gazoline qui est venu en premier et qui a inspiré l'image.


Cosmic Camel Clash : Le live a toujours été très important pour No One, et tu viens de me dire qu'il représente pour toi une occasion d'entrer en contact avec les gens et d'échanger avec eux. Le message prend-il le pas sur l'aspect musical?


Kmar : C'est un mix des deux. C'est principalement la musique qui donne la façon dont on va interpréter les textes en tant que chanteur... mais c'est pareil pour un batteur et pour un guitariste : une phrase qui va sortir implique une certaine interprétation. C'est ça qu'il y a de mortel dans ce groupe : qu'on soit chanteur ou musicien, ce sont les thèmes abordés qui créent l'interprétation par rapport à la musique, et que chacun de nos titres nous avons une façon de nous comporter par rapport à ce qui est raconté. Je te parle autant d'un morceau qui peut être super énervé avec un tempo super rapide que par exemple de "L'amour de la haine", qui est un morceau super tendu et pas forcément très speed... mais qui est tellement acéré que l'interprétation est aussi forte que sur un morceau super énervé. Nous nuançons énormément nos concerts en fait.
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Cosmic Camel Clash : Tu as aussi évoqué les contacts avec diverses associations que vous avez rencontrées sur la route... êtes-vous déjà passé à un activisme moins musical et plus associatif?

Kmar : No One n'est pas un groupe militant au quotidien, pour être franc avec toi. Nous faisons de la musique, nous avons des projets musicaux, et le coeur de notre activité c'est la musique. Il y a des moments où des associations ou des collectifs comme Act Up, le Réseau Education Sans Frontières ou Devoir de Réagir - qui incite les jeunes à s'inscrire sur les listes électorales - font appel à nous, soit pour sensibiliser des gens par rapport à une réunion soit parce qu'ils veulent que nous jouions dans le cadre d'une manifestation particulière. Et nous, notre place est avec ces gens-là, elle n'est pas comme certains l'ont fait pendant la campagne électorale, de se foutre sur un strapontin pendant un meeting d'un parti et d'applaudir à chaque phrase. Nous avons été approchés pour faire ce genre de trucs, et à chaque fois nous avons refusé. Notre modèle ce serait plus un Springsteen qui à un moment donné part sur la route avec ses zicos et fait je ne sais pas combien de dizaines de dates pour dire ce qu'il pense par rapport à l'intervention des américains en Irak. Et là y'a pas un parti politique derrière ; il y a peut-être des associations qui le suivent mais l'artiste en lui-même part sur la route pour défendre une vraie idée. Et ça ouais, c'est notre état d'esprit.

Cosmic Camel Clash : Depuis que l'élection a eu lieu, avez-vous senti un changement dans la réaction du public par rapport à vous?

Kmar : (réfléchit) Non, parce que finalement les gens qui nous écoutent ou nous découvrent savent pertinemment qu'ils ont affaire à des mecs qui ne sont pas trop du côté de Sarkozy. Et si nous ne sommes pas du côté de Sarkozy c'est parce que ça fait très longtemps que nous suivons le gars et que pour nous il représente une espèce d'imposture politique. C'est un mec, comme nous disons dans "L'amour de la haine", qui a bien retenu les leçons de son maître et finalement suit un peu le même parcours que Chirac. Il a pris des baffes électorales par rapport à des gens qu'il avait suivi, ça a été un lâche politiquement parlant, mais le mec s'est relevé... et il ne faut jamais oublié que Sarkozy est un avocat de profession, et qu'un avocat peut te faire avaler n'importe quoi. C'est aussi un meneur d'hommes, et quand on regroupe un peu tout ça avec cette société hyper médiatique au niveau de l'image, ce n'est pas très surprenant de le retrouver ici. Maintenant je pense que les gens... ce qui est assez hallucinant dans cette élection c'est que y'a énormément de pauvres qui ont voté pour les riches, c'est quand même un truc... et maintenant les pauvres vont sentir le retour de bâton, le boomerang. Prenons juste un exemple à l'international, qui est un vrai point important pour un Président de la République. Je ne sais pas si tu as vu des images de Spike Lee sur le cyclone Katrina, c'est un truc assez hallucinant. Le mec nous a refait un peu le même coup que le onze septembre, à part qu'il y avait quand même des citoyens américains qui étaient en train de crever. Le mec, pendant une semaine... ça a été « Okay, c'est les noirs de la Nouvelle-Orléans, c'est pas très important. ». Ca donne la teneur de ce que un mec peut avoir comme démarche - et je parle aussi de tout son gouvernement – par raport aux citoyens de son pays. Et c'est quand même Sarkozy qui va lui serrer la paluche y'a pas longtemps alors qu'il est à 30% d'opinion favorable. Il y a un truc qui est quand même assez aberrant dans cet espèce de rapprochement de Sarkozy avec les Américains. Pour moi c'est un truc qui m'effraie énormément : aujourd'hui Ben Laden ne s'adresse plus simplement à Bush et à Blair, il s'adresse aussi à Sarkozy. Moi j'ai pas envie qu'il y ait des bombes dans le métro à Paris ou ailleurs... je pense qu'on peut arriver à éviter des choses comme ça et je ne comprends pas cette démarche. Et après on va rentrer dans le côté social, et je pense que les gens vont... je ne vais pas dire « On va bien rigoler » parce que ça n'est pas vraiment vraiment drôle, mais quand tu reparles des morceaux que nous jouons en concert je me dis que ceux qui se rendent compte de ce qui va se passer sont d'autant plus concernés par ce que nous racontons.

Cosmic Camel Clash : Au moment de la sortie du premier album en 1994 il y a eu cette explosion, cet énorme consensus qui vous a catapultés instantanément dans la cour des groupes français qui comptent. Aujourd'hui, avec le recul, est-ce que tu t'expliques ce succès instantané?

Kmar : On était dans une période où ce qu'on voyait à l'écran c'était les boys bands, et que nous qui voyions ça nous nous disions « Mais c'est pas possible, il faut faire un truc.». Ca faisait déjà un moment que nous faisions de la musique, j'avais intégré beaucoup de groupes en tant que chanteur avant et j'avais vraiment envie de faire mon propre groupe et de prendre un virage à 250 degrés car j'étais sûr qu'il y avait des gens qui avaient envie d'entendre autre chose. Après je pense que c'est très cyclique : j'avais cette musique-là depuis à peu près deux ans dans ma tête, je la travaillais, je la travaillais... et au moment où j'ai rencontré des gars pour la faire Nirvana était là, Rage Against The Machine était là, et voilà. Par un concours de circonstances, peut-être que nous sommes arrivés au bon moment. Tout ça c'est beaucoup de chance, un petit peu de talent et de bonnes rencontres.

Cosmic Camel Clash : Pour la plupart des gens qui connaissaient déjà le premier No One au moment où Revolution.com est sorti, il y a eu un sentiment de rupture. As-tu la même impression ou est-ce que pour toi, tout s'est passé dans la continuité?


Kmar : Ecoute, il faut que les gens sachent que nous ne ferons jamais le même album. Déjà pour moi c'est la marque des grands groupes, et quitte à surprendre négativement certains pour moi l'intérêt et la survie d'un groupe c'est d'arriver à chaque fois à proposer quelque chose de différent, de nouveau. Il n'y a pas pire que de se retourner sur sa carrière et de se dire « Putain, on a fait cinq fois le même album. ». C'est un peu notre démarche qui fait comprendre que commercialement nous ne sommes pas à l'affût : si nous avions voulu refaire "La peau" c'était facile, nous connaissons les recettes. Mais il y a toujours cette volonté de proposer quelque chose de différent et de se surprendre nous-même, et aussi peut-être de surprendre les autres. Tu parles de rupture, mais finalement nous avons vendu cinquante mille albums de Revolution.com ; si ça avait été une vraie rupture et si tout le monde nous avait tourné le dos, nous n'aurions jamais vendu cinquante mille albums. Je pense qu'il y a un vrai lien entre le live et ce que nous faisons en studio. En studio c'est un champ d'expérimentation, et si tu peux faire aussi un champ d'expérimentation en live, tu gardes ta vraie personnalité. Nous ne sommes pas arrivés en live pour Revolution.com avec des guitares acoustiques, ça ça aurait été une vraie rupture peut-être. Le live de No One, de toutes façons c'est jouer avec son corps, son interprétation, ce que tu racontes, c'est tout ça... c'est un truc qui n'a jamais changé depuis 1994. Il y a des gens aujourd'hui qui me disent que No One n'a jamais été aussi bon, et ça ce sont des super retours, des trucs qui nous confortent dans l'idée que finalement nous avons pris des risques et que nous ne regrettons pas.

Crédits photos : Carole Epinette


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