Lucificum : Metallian est basé sur une grosse majorité d’interviews et certains lecteurs peuvent avoir l’impression que les chroniques de disques sont remisées à la fin sur 5-6 pages, avec un format assez court, en tous cas beaucoup plus court que ce que l’on peut trouver sur le net, qui n’est bien sûr pas limité par la place.
Florent : Cet équilibre me convient toujours. Quand je vois sur internet une chronique qui fait une page Word, je ne la lis pas. Je lis l’introduction et la conclusion. Je vois la note, les titres qui marchent si c’est indiqué, comme sur les Éternels. En théorie, il faudrait même plus qu’une page pour bien décrire un album qui est parfois le fruit du travail de plusieurs années d’un groupe. Mais que doit ressortir d’une chronique ? C’est un sentiment, un avis extérieur, la couleur donnée par la musique. Et si c’est trop long, c’est fatiguant. Ça doit être assez long pour donner un maximum d’informations, mais en même temps que cela soit lisible. Ça n’est pas une démarche marketing, c’est juste naturel – un confort de lecture.
Lucificum : Mais tout le monde n’est pas forcément d’accord avec ça. Il y en a qui aime bien, justement, quand la chronique rentre plus profondément dans l’analyse et que tu as l’impression de lire plus que du « j’aime / j’aime pas ».
Florent : Mais regarde : ce qui marche bien au cinéma, ce sont les punchlines. Genre
« Télérama dit : époustouflant, une comédie dramatique et émouvante ». Trois mots, quatre étoiles sur cinq.
Lucificum : Là tu parles du site Allociné, mais dans le magazine papier, Télérama en fait souvent dix pages…
Florent : Oui, mais est-ce que les gens le lisent ? Je pense qu’effectivement, nos chroniques ne sont pas les plus longues du monde, mais ça n’est pas très grave. Surtout les chroniques underground, qui ne font parfois pas plus de 4-5 lignes. Déjà, cela nous permet de parler de plus de groupes, car encore une fois, nous sommes limités en termes de page. Et je vais le redire, mais c’est une question de confort. Nous essayons maintenant plus de nous focaliser plus sur des articles du genre reportage, un peu plus fouillés. Et nous donnons plus de place aux interviews des groupes, dont la qualité dépend le plus souvent des groupes eux-mêmes, qu’aux chroniques, même si elles sont très importantes aussi, avec nos traditionnelles six petites bombes.
Lucificum : Est-ce que Metallian va donner encore plus place aux interviews de gens tels que des ingénieurs du son, des gestionnaires de labels, des producteurs, des organisateurs de tournées, de festivals… voire des roadies ? Un peu comme moi je t’interview en ce moment, finalement…
Florent : Alors sans en dire trop, nous sommes en train de rédiger des articles sur cet « envers du décor ». Je pense que nous nous sommes bien ouverts lorsque nous avons commencé à interviewer des auteurs de livres, comme Cyril Richard auteur du livre
Résurrection (ndlr : édité chez Ex Aequo), que je revois très souvent. Je l’ai rencontré dans un bar à Concorde, et nous avons accroché. Il nous racontait sa passion musicale pour le metal extrême, et comment cela a pu l’influencer pour l’écriture de son livre. Ou encore, nous avons fait aussi l’
Abécédaire pour les musiciens en galère... et ceux qui les voient ramer, chez Camion Blanc. Nous avons essayé les jeux vidéo, pourquoi pas… Mad Movies le fait…
Lucificum : Est-ce envisageable que dans un futur plus ou moins proche Metallian soit proposé en format numérique ? Vu l’explosion des iPads et autres tablettes numériques… cela pourrait apporter une interactivité dans la lecture en écoutant un groupe pendant qu’on lit son interview ?
Florent : Aujourd’hui, je te dis non. Mais je ne sais pas de quoi est fait l’avenir, même si nous ne l’avons jamais évoqué. Notre bataille à ce jour c’est de garder le magazine comme il est, de pouvoir avoir le magazine entre les mains. Est-ce que cela ne serait pas se mettre au même niveau que tout le monde ? Je ne dis pas que nous sommes une élite, mais du coup nous nous fondrions dans la masse. Est-ce que nous ne perdrions pas un peu de valeur ? Je ne sais pas.
Lucificum : Donc vous mettez de côté ce que vous trouvez mauvais, vous choisissez de ne pas en parler, et du coup la moyenne de vos notes est de l’ordre de quatre ou cinq bombes sur six…
Florent : Je ne connais pas la moyenne. Je pense qu’il a plus de quatre que de cinq ou six. Et puis bon, si un label propose quelque chose qui sort complètement de notre ligne éditoriale, je leur dis. Ça ne sert à rien d’essayer de chroniquer quelque chose de pop/rock, voire de rock/metal, qui ne sera pas du tout apprécié par nos journalistes. J’ai confiance en eux, ils ont leur gout, leur personnalité et il y a parfois des choses que je ne veux pas leur donner, que je ne chroniquerai pas moi-même, car ça ne ressemble pas à Metallian.
Lucificum : Est-ce que vous estimez avoir une totale liberté de parole chez Metallian, ou t’arrive-t-il de t’autocensurer car cela risquerait de froisser le label ou le groupe ? Ou bien êtes-vous 100% libres, hormis bien sur toutes les contraintes liées à la rédaction dans la presse écrite et à votre ligne éditoriale ?
Florent : Je ne dirais pas que nous sommes 100% libres. Il y a quelques cas où nous essayons d’arrondir un peu les angles. Mais en toute honnêteté, dans beaucoup de cas…
(silence) nous sommes embêtés de mettre des mauvaises notes. Parfois, certains labels prennent une publicité et le journaliste sort une chronique très dure, mais que veux-tu… nous n’allons pas refaire le monde.
Lucificum : Ça veut dire quoi, « arrondir les angles » ?
Florent : Eh bien il y a certains groupes qui donnent d’eux même pour être diffusés dans Metallian. Nous ne surévaluons pas, mais nous essayons de donner le meilleur de ce que leur musique peut offrir. Ça n’est pas mentir sur la note, c’est juste que nous comprenons le message du groupe qui compte sur Metallian pour avoir une certaine visibilité. Nous ne pouvons pas être 100% neutres. Quand je dis « arrondir les angles », ça veut dire montrer le meilleur de leur musique.
Lucificum : Vu que tu es en contact avec pas mal d’artistes, de groupes…quels sont tes meilleurs ou pires souvenir que tu as en tant que redac’ chef de Metallian ?
Florent : Mes meilleurs souvenirs… en termes d’amabilité, je pense que c’est avec Nergal, de Behemoth. C’est quelqu’un d’extrêmement doux, attentif et gentil, que tu as envie de prendre dans tes bras. En terme de loufoquerie, d’interview débile, ça serait Belphegor que j’ai interviewé en Allemagne, à 1h30 du matin sur un trottoir à Stuttgart alors qu’il venait de pisser sur une porte de restaurant… de très bons souvenirs avec Amon Amarth, Samael, Moonspell…
(réfléchis) Nergal, il vaut mieux l’avoir en vrai qu’au téléphone. Au téléphone, il est très froid, il fait son boulot, mais en vrai il est beaucoup plus humain. J’ai eu également de très bons contacts avec des groupes underground, comme Marthyr, Lutèce… des gens adorables, avec qui on s’entend très bien. Mon problème, c’est que je suis très humain.
(rires) Je fais les choses comme elles doivent être faites dans le metal, c'est-à-dire en les ressentant. Ça n’est pas forcément rationnel. Si on arrêtait d’écouter du metal, on trouverait un vrai job, on arrêterait les conneries, on irait foutre enceinte une bonne femme, on achèterait une maison avec un jardin et une bagnole…
Lucificum : Est-ce c’est vraiment incompatible avec le fait de travailler chez Metallian ou d’écouter du metal ?
Florent : (rires) Ah la question !
Lucificum : Ben justement, j’avais une question qui demandait quels étaient les sacrifices demandés par le fait de bosser chez Metallian ?
Florent : Des sacrifices ?
(rires) Attend, je termine de répondre à ta question précédente et j’y reviens. Donc de très bons souvenirs avec Testament, en Angleterre, que j’ai vu dans un petit hôtel. Et je suis vraiment devenu ami avec le violoniste de Dornenreich, excellent groupe autrichien que je recommande. J’ai partagé un bus avec eux et Alcest, et j’y ai vécu de très bons moments, très humains. On s’est retrouvé dans un bar en plein Londres à boire des cafés et se raconter nos vies. Des gens inoubliables. Les pires ?
(soupir) Je les oublie, les pires. Des groupes qui me contactent comme si c’était un dû, comme si je n’étais pas une personne mais juste un magazine papier. Comme si c’était juste obligé qu’ils y soient. Mais c’est rare, car les groupes de metal sont généralement respectueux, il faut le dire. Bon, forcément, il y a des metalleux avec qui je ne peux pas m’entendre, mais de manière générale, nous sommes dans un milieu où il n’y a pas excessivement trop de cons. Bon, ton autre question… c’était quoi, déjà ?
Lucificum : C’était de savoir s’il y avait une forme de sacrifice à bosser chez Metallian, des choses qu’à cause de ton boulot tu ne peux pas faire…
Florent : Je ne peux pas rencontrer autant de filles que je voudrais, car ça me prend énormément de temps.
(rires)
Lucificum : Oui, mais si tu dis que tu es redac’ chef chez Metallian devant un parterre de metalleuse, ça devrait le faire, non ?
Florent : Oui, d’accord, en effet, dire que je suis redac’ chef de Metallian fait quelque chose auprès de la gente féminine, et encore… Mais ça me prend énormément de temps. C'est-à-dire qu’en trois jours, je vais devoir relire 180 articles (chroniques, dossiers, interviews…), ce qui fait plus de 500 pages Word… Devoir maitriser tous les problèmes de groupes qui ne répondent pas aux interviews, de labels qui ne donnent pas de nouvelles, de groupes qui répondent aux interviews mais en une ligne par question…
Lucificum : D’ailleurs, petit aparté, mais quel est le pourcentage d’interviews faites en phoner, mailer ou en face à face ?
Florent : En face à face, je dirais 10-15%. Phoner 10-15% aussi, et le reste par mail. Il faut aller vite, et quand ce sont des artistes important, il ne faut pas les déranger quand ils sont en tournée. Ils ne peuvent pas attendre.
Lucificum : Mais la qualité des réponses est toujours meilleure en phoner ou en face à face… C’est plus spontané.
Florent : Oui, complétement. Il y a quelque chose qui coule. Mais oui, tout ça me prend énormément de temps. Et je le rappelle, je fais cela à titre gratuit ! Je ne suis pas payé par Metallian. C’est une passion. C’est pour ça que les gens qui disent que Metallian est vendu, j’ai envie de leur montrer un doigt. Pour notre douzaine de journalistes et moi-même, ça n’est qu’une passion. Que ça soit un fanzine, un site internet ou Metallian, ça n’est que de la passion, quelque chose qui sort du cœur. Personnellement, j’ai onze heures de taff avec un « vrai » boulot tous les jours, et il m’arrive de bosser parfois jusqu’à 2-3h du matin, et je me lève à 6h pour rebosser, écrire mes articles, même si j’ai l’avantage de choisir les groupes et les artistes que je veux interviewer. Plutôt des groupes qui me parlent, bien sûr, comme Infestus, Wolf In The Throne Room, très black metal… Donc c’est pour ça, si on me traite de vendu… non, ça n’est qu’une question de passion. Nous n’avons pas de pigiste, qui recevrait de l’argent pour chaque article. Après, il y a bien sur des avantages : quelqu’un de Metallian qui veut aller à un concert, il y va plus facilement que quelqu’un d’un webzine. Mais heureusement !
(rires) Et encore, tous les petits concerts je paye ma place. Notamment les concerts au Klub, organisés par les Acteurs de l’Ombre, je paye ma place.
Lucificum : …Oxiplegatz…
Florent : Oxiplegatz !
(rires) Sidereal Journey ! Excellent ! Et donc 20 ans, ça n’est pas rien ! Nous voulions donner un énorme
« hug » (ndt : câlin) à tous ceux qui nous ont suivis avec un 3-en-1. Nous avons réédité le premier numéro de 1991, version noire & blanc en anglais. Nous avons ressorti plusieurs interviews qui ont marquées les 20 dernières années comme Celtic Frost, Immortal après leur split, Emperor juste avant le leur… et puis un numéro normal, avec Alcest en couverture. Donc 20 ans… quand je vois Rock Hard qui se vante d’avoir 10 ans, c’est cool, très bien. Mais 20, c’est mieux.
(rires) Mais la différence n’est pas tant une question d’âge : il y a 20 ans, par rapport à ce qu’il y avait il y a dix ans, c’était
« démerde-toi », c’était du offset, de la photocopie, du fanzine… Il n’y avait pas internet, c’était vraiment fait à la main, au tampon. Et nous avons su résister et évoluer.
Lucificum : Petit exercice de visionnaire : d’après toi, Metallian, dans dix ans ?
Florent : (rires) Alors… soit nous sommes encore un magazine papier, recyclable ou je ne sais pas quoi, avec en couverture une nana avec des gros seins et une grosse voiture parce que c’est ce qui se vend… mais dans ces cas-là, je serai parti depuis longtemps. Même si j’aime bien les gros seins.
(rires)
Lucificum : M’enfin pour ça, il y a internet.
Florent : Et en plus ça bouge !
(rires) Mais sinon, Metallian dans dix ans… putain, ça fait quoi ? 2022 ?
(silence)
Lucificum : Oh, le metal sera passé de mode…
Florent : Non ! Le metal ne sera passé de mode dans dix ans. Je pense que tout est cyclique. Il y a quelques années, nous avons vu un renouveau du true black metal, ou encore un renouveau du death à la Entombed, plus gras, plus pur… Il y aura peut-être un renouveau du grind, du doom ? Même si ces mouvements sont un peu des couches de fonds, ils sont constants, et c’est d’ailleurs très bien comme ça. Les groupes très connus s’éteignent et sont remplacés par d’autres très connus. C’est une question de cycle, et j’espère que nous survivrons à celui-là, qui est un peu difficile en termes de presse. Car les difficultés que connaissent les labels nous font du mal à nous, et nous observons aujourd’hui une sorte de concentration des gros labels. Roadruner, Warner… ce genre de regroupements un peu stratégiques, un peu gros… Il reste heureusement des Sepulchral, des Hells Headbangers… existeront-ils toujours dans 10 ans ? Ça n’est pas gagné.
Lucificum : Est-ce que Metallian sera encore là pour en parler ?
Florent : Oh, oui… j’espère !
Lucificum : Un mot pour conclure notre entretien ?
Florent : (silence, puis sourire) Non. Restez metal. Point.