Sebrouxx : Lors de notre dernière rencontre il y a deux ans, je t’avais parlé du secret espoir que j’avais de te voir réaliser un disque de reprises. Je voulais donc te demander si j’étais à l’origine de ce projet devenu disque, Songs Of Freedom ?
Nguyên (
rires) : Pourquoi pas !
Sebrouxx : Même pas un petit peu ?
Nguyen (
rires, puis sérieux) : Au départ, c’est surtout Siggi, le patron de ACT (NDLA : label de Nguyên) qui m’a demandé de faire un Hendrix n°2 (NDLA: en 2002, Nguyên a sorti l'album
Purple - Celebrating Hendrix, soit déjà 10 reprises du Maître). J’ai dit : «
Oui, je vais voir. » Et puis j’ai réfléchi, j’ai commencé à travailler et en fait j’ai pensé que ce serait plus intéressant - pour moi en tout cas - de faire quelque chose d’autre que Hendrix et d’attaquer les copains comme Led Zeppelin.
Sebrouxx : Donc pour l’instant, tu as complètement abandonné l’idée d’une suite à Purple ou c’est quelque chose que tu souhaites réaliser un peu plus tard ?
Nguyên : En soi, ce n’est pas une mauvaise idée. C’est juste que d’une manière générale, j’aime bien changer. Et sur mes disques, à chaque fois, j’essaie d’apporter quelque chose de nouveau et donc je n’avais pas envie de faire une espèce de redite. Et le fait d’attaquer un autre répertoire, c’était plus inspirant.
Sebrouxx : Tu n’estimes donc pas avoir fait le tour du sujet Hendrix avec Purple ou, au contraire, il y a clairement matière à ce que tu en sortes un deuxième volume ?
Nguyên : Il reste plein de choses à faire. Cela reste un symbole musical et un compositeur très riche.
Sebrouxx : Le label a-t-il immédiatement accepté ton idée, donc, de reprendre ces standards du rock, du hard et de la pop ? Les responsables de ACT n’ont-ils, au contraire, pas trop insisté pour un Purple n°2 ?
Nguyên : Non, non. Ils étaient très contents. Ce qui les intéressait surtout, c’était que je revienne avec mon côté « électrique » que je n’exploite pas toujours dans les disques. Tout est donc parti de leur suggestion que j’ai personnalisée.
Sebrouxx : La réponse semble sûrement se trouver dans la question, mais la filiation est-elle si évidente que cela, pour toi, entre Purple et Songs Of Freedom ? Peut-être y vois-tu une cassure dans ta discographie ?
Nguyên : Non, non, il n’y a pas de cassure mais complètement une filiation qui est surtout avec “Voodoo Chile.” En fait, c’est le concept de mon interprétation de “Voodoo Chile” que j’ai développé et extrapolé dans
Songs Of Freedom et pas seulement le simple fait de reprendre pour reprendre un standard du rock. Il fallait surtout en donner un point de vue ethnique et d’avoir le point de vue d’un musicien non-européen.
Sebrouxx : Avant même “Voodoo Chile“, tu t’étais déjà confronté à l’exercice en reprenant le “I Feel Good” de James Brown ?
Nguyên : Ouais, mais ce n’était pas très ethnique, je dirais. C’était juste funk et juste fun. Mais ce n’est pas pareil que pour
Songs Of Freedom. Cette reprise de James Brown, elle est complètement reliée à mon autre lecture de l’œuvre de Hendrix, qui en aime à la base le groove et l’énergie.
Sebrouxx : Question que tu risques d’endurer dans bon nombre de futurs entretiens que tu vas être amené à donner. Et autant passer dans les premiers : comment as-tu procédé pour la sélection des titres ?
Nguyên : En fait, il faut savoir que toutes ces chansons que j’ai travaillées, ce sont des chansons qui ont marqué ma jeunesse, et je dirais même qui m’ont fait aimer la musique. Parce qu’en fait j’ai commencé à aimer la musique très tard, vers douze ans. Avant cela ne me faisait rien du tout, même plus : cela ne m’intéressait pas du tout. (rires). C’est très paradoxal.
Sebrouxx : Tu es le John McEnroe de la musique et de la guitare alors…
Nguyên : Oui, et je ne parle même pas d’être guitariste, d’être musicien, mais juste de l’écoute de la musique. La première musique qui m’a fait vibrer, c’était Deep Purple. A douze ans, c’était Deep Purple et puis après il y a toutes ces chansons-là qui ont vraiment marqué ma jeunesse.
Sebrouxx : Et justement, je comptais t’en parler, pourquoi n’as-tu alors pas sélectionné le moindre morceau du Purple ?
Nguyên : J’ai réécouté cela forcément quand je me suis mis à ce projet et puis, en fait, cela ne m’inspirait pas du tout. Deep Purple ne m’inspirait pas du tout parce qu’en fait, c’était moins bien que ce que je croyais. En revanche, j’ai aussi réécouté les Who et cela reste génial. Mais en même temps, c’est tellement bien en soi que je ne voyais pas ce que je pouvais faire d’autre. Et Led Zeppelin, cela reste monstrueux en soi, mais il y a un espace qui m’inspire beaucoup et qui fait que je peux en faire quelque chose à moi. Mais les Who, je ne vois pas. |
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Sebrouxx : Tu vas te faire des amis parmi les fans de Blackmore sur ce coup-là !
Nguyên (
rires) : Ouais, je sais!
Sebrouxx : Même des titres comme “Child in Time”, “Mistreated”…
Nguyên : J’ai adoré ces titres quand j’étais petit mais maintenant… Ceci dit, il faut les travailler. Si on prend par exemple le “In a Gadda da Vida” (NDLA : de Iron Butterfly, repris par Slayer pour les curieux comme me l’a rappelé Nguyên), c’est un très bon exemple d’un morceau que j’ai aimé quand j’étais petit et que je ne trouve pas terrible quand maintenant je l’écoute.
Sebrouxx : Et là tous les morceaux que tu as repris, ce sont des titres tu aimes encore ? Si je te dis que ce soir, on s’écoute la discographie complète de Led Zep, ça te va ?
Nguyên : Sans aucun problème !
Sebrouxx : Y a-t-il des morceaux que tu as été contraint de laisser sur le bas-côté parce que ce n’était pas possible pour des raisons de droits ou d’arrangements ?
Nguyên : J’ai travaillé d’autres trucs. Il y avait un autre Led Zeppelin, appelé “Friends” mais j’ai abandonné quand je me suis rendu compte que ce n’était pas assez intéressant dans le sens où cela n’était pas assez différent. C’était trop premier degré et je ne voulais pas du tout faire dans le premier degré.
Et puis j’avais aussi travaillé un autre truc qui était “Seven Seconds” (NDLA pour les Metalleux : de Youssou n’Dour et Neneh Cherry). Mais il était juste hors-contexte car il était trop récent. Et surtout parce qu’il était trop récent. Et puis je trouvais cela plus intéressant de resserrer sur cette époque ds années 60-70 qui correspondent à un certain type de musique, à une certaine esthétique.
Sebrouxx : Et tu arrives à aborder de la même manière les répertoires de Janis Joplin, de Stevie Wonder, de Bob Marley puis de Led Zeppelin ?
Nguyên : À chaque fois, c’est différent. Comment dire ?
Sebrouxx : Il n’y a pas une Methode “Lê” applicable pour toute reprise ?
Nguyên : Il n’y a pas de méthode, mais comme je te le disais, il y a un concept qui est et reste ce point de vue ethnique sur ces chansons pop et rock. Mais je te dirais que pour moi, c’est tellement naturel, j’aime tellement ces morceaux que j’y mets mes émotions et je sais vers quelle direction je vais aller et dois aller.
Sebrouxx : On retrouve sur le disque, morceau après morceau, l’ensemble des musiciens qui déjà participé à tes précédents enregistrements d’albums. Te sont-ils d’une aide précieuse lors de l’écriture des arrangements ?
Nguyên : Globalement, j’ai tout fait tout seul. Mais j’ai demandé de l’aide, volontairement, à certaines personnes comme Prabhu (NDLA: Prabhu Edouard, joueur de tablas franco-indien) car je voulais qu’il amène un truc totalement authentique. Un truc indien totalement authentique. Moi, je connais bien la musique indienne mais je ne la connais pas assez de l’intérieur et je voulais que ce soit plus un regard intérieur. À l’opposé, je connais plus la musique maghrébine que la musique indienne. J’ai donc mois ressenti l’envie de demander son aide à Karim Ziad (NDLA: batteur et percussionniste algérien), par exemple. Je lui ai juste demandé de jouer… ce qui est déjà beaucoup (
rires).
Sinon au niveau chant, je ne le lui avais pas demandé, mais Ousman Danedjo s’est beaucoup investi sur le morceau de Stevie, “Pastime Paradise.” Il s’est complètement approprié le morceau. Il a une personnalité très complexe et surprenante puisqu’il est complètement blanc, il a des racines polonaises et même temps il est africain. Il parle couramment plusieurs langues africaines, il chante comme un Africain. En fait, et je ne le lui avais pas dit expressément, mais j’attendais de lui qu’il donne un point de vue africain sur “Pastime Paradise.”
Sebrouxx : Et au regard du morceau d’origine, cela ne devait pas être gagné d’avance. C’est d’ailleurs le titre le plus long de l’album, le plus« World Progressif » ! On est loin de Coolio!
Nguyên : Exactement (
rires)
Sebrouxx : Es-tu justement passé par une période où tu as passé le clair de ton temps à écouter comment d’autres musiciens avaient réarrangé ces morceaux, notamment ceux des Beatles et de Led Zep dont on ne compte même plus les ré-interprétations ?
Nguyên : Un petit peu. Mais pas beaucoup en fait. Chaque fois que j’ai cherché et écouté, en passant par Deezer, j’entendais des trucs et me disant que ce n’était surtout pas ça que je devais faire. J’ai écouté mais plutôt dans un sens négatif.
Sebrouxx : Négatif dans quel sens ? Que ne faut-il, selon toi, pas faire lorsque l’on se décide à reprendre un morceau ?
Nguyên : Ce que je conçois, surtout quand il s’agit de morceaux mythiques, de morceaux déjà monstrueux à la base, c’est qu’il ne faut pas que ce soit moins bien (
rires). Il faut que ce soit un challenge, pas une simple copie.
Sebrouxx : Finalement, après tant d’arrangements, tu te retrouves un peu avec des compositions personnelles ou cela n’a rien à voir avec un vrai titre que tu as composé de A à Z ?
Nguyên : C’est différent. Tu comprends que pour une compo personnelle, on est libre, on fait ce qu’on veut… même si cela n’est pas qu’un avantage. Là, ce qui est génial avec des morceaux pareils, c’est qu’ils sont très, très forts et que quelque part on peut se laisser aller. Ils nous portent tellement c’est un plaisir de les jouer. Rien que cela, c’est déjà super, mais le danger est de ne pas trop se laisser aller dans ce plaisir parce que l’idée, c’est de les reprendre.
Sebrouxx : Et pour une reprise, quel est ton cheminement ? Admettons, tu sélectionnes “Black Dog.” Comment procèdes-tu ensuite ?
Nguyên : “Black Dog”, par exemple, je prends juste le riff. Mais déjà il y avait le concept ethnique d’en faire une version orientale. Concept qui est déjà dedans en fait parce que Led Zeppelin, c’est extrêmement oriental. Il faut juste pousser un petit peu et ça ressort tout seul tellement c’est présent dans leur musique. Donc ce que j’ai fait, c’est que j’ai gardé le rythme de la phrase, j’ai changé des notes pour que cela devienne subtilement différent. Il y a juste une espèce de chromatisme qui n’est pas dans le morceau original. Et ensuite, comme je le fais toujours dans les arrangements, j’insère un morceau à moi. Pas forcément un morceau entier, mais j’insère un petit quelque chose qui n’a pas de rapport direct avec le morceau.
Il y a eu ensuite tout un travail avec la rythmique. Dans le morceau original, il y a un truc très complexe rythmiquement, en 9/16, et ce qui est marrant, c’est que John Bonham garde le 4/4. Et moi justement, j’ai fait le contraire : j’ai gardé le 9/16 et j’ai demandé à tout le monde de jouer en 9/16 (
rires) !
Sebrouxx : Et tu n’avais pas encore pensé au chant que tu allais y intégrer…
Nguyên : Le chant, c’est le plus spectaculaire.
Sebrouxx : Limite chanté par une femme…
Nguyên : Tu peux le dire. Pourtant c’est Dhafer (NDLA: Dhafer Youssef, célèbre compositeur, chanteur et oudiste tunisien), mais son chant est tellement aigu. Mais comment te dire ? Je ne sais pas s’il connait Led Zeppelin de l’intérieur, mais en tout cas il connaît cette énergie. Il a déjà cette énergie en lui-même, on a joué plein de fois ensemble, et il aime bien quand je «
Get nuts », quand je pars en transe avec l’électricité. Et en fait ce que j’adore en mettant des personnalités comme ça dans ce contexte musical différent de leur musique habituelle, on révèle le contexte d’une autre manière. On révèle l’orientalité de Led Zeppelin et on révèle la transe de ce Heavy Metal. Pour moi dans Led Zep, il y a cette transe.
Sebrouxx : Mais aussi un petit côté méditation, notamment lors du break de “Black Dog”...
Nguyên : Il y a la méditation, mais il y a surtout l’hystérie, le dépassement de soi mystique qui est complètement favorisé par ces rythmiques très lourdes et très entêtantes et ces atmosphères mystiques. Et le chant de Dhafer est totalement mystique et j’adore le fait de révéler “Black Dog” de ce point de vue !
Sebrouxx : Pour Led Zep, justement, connais-tu l’album No Quarter Unledded, sur lequel Page et Plant avaient réarrangé un certain nombre de leurs hits, avec l’aide de musiciens marocains, gallois ? Certains titres partaient déjà bien dans « l’orientalisant », si tu me permets ce barbarisme…
Nguyên : Tout à fait.
Sebrouxx : Tu es allé bien plus loin qu’eux et que Page dans la science de l’arrangement.
Nguyên : Mais, c’est Page et Plant qui ont commencé.
Sebrouxx : Disons que j’ai plus eu l’impression en le réécoutant la semaine dernière d’entendre Page et Plant, plus des musiciens additionnels, reprendre quelques chansons bidouillées de Led Zep mais qui restent plus que clairement identifiables. Songs Of Freedom va au-delà du simple disque de reprises, mais au aussi et surtout au-delà du seul disque de guitare fusion.
Nguyên : C’était ça l’idée : allez bien plus loin qu’eux. Mais en fait d’autres gens m’ont parlé de cet album et de cd DVD de Led Zep, de cette expérience ethnique de Led Zep. J’en avais vu quelques bouts à la télé. J’avais aussi vu un ancien groupe de Robert Plant, très maghrébin. Mais le DVD, je ne l’ai pas vu.
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Sebrouxx : Et tu n’as pas plus envie que cela de le voir…
Nguyên : Si, si avec plaisir. Mais je n’ai pas cherché tant que cela en fait, je suis parti tout de suite dans mon délire. Mais on ne parle que de “Black Dog”, c’est un exemple. Comme je te l’ai dit, il n’y a pas de méthode. Chaque titre est différent.
Sebrouxx : Il suffit d’enclencher le CD une seconde fois pour s’en rendre compte. Le choix de “Eleanor Rigby” des Beatles comme opener et excellent. Mais est-il mûrement réfléchi ?
Nguyên : Dans le disque , il y a des morceaux très, très intenses comme “Black Dog”, comme “Whole Lotta Love”, et je ne pouvais pas commencer avec un morceau comme ceux-là. Il me fallait une ambiance plus soft et dans “Eleanor”, j’adore l’intro, juste en duo guitare et chant. Elle sonne très vietnamienne. Je n’utilise pas les notes vietnamiennes, mais l’atmosphère, le jeu de guitare me rappelle l’intro d’un autre de mes disques très importants qui est Tales Of Viet-Nam, sorti en 96 (NDLA: “The Wind Blew It Away.”) Cela commence pareil, par un duo guitare-chant… sauf que la voix est vietnamienne et que je m’inspire du son de la cithare vietnamienne pour mon son de guitare. Et beaucoup d’années après, cela recommence avec une chanteuse coréenne, qui chante en anglais et à la fois une autre histoire et une même histoire qui commencent. |
Sebrouxx : L’idée était donc que cela monte crescendo dans l‘énergie.
Nguyên : Exactement.
Sebrouxx : Et tu avais une idée précise de la manière dont l’album devait se terminer ?
Nguyên : C’est “Come Together.” J’ai eu l’idée de faire chanter cela par quatre chanteurs à la toute fin. Longtemps le morceau est resté sans chanteur pour te dire la vérité. Je ne trouvais pas quelqu’un qui puisse le chanter entièrement et on arrivait à la fin. J’ai eu cette idée d’inviter chacun d’eux à faire à sa manière chaque couplet. Pour le concept, c’était parfait de finir sur cette idée de réunion, de partage.
Sebrouxx : As-tu songé à inviter un chanteur anglo-saxon ou une chanteuse ango-saxonne le temps d’un titre ?
Nguyên : Pour ce disque, si. A un moment j’avais pensé à inviter Deedee Bridgewater ou Diane Reeves que j’adore, mais qui sont très jazz. Je suis sûr qu’elles auraient fait un carton mais cela ne s’est pas fait. Ce fut une idée que je n’ai pas poussée plus loin que ça. Après il y a aussi une histoire de sous.
Sebrouxx : Et deux stars de jazz, elles risquent de t’éloigner et du côté guitare et de ton concept…
Nguyên : Déjà, j’allais leur demander de devoir travailler (
rires). Ça, c’est une chose. L’autre chose, c’est tout le côté administratif et financier que je ne voulais pas trop assumer non plus. Là, ce qui est super, c’est que ce disque, c’est que les copains.
Sebrouxx : Effectivement ils jouent tous sur des disques précédents et on les retrouvera sur les prochains, et même le Hendrix 2…
Nguyên : C’est que des gens que j’adore et pas juste de super musiciens. Pour certains, je les connaissais moins : Youn (NDLA: Youn Sun Nah, chanteuse d'origine coréenne), c’est la première fois que je bosse avec elle et en même temps c’était une super expérience. David Linx (NDLA: parolier, compositeur et chanteur de jazz belge), on se connaît depuis longtemps mais c’est la première que l’on travaille aussi sérieusement.
Sebrouxx : L’enregistrement a-t-il été compliqué à gérer, au regard des nombreux et divers participants ? D'autant que pour certains comme David Linx, en plus de les sortir du jazz, tu leur as demandé de chanter des morceaux éminemment féminins.
Nguyên : L’enregistrement s’est fait en deux phases. Enfin pas deux phases, deux endroits : le Studio 7e Ciel à Issy-les-Moulineaux où l’on a enregistré en groupe, en quartet basse-batterie-vibra et guitare. C’est pour cela qu’il y a ce côté live et c’était important pour moi de garder cette énergie.
Sebrouxx : Forcément tu n’as pas cette énergie quand chacun enregistre ses parties de son côté sur Protools et autres…
Nguyên : Tout le reste est fait comme ça. Mais la base reste cet enregistrement live et les solos sonnent super live. Moi, j’adore ça parce que c’est hyper écrit et très complexe et dès les solos de guitare, le tout pète les plombs.
Sebrouxx : D’ailleurs as-tu déjà une idée du rendu scénique de cet album lorsque tu tourneras avec ce disque ?
Nguyên : En fait, on a fait un concert il y a un an et demi, donc bien avant le disque, mais pendant lequel on avait expérimenté quelques-uns de ces morceaux et de ces arrangements avec un groupe en quintet. On a fait cela à Lyon car j’avais l’opportunité d’une résidence et on a pu bien travailler dans cette optique. Donc je sais déjà que ces morceaux marcheront sur scène. Mais après et avec la réalisation du disque, j’ai ajouté d’autres morceaux qui seront plus complexes. Donc on va travailler.
Sebrouxx : Faut-il s’attendre à des sets qui mixeront à la fois des titres de Songs Of Freedom et de Purple ou comptes-tu ne jouer que des morceaux du petit dernier ?
Nguyên : On ne jouera que ce répertoire-là. À Lyon, on avait quand même joué “Little Wing” mais de toute façon, ça, c’est facile, je dirais. Mais les nouveaux morceaux, eux, sont très difficiles à exécuter. Et le vibra apporte une dimension harmonique et timbrale qu’il n’y a pas dans Hendrix. Il a juste cette même énergie, essentielle.
Sebrouxx : À titre personnel, y a-t-il une reprise que tu aimes tout particulièrement ?
Nguyên : J’ai récemment entendu une version de "Bilie Jean" par un chanteur blanc qui joue de la guitare rock, c’était super.
Sebrouxx : Ce n’était pas John Mayer ou Coldplay ?
Nguyên : Je ne sais plus, je vais chercher et je te dirai. C’était super car il le reprenait très « ballad », blues écorché. Rien à voir avec l’original, pas du tout funky swinguant comme Michael.
Sebrouxx : Et si demain quelqu’un te contacte pour reprendre une de tes compositions, quel titre souhaiterais-tu voir réarrangé dans l’idéal ?
Nguyên : J’ai déjà eu des messages de gens qui faisaient cela.
Sebrouxx : Pour quel résultat ?
Nguyên : Une fois j’ai découvert une reprise sur Youtube, mais le mec joue tout seul un de mes titres qui s’appelle “Be.” Et je ne sais pas pourquoi, il a voulu le mettre sur Youtube, mais c’est juste guitare solo mais il ne la joue pas extrêmement différemment. Il n’y a pas d’arrangement spécial.
Sebrouxx : Tu la vois comment la version thrash d’un de tes titres ? Ce serait un honneur d’être repris dans n’importe quel style ?
Nguyên : Clairement.
Sebrouxx : Faute d’avoir trouvé un de tes morceaux, je te propose d’écouter quelques reprises de morceaux célèbres dont quelques-uns que tu as d’ailleurs mis en boîte sur Songs Of Freedom ou Purple. C’est parti.
MORCEAU 1 : Bodycount - "Hey Joe"
Nguyên : C’est marrant, je ne connais pas mais le chanteur a un truc à la Mick Jagger. Montre voir le solo de guitare.
MORCEAU 2 : Jeff Healey Band - "While My Guitar Gently Weeps"
Nguyên : J’aime bien la chanson déjà.
Sebrouxx : C’est Jeff Healey.
Nguyên : Je connais et j’aime bien son chant. Il y a une émotion bien particulière. C’est un super morceau des Beatles.
MORCEAU 3 : Frank Zappa – "Stairway to Heaven"
Nguyên (visiblement amusée) : Je l’ai déjà entendue.
Sebrouxx : Le fils de l’interprète en question reprend son répertoire.
Nguyên : Je ne vois pas.
Sebrouxx: C’est Frank Zappa.
Nguyên : Ah ouais, on m’avait parlé de cette version, mais je ne la connaissais pas.
MORCEAU 4 : Gary Moore – "Please Don’t Let Me Be Misunderstood"
Nguyên : Non, je ne connais pas.
Sebrouxx : Attends, je te mets l’original de... Nina Simone.
Nguyên : Qui le reprend ici.
Sebrouxx : Le défunt Gary Moore.
Nguyên : Le défunt Gary Moore. Je le voyais plus blues que hard comme ici. Il avait l’air sympa. Mais la version de Gary Moore, ce n’est pas beau.
MORCEAU 5 : Pat Metheny – "Third Stone from the Sun"
Nguyên : Metheny ? Pourtant on ne le reconnait pas du tout, c’est un peu étrange, la wah-wah et surtout la disto. Pat ne joue jamais disto. Et en plus c’est un sample de Pasto derrière.
Sebrouxx : Gagné. C'était cadeau, non !?
MORCEAU 6 : Sepultura – "War"
Nguyên (plus que circonspect) : Là, je ne vois même pas le morceau original.
Sebrouxx (enclenche l’original) : Je te le mets.
Nguyên (reconnaissant Bob Marley) : Ah oui quand même.
Sebrouxx : Une certaine conception du raggae chez nos amis de Sepultura, Brésiliens si tu ne le savais pas. Pas très ethnique.
MORCEAU 7 : Tim "Ripper" Owens & George Lynch – "Hey Jude"
Nguyên : C’est qui le chanteur ?
Sebrouxx : Tim Owens.
Nguyên : Il joue pour qui ?
Sebrouxx : La liste est devenue relativement longue ses dernières années. Mais il reste connu pour avoir principalement remplacé Rob Halford dans Judas Priest.
Nguyên : Et le guitariste ?
Sebrouxx : C’est George Lynch, chantre du shred 80's et expert en arts martiaux.
MORCEAU 8 : Michael Angelo Batio – "Clapton is God" ("Layla"-"Badge"-"Sunshine of Your Love")
Nguyên : C’est Eric Clapton, ça, après la partie classique. C’est quel morceau déjà?
Sebrouxx : “Layla”, de Derek and the Dominoes. Mais il y en a un autre qui va suivre que tu connais forcément.
Nguyên : “Sunshine of Your Love” ! C’est qui ?
Sebrouxx : Michael Angelo Batio, l’une des plus rapides gâchettes de l’Ouest Américain.
Nguyên : Ca s’entend, le son est puissant en tout cas.
MORCEAU 9 : Yngwie Malsmteen – "Child in Time"
Nguyên (coupe) : Ah par contre, j’ai écouté Deep Purple récemment, avec Steve Morse et j’ai trouvé ça génial. Tu aimes Steve Morse ?
Sebrouxx : Bien sûr, mais en général ailleurs que dans Deep Purple.
Nguyên (
rires) : Pourquoi ?
Sebrouxx : J’ai du mal à écouter Purple sans Blackmore. Ca joue incontestablement bien, mais le son est trop propre, l’ampli trop bien réglé. Ce que cela a gagné en rectitude, ça l’a perdu en énergie.
Nguyên : Steve Morse quand même !
Sebrouxx : Je dois être « dans le faux » alors… Et je ne te parle même pas de l’interlude Satriani dans Deep Purple.
Nguyên (
rires) : Chacun ses goûts. Ah si, je connais cette reprise. Malmsteen?
Sebrouxx : C’est Maître Yngwie Malmsteen, qui - lui - ne doit vraiment pas aimer Steve Morse dans Deep Purple !
Nguyên : C’est ce qui me gène dans ce type de reprise : c’est ringard, moi, je trouve. Ça pouvait le faire à l’époque, mais là, ça ne le fait plus. Mais c’est le problème de ce type de musique, ses voix.
Sebrouxx : Pourtant Dhafer, il peut en balancer de la voix aiguë à la Ian Gillan ?
Nguyên : Je ne suis pas contre, c’est juste la manière dont c’est présenté, ça va trop loin dans le lyrique, dans la hargne.
Sebrouxx : C’est la marque de fabrique du genre. Cela tend trop la main pour chercher l’émotion ?
Nguyên : Oui mais de façon trop putassière, je dirais, avec de grands vibrato. Le Metal destroy a un peu trop passé la limite, et tu n’es plus la-dedans. Même s’il y a toujours ce côté épique qui fait toujours partie du Metal, dans le son et l’esthétique.
MORCEAU 10 : Korn – "Another Brick in the Wall, part. 2"
Sebrouxx : Je pensais que tu t’attaquerais à un morceau du groupe, vois-tu. Là, je te tends une perche en tant que fan ultime !
Nguyên : C’est Pink Floyd. Figure-toi qu’on m’a demandé de participer à un projet avec un pianiste italienne.
Sebrouxx : À la bonne heure !
Nguyên : Pour dire la vérité quand j’étais jeune, à l’époque où j’écoutais Deep Purple, je n’aimais pas Pink Floyd. Maintenant, j’aime un peu mieux mais cela ne reste pas un de mes groupes préférés. Mais j’ai déjà joué dans le projet d’une pianiste sur le groupe et j’ai remplacé son guitariste. Il y a de quoi faire car il y a des espaces et c’est aussi ouvert comme musique.
MORCEAU BONUS : Jimi Hendrix – "Sunshine of Your Love"
Nguyên : C’est Hendrix ou cover de Hendrix?
Sebrouxx : …
Nguyên : Je connais la version de Hendrix. Mais celle-là, ce n’est pas la meilleure version de Hendrix de “Sunshine.” La meilleure, je trouve, c’est une version live.
Sebrouxx : Là, c’est juste la version qui figure sur
Valleys Of Neptune, le « dernier album studio» d’Hendrix.
Nguyên : Hendrix, c’est comme Michael Brecker dans le jazz. Le mec a tellement été copié qu’au bout d’un moment on ne sait plus si c’est lui ou un clone qui joue. Parce que les clones, ils ont poussé le truc assez loin. Je connais par cœur les phrases d’Hendrix, mais je n’étais pas sûr que c’était Hendrix, là !
Sebrouxx : Pour le coup, Hendrix est allé plus loin que Clapton dans le côté énervé et groovy de “Sunshine.” D’ailleurs, quand on reprend ce type de morceaux comme tu l’as fait, on ne craint jamais d’aller trop loin et de trahir les intentions originelles de l’auteur ?
Nguyên : C’est ce que je dis dans les notes du disque, la musique une fois qu’elle est faite, elle appartient à tout le monde. C’est inhérent à l’art de manière générale. Prends un peintre, une fois qu’il a fini son tableau. Tous les gens qui le voient vont donner leur interprétation, l’interprétation qu’ils en veulent et c’est ça qui est beau. C’est ça la liberté, le «
Freedom » du titre, entre autres. C’est la liberté d’aller où on veut.
Sebrouxx : Sans trop se poser de question…
Nguyên : Voilà.
Sebrouxx : Je tiens à te remercier et te laisse le dernier mot aux lecteurs des Éternels, en principe amateurs de musiques extrêmes et brutales !
Nguyên : J’ai essayé d’être le plus énervé possible sur ce disque et j’espère que cela vous plaira. Merci à toi.
Un grand merci à Nguyên, à Axel Matignon et au label ACT.
http://www.nguyen-le.com/Site_Nu/Bonjour.html
http://www.actmusic.com/
Crédit photos: Sebrouxx SNRX