Cosmic Camel Clash : Compte tenu du délai entre le moment où l’album est sorti et le moment où l’on a pu faire l’interview, je vais pouvoir commencer par te demander comment l’album a été reçu. Comment est-ce que ça s’est passé depuis sa sortie et comment se sont passés les concerts ?
Mouss : Alors, comment a été accueilli l’album ? Très positivement. Tout le monde dit que c’est du Mass pur, on va dire, première époque, deuxième et troisième époques. Enfin tout réuni, quoi : nos treize ans de carrière sont réunis dans cet album. Il y a du morceau Mass classique, rentre-dedans, aux paroles positives. Il y a des morceaux un peu plus durs, un peu plus crus. Et toujours le petit morceau dance qui rend tout ce petit cadeau festif. C’est le petit nœud sur le cadeau. Même au niveau des critiques, des médias, il a été super bien accueilli et nous réglons maintenant la tournée... c’est ce qui se passe le mieux et tant mieux. Sinon on ne va pas revenir sur la crise du disque, mais nous avons vendu raisonnablement par rapport à la crise, nous nous en sortons bien. Et la tournée se passe impeccablement bien aussi. L’accueil est vraiment bon. Nous ne notons pas vraiment une baisse de fréquentation en concerts : nous notons une baisse plus que sensible des ventes de disques alors que la fréquentation en concerts ne bouge pas. On se dit que les gens continuent à venir à nos concerts même s’ils achètent moins de disques.... on va dire que c’est un point positif. Et nous, notre Vie avec un V majuscule, c’est la scène, c’est là où ça se passe le mieux. Donc nous ne pouvons que nous en réjouir.
Cosmic Camel Clash : Quand Une Somme de Détails est sorti, il était assez facile à décrire par rapport à son prédécesseur Mass Hysteria parce que c’était clairement le retour du gros son. Comment différencierais-tu Failles de Une Somme de Détails ?
Mouss : Oh, c’est l’album de la continuité, on va dire. Une Somme de Détails et Failles sont liés. A savoir que Failles a été créé et composé pendant la tournée d’Une Somme de Détails. Donc la dynamique de Une Somme de Détails et de la tournée de Une Somme de Détails s’est inscrite dans la création de Failles. Mais en abordant d’autres thèmes que nous n'avions pas abordés dans Une Somme de Détails . Donc ces deux albums sont en fait complémentaires. Comme tu dis, y a pas eu de rupture entre les deux, on ne peut pas les différencier. Ils sont imbriqués l’un dans l’autre, c’est la deuxième partie du retour de Mass. Comme tu disais tout à l’heure, Une Somme de Détails, c’est un peu le retour musical du groupe dans ce qu’il sait faire de mieux et voilà ! Failles s’inscrit vraiment dans la continuité. Je ne vois pas vraiment de rupture comme avait pu l’être l’album noir avec les autres albums et même De Cercle en Cercle, en 2001. Il cassait un peu la dynamique après Contraddiction et Le Bien-Etre et la Paix. Donc voilà : Failles est complémentaire avec Une Somme de Détails...un peu plus dark peut-être, un peu plus noir. Parce que la conjoncture et la crise font que nos paroles ressemblent à ce que nous vivons, et souvent à l’humeur ambiante sociale, culturelle, économique, artistique, tout ce que tu veux. Tout ce qui fait la vie du citoyen. | |
Cosmic Camel Clash : J’ai l’impression que sur Failles - mis à part le titre dance où c’est vraiment très en avant - les éléments électro étaient plus en retrait. Que vous avez voulu mettre les guitares à fond. Déjà est-ce que tu es d’accord et, si oui, est-ce quelque chose que vous avez fait volontairement ?
Mouss : Ah oui, je suis d’accord. C’est vraiment l’analyse qu’il faut. Mais est-ce que c’était voulu ? Oui et non. Nous voulions des machines mais nous ne savions pas non plus dans quelles proportions en mettre parce qu'avant que l’album
Une Somme de Détails ne sorte, Olivier, qui faisait les guitares et les machines, est parti faire son groupe à côté qui s’appelle Aaron. Et pour
Failles, nous n'avions plus personne pour faire les machines. Donc nous avons contacté un pote à nous qui a bien voulu faire les machines, Julien. C’est un mec qui vient de la drum ‘n’ bass, qui fait des plans DJ et qui a plein de side-projects à côté, des musiques de pub aussi. C’est un p’tit gars qui assure bien les machines donc nous lui avons demandé d’habiller quelques morceaux. Il n’y a pas eu d’implication énorme de Julien avec nous : nous lui avons donné nos instrus et il les a habillées. Nous avons validé plein de choses, nous avons enlevé plein de choses et voilà : ça c’est arrêté là en fait.
Cosmic Camel Clash : C’est un peu comme si les éléments électro avaient été relégués au niveau de l’arrangement ?
Mouss : C’est ça. Nous ne sommes pas pris la tête. Il y a des choses que nous voulions enlever et du coup il n’y avait plus trop la patte "machines" de Mass mais nous ne nous sommes pas focalisés là-dessus, nous n’avons pas bloqué. Nous avons gardé ce que nous estimions être bon et nous avons enlevé ce qui ne nous correspondait pas au niveau des machines. Donc il y a des morceaux qui ont été un petit peu dénués de machines, mais voilà... et du coup les guitares ressortent plus au mix, forcément. Mais c’est voulu et pas voulu... c’était conjoncturel, quoi ! Ça s’est présenté comme ça, nous avons fait comme ça. Si nous avions voulu plus de machines nous aurions travaillé beaucoup plus avec Julien et nous aurions fait en sorte que ce qu’il nous semblait indispensable en machines y soit. Mais non : ça ne nous a pas offusqué donc nous avons fait comme ça.
Cosmic Camel Clash : A l’époque où Une Somme de Détails est sorti, Nico, c’était un peu le petit nouveau à la guitare…
Mouss : Exactement !
| Cosmic Camel Clash :… ça fait donc un certain moment qu’il est dans le groupe et qu’il tourne avec vous. Est-ce que cela veut dire qu’il a pu plus s’investir dans la production et dans la composition pour Failles ?
Mouss : Oh oui, il y a des morceaux qui sont de lui dans l’album. Tu prends "L’archipel des pensées" par exemple, il y a un riff de Nico. Il s’est investi à fond et c’est ce qui l’a le plus excité en fait. Il ne savait pas comment il allait s’investir dans Failles, mais comme il avait fait toute la tournée de Une Somme de Détails et que nous commencions à composer, il était là au tout début du processus de création. Il a envoyé pas mal de riffs, nous avons notamment gardé un des morceaux qui est de lui. Puis il a amené d’autres riffs avec Yann (guitare) dans les autres morceaux. Donc il était vachement impliqué. En fait il ne savait pas comment s’impliquer... nous lui avons dit «Vas-y vas-y : présente des riffs» et quand il a vu qu’on validait "L’archipel des pensées", ça l’a décomplexé complètement et là il s’est lâché totalement ! Il était enfin intégré à 100% dans Mass, et dans la scène, et dans la création. D’ailleurs en studio, il a enregistré peut-être plus de guitares que Yann. Il a même enregistré des parties que Yann fait en live. C’est lui a enregistré quelques parties de Yann sur l’album. |
Cosmic Camel Clash : Vu que vous êtes assez revenus à la première époque de Mass avec ce côté mur sonore et avec cette grosse production, avez-vous été tentés à un moment donné de retravailler avec Colin Richardson ?
Mouss : Nous y a vons pensé. Nous y avons pensé même avec d’autres. Nous avions fait
Une Somme de Détails à la maison, à Paris, en rentrant chez nous tous les soirs... avec Fred Duquesne, le guitariste de Watcha et Empyr, et ça s’était très bien passé. Nous avons pensé à Colin Richardson et à d’autres, mais juste le temps d’en parler : ça ne nous a pas hanté, ni frustré de ne pas le faire. Nous nous sommes dit qu’on allait le refaire avec Fred, surtout vu qu'il nous demandait où nous en étions pour l’album
Failles, et en se proposant de le faire ensemble avec nous si ça nous branchait. Alors nous lui avons dit «
pas de souci », ça s’est imposé de manière assez naturelle. On ne va pas écarter quelqu’un qui est motivé et qui fait du bon travail. Donc ça s’est imposé naturellement, nous avons refait ça avec Fred et nous sommes super contents une fois de plus ! Mais j’espère que le prochain album, s’il y en a un, nous ne le ferons pas à Paris... parce que deux albums de suite sur Paris c’est pas très exotique. C’est bien de s’écarter totalement de là où tu habites, de rentrer dans une bulle pendant quatre, cinq, six semaines et vivre vraiment le groupe. J’aime ça, j’aime beaucoup ça.
Cosmic Camel Clash : C’est marrant parce que j’allais parler du fait qu’on vous a souvent vu avec AqMe sur la route. Ça ne vous a jamais tenté de faire un plan à la AqME : partir pour la Suède trois semaines dans un chalet et de ne faire que de la musique pendant ce temps-là ?
Mouss : Si bien sûr. Mais nous avons vu ça du point de vue économique. Le faire en dehors réduisait le temps d’enregistrement, et j’avais besoin de plus de temps pour la compo, au niveau des textes. Dons ça ne serait pas rentré si on avait pris, genre, quatre ou cinq semaines. Le budget n’était pas là pour pouvoir aller ailleurs. Ou peut-être que nous aurions pu aller ailleurs, mais nous étions un petit peu pressés et nous avons fait au plus pressé et au plus économique. Et au moins chiant logistiquement. Pour partir dans un gîte avec un studio à côté ou dans un complexe où y a tout il y a une logistique à avoir, et nous n'avons pas pris le temps de faire tout ça. Nous nous sommes dit que nous allions tout faire à Paris. Mais la prochaine fois j’espère vraiment qu’on s’exilera pour réaliser l’album, vraiment. En plus, Nico n’a pas encore connu ça avec nous, de se barrer vraiment, de s’enfermer et d’enregistrer un album. Je pense que la prochaine fois on le fera.
Cosmic Camel Clash : D’accord. En parlant justement de tes textes, tu me dis que l’évolution de la société fait, on va dire, que l’ambiance est moins joyeuse en général (Mouss acquiesce). On se rappelle de toute cette première période de Mass où tu étais uniquement sur le créneau de la positivité avec tout ce côté festif que tu insufflais dans tes textes. Lle Mouss qui chante “World on Fire” aujourd’hui par rapport au Mouss qui chantait “Le bien-être et la Paix” ou “Furia”, il a juste grandi ? Il est désillusionné ? Il est aigri ? Comment est-ce que tu vois ton évolution personnelle à ce niveau ?
Mouss : J’ai grandi, tu vois. J’ai des enfants : une fille de onze ans et un fils de neuf ans. Et ce que je chantais il y a dix ans quand ils étaient encore tout bébés, c’était plein d’optimisme. J’étais optimiste. Dix ans après, maintenant que les enfants ont grandi, je vois la situation de mon métier qui part en live - sans jeu de mot - et voilà. C’est clair que j’ai grandi, j’ai moins d’illusions mais je reste optimiste. Ou alors je reste un pessimiste actif pour être plus clair avec ce que je suis. Ouais, un pessimiste actif. Je ne vais pas prendre la morosité ambiante comme prétexte pour ne pas faire ce que j’ai à faire. Donc du coup je suis obligé... enfin pas obligé, mais je redouble de réalisme dans ce que j’écris. Je suis aussi peut-être un peu plus cru sur certaines choses comme tu disais comme "World on Fire". Du coup, ça me force à creuser dans les faiblesses du système et à essayer de réagir, moi, en tant qu’humain ou citoyen. A être conscient de ce qui se passe, dépasser le problème ambiant et redoubler encore de positivité. C’est nietzschéen. D’ailleurs je suis de plus en plus nietzschéen. Quand je parle de dépassement de soi, c’est vraiment ça : c’est Nietzsche. Un pessimiste actif, c’est vraiment ça. Je suis moins imbécile heureux.
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Cosmic Camel Clash : En parlant justement de dépassement de soi, dans “Dysphoria”, tu le dis : tu as l’impression qu’au niveau de ton épanouissement personnel, au niveau de chemin spirituel et intellectuel, il te reste encore beaucoup de chemin à parcourir.
Mouss : Oui.
Cosmic Camel Clash : Et qu’en fait si tu as pris tellement de retard, c’est ta faute. C’est ce que tu as voulu dire ?
Mouss : Ben oui, un peu. Non, tout à fait... ça fait plaisir ! Oui, c’est exactement ça. Ça ne tient qu’à moi. Ça ne tient qu’à chacun d’entre nous de faire ce qu’il faut pour avoir une vie comblée et rechercher absolument à être heureux. Ça peut être tyrannique aussi parce qu’on peut devenir complètement égoïste, replié sur soi et ne penser qu’à sa gueule. C’est une option pour être heureux, être complètement égoïste et ne penser qu’à soi. C’est une option, pas la meilleure, mais c’en est une. Donc, il faut faire attention. Tu me refais penser à pas mal de réflexions sur mon parcours. Oui, ça ne tient qu’à moi. Il y a des fois où je peux être en colère à cause de ce qui se passe. C’est un droit total et d’ailleurs c’est salutaire d’être en colère à cause de certaines injustices économiques et sociales actuelles. Mais faut aussi ne pas avoir peur de faire une introspection sur soi-même et se dire : «
Qu’est-ce que j’ai bien fait ces cinq dernières années ou ces dernières années ? Qu’est-ce que j’ai bien fait ? Qu’est-ce que je n’ai pas fait assez pour être comblé et content de mon parcours ?». Quand chaque année on fait des bonnes résolutions après le nouvel an, je pense qu’on en est tous là. Quand on fait un bilan, on sait très bien si on peut être content ou pas. Quand généralement on n’est pas content de soi et que cela fait un, deux, trois ans qu’on n’est pas content de soi, on a l’impression de stagner, voire de régresser, ça peut poser des angoisses et une crise existentielle. Je n'ai jamais fait de dépression nerveuse et je touche du bois, mais des gros cafards et des grosses déprimes, ouais. Mais en même temps, il faut se relever et ça ne tient qu’à soi. Enfin je ne parle que de moi et ça ne tient qu’à moi de me relever et de faire en sorte d’être content à chaque début d’année pour me dire que «
Tiens, les bonnes résolutions que j’ai faites l’année dernière , je les ai accomplies » et que je monte d’un niveau, on va dire. Je vois des gamins, ils ne pensent qu’aux jeux vidéo, ben voilà…
Cosmic Camel Clash : Level up…
Mouss : (
rires) Ouais, voilà, c’est ça : level up. Moi, je pense plus au morceau qui a pu cristalliser en moi mes pensées positives : c’est un morceau de Pantera, "A New Level". C’est un morceau, quand il est arrivé, il cristallisé ce que je pensais. Je me suis dit que, putain, j’aurais aimé écrire ce morceau. "A New Level"... un nouveau niveau, un nouveau palier. Faut savoir un peu se faire violence et y'a pas que les potes et la fête dans la vie. Il y a aussi l’accomplissement de soi et ça passe par le travail, la rigueur et parfois l’abnégation. Ce sont des valeurs que tu n’apprends parfois pas tout de suite. A vingt ans tu es plein d’illusions, plein d’incertitudes. Tu te fous un peu du lendemain. T’es innocent et c’est bien... tu prends des risques irraisonnés, mais c’est comme ça qu’on avance des fois, et c’est comme ça qu’on grandit. Mais aprè, quand tu arrives à trente-cinq balais - et moi j’en ai trente-neuf - ben tu ne penses plus pareil qu’à vingt ou vingt-cinq ans et tu vois que tu as perdu quelques années quand même. A vingt ans, tu t’en fous, mais à trente-cinq, tu commences à dire «
Tiens quand même où sont passés mes vingt ans, qu’est-ce que j’ai foutu de mes vingt ans ? C’est une partie de ma vie sur laquelle je ne peux plus revenir. Est-ce que je suis content de cette période ? Et est-ce que je veux monter d’un niveau, est-ce que je veux me dépasser ? ». Alors si tu aimes tes potes, il faut les surprendre. Si tu racontes toujours les mêmes choses, et si t’as plus rien à raconter quand tu les vois, parce que tu stagnes ou que tu régresses, tu vas les faire chier. Tu ne seras plus surprenant. Faut mettre un peu en compétition les choses que tu donnes avec tes potes et tes connaissances autour de toi : tiens, t’as fait quoi de nouveau ? Rien, rien de nouveau ? Ça peut être dévalorisant à un moment donné. Donc, voilà : ça ne tient qu’à soi d’être heureux, comblé et de faire ce qu’il faut pour être content de soi.
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Crédits photo :
www.myspace.com/masshysteriaofficial
Questions : CCC
Transcription : Sebrouxx & CCC
Merci à Pierre d'At(h)ome d'avoir ramé comme un galérien pour que cette interview ait lieu.