Blackmore : Bonjour Eole, je suis ravi de vous avoir pour cet interview. On commence tout de suite avec la première question, quel a été votre parcours depuis la sortie de votre premier disque ?
Aurelia N. : Notre premier album a été un tremplin pour créer le deuxième, car la difficulté au départ était de trouver des contacts, de démarcher et de se faire vraiment connaître.On avait donc déjà une base de gens qui connaissaient et appréciaient notre travail au moment de concevoir
Femelles.
Tomas Legon : Comme on s’autoproduit, il a fallu relancer la machine pour trouver des subventions. Retravailler sur un budget qui tenait la route voire tout simplement faire exister la musique. C'est surtout ça la difficulté entre les deux albums, un bête problème pratique.
Blackmore : Et toi Sébastien, tu veux ajouter quelque chose ?
Sébastien Ruiz : Hum … non (rire) non en fait, on peut croire que réaliser un nouvel album découle du fait que le précédent a bien marché, mais dans notre cas c'est avant tout un moyen d'avoir une actualité et d'avancer.
Blackmore : Je voulais y venir un peu plus tard, mais puisque nous sommes dans le sujet, est-ce qu’Internet vous a aidé ? Ou bien au contraire, vu la quantité de groupes, est-ce plus difficile de se faire connaître ?
Tomas : En fait, c’est comme n’importe quel processus de sélection. Avant Internet, pour avoir de la visibilité, il fallait que quelqu’un choisisse de parler de toi via la presse spécialisée ou généraliste. L'avantage d'Internet aujourd’hui, c’est qu’il y a la possibilité de s'exposer mais en réalité, comme il n’y a plus de sélection, tu restes invisible. Il faut quand même que des gens parlent de toi, via des webzines et autres blogs, et disent que dans la masse telle ou telle chose vaut le coup. Mais je me demande régulièrement comment faisaient les groupes avant, simplement pour faire écouter leur musique à des gens. Il fallait envoyer des cassettes, ça devait être infernal. De nos jours, même sans une énorme visibilité, tu peux facilement balancer un lien bandcamp pour permettre aux gens d'écouter ton travail.
Blackmore : Mais du coup, il y a beaucoup plus de groupes actifs que par le passé, une concurrence bien plus importante sur ce créneau. Est-ce que vous le ressentez ou finalement ça n’a pas un grand impact ?
Aurelia : Je ne parlerai pas en termes de concurrence car on a plutôt tendance à s’entraider avec les groupes qui officient dans le même genre. Ils sont sur des petits labels ou s'autoproduisent comme nous, du coup on s’échange des infos, on parle de notre expérience. Dès qu’il y a moyen d’inviter des groupes, on n’hésite jamais à jouer ensemble. C’est pas une concurrence directe à notre niveau.
Tomas : Oui, il faut pas réfléchir comme ça, en terme de concurrence. Après il y a des groupes que l'on trouve nuls et qui y arrivent mieux que nous !
Aurelia : Mais on dira pas les noms … (rire général)
Blackmore : On va mettre de côté ces aspects financiers pour parler de l’album ! Personnellement, j’avais été frappé par Eole votre premier disque. En effet, c’est pas tous les jours qu’on a l’occasion d’écouter du pop prog. Bien entendu, Eole fait du métal et de la pop, mais au-delà de ça, j’ai bien l’impression que vous aimez beaucoup de groupes du genre d’ACT, Saga ou Dredg. Alors est-ce que je vise juste ou suis-je totalement à côté de la plaque ?
Sebastien : T’es le seul à parler de ces références là dans tes chroniques, nous c’est exactement ça en fait ! C’est marrant car c’est un peu distillé, et puis tout le monde ne connaît pas ACT.
Blackmore : En tout cas, ça m'a bien fait plaisir ! (rire) Mais j'ai aussi noté que si ces références étaient un peu plus cachées dans le premier, c'est tout l'inverse dans Femelles ! En effet, les influences m'ont tout de suite explosées au visage. C'était volontaire ? Inconscient ?
Tomas : En fait, pour le deuxième album on a décidé de prendre le meilleur côté de l’autoproduction. Vu qu’on n'a pas de pression sur ce qu’on peut faire musicalement, on a décidé de mettre en avant les trucs les plus tordus, prog et donc on s’est retrouvé avec des morceaux un peu plus longs type "Los" avec des structures à chercher du côté d’Oceansize. Et puis là par exemple, on a d'immenses clins d’œil comme le thème d’"Orpheline" joué entre deux morceaux où c’est vraiment appuyé. On a vraiment voulu se faire plaisir avec ce côté-là, sans vouloir trop compliquer tout en allongeant la durée des titres.
Seb : Il y a deux morceaux, par rapport à ACT que je retiens : c’est "Ready to Explode" et "Orpheline". |
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Blackmore : Exactement, on sent clairement cette influence. D’ailleurs, ce qui est très intéressant chez vous c’est que tout en ayant un pôle d’influence très vaste, je vais pas citer toutes les influences mais ça passe d’ACT comme on vient de le voir à Toto puis à Tool etc ... vous gardez une cohérence stylistique, est-ce que vous avez une recette magique ?
Aurelia : Je ne sais pas si il y a une recette magique mais déjà, tu es le seul à avoir entendu tout ça. Il faut quand même préciser que le prog c’est quand même pas un style hyper répandu non plus, personnellement je n’en écoutais pas du tout quand je suis arrivée dans le groupe. Les seuls connaissances que j’ai là dedans, c’est grâce aux garçons.
Tomas : Si tu connaissais Dream Theater un peu.
Aurelia : Oui Dream Theater mais ce n’était vraiment pas ce que j’écoutais le plus.
Seb : En fait pour nous, il n’y a rien de plus simple car on nomme à la base nos parties dans les compositions en fonction de ce qu’on écoute. Par exemple, "A bout de souffle" il s'appelai t…
Tomas : D’abord il s'appelait «
Tool joyeux » ! (rire général)
Seb : Ensuite ça s’appelait «
Rond pas pire » en référence à Perfect Circle (rire). Pour nous c’est assez simple, on aime bien se servir de nos influences, ça nous parle vraiment en terme d’ambiance.
Tomas : Là par exemple , ce qui est marrant c’est qu’il y a plein de gens qui écoutent "Orpheline" et qui trouvent ça super formaté. Ce qui est drôle c'est de se dire que le passage instrumental de 1min30 passe comme dans du beurre parce que tout le monde s’imagine que c’est un titre pop normal. Et du coup, personne ne remarque qu’il y a quelque chose de totalement anormal, comme une grosse mouche dans ta soupe. Et ce qui fait, je pense, qu’on arrive à écrire un titre pop prog à la ACT et qu’il y a plein de groupes qui se vautrent en essayant c’est qu’ils n’assument pas leur côté pop. Il y a plein de groupe de prog qui se disent « on va faire du pop prog » mais en fait, pas du tout. Ils n’ont pas vraiment un côté pop. En fait, le vrai truc mortel dans ACT c’est quand même que ces mecs là, tu sens qu’ils ont écouté ABBA et qu’ils ne se posent aucune question. Par exemple, en prenant des accords et des chœurs complètement bateau mais c’est pas grave car c’est intégré dans un morceau qui n’est pas normal et c’est ça qui fait que ça marche.
Blackmore : C’est tout à fait ça, quand vous discutez avec Jerry Sahlin (ndr : clavier et compositeur d'ACT), il vous parle de ses influences qui vont de ABBA à Dream Theater et qui sont totalement assumées. C’est vrai que comme tu le soulignes, beaucoup de groupes essaient d'intégrer la composante pop dans des structures prog complexes au lieu de faire le contraire.
Tomas : Complètement.
Blackmore : Et vous le faites avec beaucoup de talent, ce qui est quand même assez rare dans le genre, il n’y a guère que ACT voire Stolen Babies, je sais pas si vous connaissez ?
Tomas et Seb : Non.
Blackmore : Ils officient aussi dans le même style, mais un peu plus sombre et burtonien. En parlant de toutes ces références, est-ce que vous avez démarché des spécialistes comme Chromatique pour l’album ?
Tomas : Ce qui est drôle c’est qu’il y a une des fondatrices de Chromatique qui joue sur l’album puisqu’elle est dans le quatuor à corde qui joue sur quelques morceaux, à savoir Fanny Layani. Tu dois savoir qui c'est non ?
Blackmore : Oui.
Tomas : Elle joue donc sur le truc et je lui avais proposé de le chroniquer mais ça n’a rien donné. Apparemment Chromatique est plutôt sur des choses jazzy un peu plus tendu que nous.
Seb : ACT avait un peu cartonné là-bas (ndr : période progressia).
Tomas : ACT ils sont vraiment catalogué prog alors que nous, notre problème, c’est qu’on a un peu le cul entre deux chaises. C'est-à-dire que certains médias métal nous ont catalogué comme un groupe qui voudrait être métal mais qui du coup passe un peu pour un groupe de pd (rire général) et pour les médias pop on est vraiment trop rentre-dedans et personne ne parle de nous. Quand à la scène progressive, à part quelques médias, on est un peu un groupe de pop donc du coup c’est trop commercial pour eux. A part …
Seb : A part toi (rire général)
Tomas : Il y a un mec de
Music Waves qui a vachement bien cerné le truc aussi, mais c’est assez rare sinon de trouver des échos qui comprennent bien l'orientation du groupe.
Aurelia : Par rapport à nos auditeurs, c’est encore pire car il y a vraiment personne qui connait ces groupes.
Tomas : Après si ça leur plaît moi ça me pose pas de problème. Si ils aiment bien "Orpheline" parce que le morceau est pop, moi je trouve ça très bien. Par contre, c’est toujours énervant quand quelqu’un vient nous dire que c’est commercial, tu tombes un peu des nues.
Blackmore : En tout cas, on kiffe bien ce genre ici ! Enfin surtout moi (rire général). Toujours concernant le nouvel album, j'ai noté une très nette amélioration concernant le chant. A l'époque pas toujours en place, il s'intègre désormais parfaitement à la musique du groupe tout en étant plus mélodique et catchy. Que s'est-il passé ?
Aurelia : Quand je suis arrivée dans le groupe, j'étais jeune avec peu d'expérience et surtout la moitié des morceaux et des parties de chants étaient déjà composée. Certaines fonctionnaient mais pas forcément pour ma voix. Après le premier album, on a tourné et je me suis rendu compte que j'adorais la scène, en tout cas plus que le studio. Sur scène je déployais plus d'énergie, je le sentais plus musicalement. Du coup, pour le deuxième album on s'est dit qu'on avait bien plus envie de composer lors des répétitions. Je ne sais pas si tu sais, mais le groupe est assez éloigné géographiquement. Donc on composait surtout par email, les mecs m'envoyaient les parties des morceaux, on se réunissait en répète et on travaillait là-dessus. Mais là pour le coup, on a fait pas mal de répètes ou j'improvisais pour les voix directement sur les instrus et on discutait tout en essayant de faire ci ou ça. Donc c'était une façon beaucoup plus directe de fonctionner et j'ai aussi certainement pris plus d'assurance avec tous les concerts qu'on a fait.
Seb : On peut parler de tes textes aussi non ?
Aurelia : Ha oui, là le fait que ce soit moi qui ait écrit tous les textes était très important. Je l'avais pris comme une sorte de défi parce que j'avais pas forcément l'habitude d'écrire avant. Là je me suis dit que j'allais écrire tous les textes et prendre en charge la partie visuelle. Cela me permet d'apporter ma personnalité dans le groupe.
Tomas : Et mine de rien, suivant l'avis de certaines chroniques comme la tienne, on s'est dit : «
Ha ouais, est-ce que ça donne vraiment cette impression là ? » Et en réécoutant le premier album, on s'est rendu compte qu'effectivement le chant semblait parfois tout mollason quand on envoyait la patate ou que ça ne suivait pas très bien. Donc l'effet des retours nous a encouragés à bien travailler ce point, il fallait surtout pas qu'on foire ça sur le nouvel album.
Blackmore : Tout ça me fait revenir aux textes, l'album n'est pas un concept mais on en n'est pas loin. Les textes sont liés par des thématiques communes, c'était volontaire ? Est-ce que tu peux un peu nous en parler ?
Aurelia : Déjà, comme c'est la même personne qui écrit tous les textes, il y a forcément des liens entre eux. Ensuite, j'ai commencé l'écriture par des créations visuelles parce qu'on avait dans l'idée que j'allais faire la pochette de l'album, ainsi que le livret. Tout de suite, il y eu des choses qui se sont retrouvées, des oiseaux, des éléments féminins d'où le nom
Femelles. C'était d'ailleurs l'un des premiers morceaux écrit. Je me suis engagée directement dans la voie de l'animalité, tout ce qui tourne au niveau de l'instinct féminin. Une sorte de subtilité autour de mes émotions. Après, le processus d'écriture, je pars de choses très concrètes qui me choquent et que je transpose avec des métaphores pour que ça touche d'autres gens. Mais effectivement, l'album ne s'appelle pas
Femelles pour rien, c'est le fil rouge mais sans pour autant que ce soit un concept album.
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Blackmore : D'ailleurs les textes sont plus durs que par le passé, si on prend "Presque Rien" c'est moins gentillet qu'avant. La musique est aussi plus thrash, est-ce que ce n'est pas difficile de concilier cet aspect pop parfois « happy » avec des moments plus durs ?
Aurelia : C'est peut-être un peu égoïste comme idée mais sur scène, si je chante des textes trop gentils, je vais m'ennuyer (rire). Il faut que je vive un peu ce que je chante, c'est l'émotion qui porte la voix, j'ai des choses à dire. C'est l'inverse qui est difficile pour moi, à savoir de me retenir. J'ai un amour pour le texte, le jeu avec les mots, les sonorités. Je parle souvent des sonorités, des mots et j'essaie d'évoquer des images et des sentiments plutôt que des situations particulières. "Presque Rien" ça part tout simplement d'une angoisse personnelle, on n'a pas besoin de savoir d'où elle vient mais c'est la description d'une rage intérieure qu'on a tous ressentie un jour. |
Blackmore : Et faire un concept album, c'est quelque chose qui vous intéresserait ou c'est peut-être un peu ambitieux, trop complexe ?
Aurelia : Il y a rien de concret pour l'instant mais on envisage.
Tomas : Moi j'avais un peu cette idée en tête avant qu'on enregistre ce disque. En fait, on avait composé un morceau qu'on n'a pas eu le temps de terminer.
Seb : Je donne le nom du morceau, Il s'appelait "King Gabriel" ! (rire général).
Tomas : Oui, celui-là a fini par donner plusieurs morceaux dans l'album parce qu'on essayait de l'intégrer à plusieurs titres. Et il y avait un autre morceau qu'on a composé sur la fin, juste avant l'enregistrement. Je me rappelle plus s'il avait un titre de travail ...
Seb : "Question/Réponse" !
Tomas : Oui voilà, en fait ces deux titres reprenaient des parties communes. Ca répond peut-être un peu à ta question, en fait le concept album est un exercice un peu flippant mais je nous verrais bien faire un EP qui tournerait autours de quelques thèmes musicaux avec des éléments imbriqués. Par exemple, 30 min avec des éléments imbriqués, ça serait cool.
Aurelia : De toute façon, dans leur façon de composer les garçons sont toujours dans ce jeu de ... hum de questions / réponses en fait ! Il y a plein d'endroits où des fins de morceaux sont ajoutées à d'autres morceaux avec différents liens. C'est super important.
Blackmore : C'est un peu ce que vous faites dans "Immobile" et "Lost".
Tomas : Oui, en réalité "Lost" est un morceau de 9min .
Blackmore : "Immobile" et "Lost", c'est un peu le titre épique du disque !
Tomas : Oui voilà.
Blackmore : Du coup, si vous voulez vraiment attirer le public prog, faites un morceau de 20 min, vous verrez, là ils vont tous accourir ! (rire général)
Seb : Avec du mellotron !
Blackmore : Justement, à quand un claviériste dans le groupe !
Seb : Un claviériste c'est compliqué, ça veut dire qu'il faut une personne en plus et qu'il faut qu'on puisse lui faire confiance. De plus, il faudrait qu'il ait l'ouverture d'esprit nécessaire et qu'il soit bon dans le choix esthétique des sons.
Aurelia : Et puis surtout, le clavier ne rentrerait pas dans la voiture ! (rire général)
Seb: On a déjà eu l'expérience d'avoir un clavier avant la formation Eole et ça nous a un peu refroidis.
Tomas : C'est déjà super dur de trouver des gens avec qui ça se passe bien humainement et avec qui tu peux rapidement travailler l'aspect artistique. De plus, comme on est géographiquement séparés il faut vite choper les trucs pour pouvoir avancer. Mais comme on a une ligne artistique assez clair dans Eole maintenant, on a plus ou moins réglé le problème en jouant Seb et moi tous les claviers sur l'album et pour les morceaux live, comme "Orpheline" ou "Le mal est fait", on joue avec des séquences. Ca serait cool d'avoir un claviériste mais ça serait aussi beaucoup de travail.
Blackmore : On peut aussi faire comme dans Rush en courant dans tous les sens sur scène et en jouant du clavier avec les pieds (rire général) !
Tomas : Mais tu sais que j'adorerais le faire parce qu'Aurelia joue du clavier, Seb joue de la basse, guitare batterie et clavier et je sais aussi jouer de plusieurs instruments. En fait, c'est très très con ce que je vais dire mais ça fait juste du matériel en plus à trimbaler alors qu'en fait on essaie surtout d'en avoir le moins possible. C'est déjà très compliqué de se déplacer sans perdre d'argent. Mais j'aimerais bien avoir un petit clavier sur scène, au début on avait prévu de faire jouer à Seb l'intro d'"Orpheline" au clavier, mais ça veut dire qu'il faut tout le matériel.
La suite au prochain épisode !