Devin Townsend

Entretien avec Devin (chant) - le 08 avril 2009

2
Cosmic Camel Clash

45
Struck

Une interview de




Devin_Townsend_20090408

Une des premières collaborations de votre serviteur avec son compère Struck de Music Waves s'était faite lors de la promotion de Ziltoid The Omniscient... donc quand Devin Townsend est de retour c'est tout naturellement que l'équipe se reforme. Il y deux ans l'état du bonhomme nous avait fait peur : nous l'avions trouvé au bord de l'épuisement total, bouffi, dépressif et incapable de réellement répondre à nos questions (interview là). Heureusement c'est un homme nouveau qui est venu à Paris parler de Ki (chronique ici) premier volet d'une tétralogie qui le verra jouer avec un groupe différent sur chaque disque. Comme vous le constaterez par vous-mêmes Devin ne nous avait absolument pas oubliés, et l'entretien-fleuve qui suit restera pour nous un moment d'anthologie. Espérons que vous partagerez nos impressions...



Cosmic Camel Clash : Quand nous t'avions interviewé il y a deux ans tu allais très mal, et tu avais affirmé ne plus vouloir faire de promotion d'album (il acquiesce). Donc première question évidente : qu'est-ce que tu fiches ici ?

Devin Townsend : J'ai arrêté la drogue. Et j'ai soudainement réalisé que beaucoup de mes problèmes et de ma paranoïa étaient provoqués par ma consommation de drogue. Ma consommation constante de marijuana et d'alcool avait contribué à construire une réalité dont certains aspects sont valables... mais qui est fausse en général. On fait des montagnes de tout et n'importe quoi... et au final j'étais tellement occupé à faire des choses dangereuses psychologiquement parlant pour moi que j'avais énormément de mal à m'investir dans les choses qui donnent du plaisir en général dans l'existence. Par exemple c'est ma première tournée promotionnelle depuis cette époque, et l'autre jour j'étais assis et je me suis dit « quel est ce sentiment étrange... je crois que je suis heureux ».

Cosmic Camel Clash : « Que c'est bizarre ! »

Devin Townsend : Ouais ! Et j'ai soudainement réalisé que ce que je fais pour gagner ma vie est précisément ce en quoi je suis doué. C'est l'éclate d'être capable de créer de la musique, il y a beaucoup de gens qui adoreraient faire ce que je fais, qui adoreraient être en train de vous parler en ce moment plutôt que de travailler dans un centre commercial. J'ai passé des années à dépenser une somme d'énergie folle à combattre ça au lieu de voir le verre à moitié plein. Je dépensais toute mon énergie à me concentrer sur les aspects négatifs des gens autour de moi, et par conséquent tout le monde devenait une menace potentielle. Puis je suis arrivé à la conclusion qu'il y a beaucoup de choses dans ma propre personnalité qui sont négatives, donc si les gens se concentraient sur ces choses uniquement, quelle allait être leur perception de moi ? Du coup je me suis dit qu'il était temps que je me concentre sur le côté positif des choses, des gens autour de moi et de moi-même. Et une fois que j'ai commencé à faire ça je me suis dit « Mec, tu as vraiment de la chance. Tu n'as pas le cancer, tu parles à des journalistes qui te posent des questions... bon, certaines des ces questions peuvent être intrusives, mais tu pourrais être en train de ramasser de la merde dans une étable avec une pelle.». Ce qui est étrange c'est à quel point c'était évident. Dès que j'ai arrêté de boire et de fumer de l'herbe je me suis dit que j'avais également eu de la chance en trouvant la force de le faire, car j'adore jouer de la musique. Et je me suis rendu compte une fois sobre que j'adore aussi parler de la musique que j'écris car je suis dans une optique où j'ai confiance en moi et où je suis à l'aise. Si j'avais tellement de mal à me sentir bien en interview auparavant, c'est parce qu'une énorme part de la musique que j'écrivais à l'époque provenait de ma peur et de ma paranoïa. Et en parler me replongeait dans ce qui m'avait terrifié à la base donc je ne voulais pas. Je ne voulais pas me dire que j'avais créé ça.

Cosmic Camel Clash : Okay.

Devin Townsend : Depuis j'ai compris que ce que je fais musicalement est une réaction à ma vie. Je ne me suis jamais dit « un jour je vais faire un disque à propos d'une marionnette qui sera un récit métaphorique du fait que j'arrête la drogue ». Je ne m'étais pas non plus dit il y a trois ans que j'allais faire un disque comme Ki, et durant l'écriture d'Alien je ne me disais pas que j'écrivais un album basé sur la paranoïa. Ce n'étaient que des réactions à ce qui me stimulait à l'époque, donc quand j'ai fait disparaître de ma vie les choses qui provoquaient mon mal-être je me suis mis à écrire sur des choses qui m'intéressent. Du coup avoir l'occasion de discuter de ce qui m'intéresse... ben c'est génial, vraiment. Le fait qu'il y a des gens qui veulent me demander des choses à propos de ce que je fais, même d'une manière intrusive parfois... aujourd'hui je leur dis « Allez-y, je vous attends ! ». Il y a des tonnes de choses dont j'ai envie de parler, j'ai plein de trucs à dire. Et honnêtement, ces quatre albums que je suis en train de faire m'apparaissent comme une manière de clarifier des choses dont je n'étais pas certain moi-même. Donc quand on m'interrogeait à leur propos, en particulier quand j'étais stone... ma réaction était « Je ne veux pas penser à ça, ne me pose pas de questions sur ça sinon je vais obligé d'y faire face. ». Et ces dernières années j'ai justement passé mon temps à ça : faire face. Encore et encore et encore. Et à chaque fois, je me suis rendu compte que les ombres que projetaient ces choses étaient plus effrayantes que les choses elles-mêmes.
Photo


Cosmic Camel Clash : J'ai lu l'interview questions-réponses que tu as publiée sur ta page myspace, donc je savais que tu avais arrêté les stupéfiants. Quel a été l'évènement dans ta vie qui t'a fait prendre cette décision ?

Devin Townsend : Qu'est-ce qui m'a fait arrêter ? Mmh... une question que tu m'as posée la dernière fois m'est restée, celle concernant les similitudes entre le fonctionnement de l'artiste et celui du serial-killer dans leur côté compulsif. Cette question m'a fait peur lors de notre dernière interview, je me rappelle avoir pensé « Je ne veux pas répondre à ça. » (ndCCC : Devin avait été effectivement complètement bloqué, m'obligeant par son silence à passer à la question suivante... d'où son absence dans l'interview publiée). Et c'était parce que ça entrait en résonance avec un élément de ma vie, il y avait des gens dans mon entourage qui étaient associés à l'acte de tuer autrui. Sur le moment je n'ai pas réalisé que c'était pour ça que j'avais réagi de cette manière, que c'était parce que je ne voulais pas faire face à cette réalité. Je pense que l'idée d'arrêter la drogue est une conséquence du fait qu'aujourd'hui que j'ai un fils ça ne me rend pas service d'avoir peur des choses, en particulier des choses qui font partie de ma vie ou de la réalité. Il y a toujours une motivation : est-ce que les humains sont cruels les uns envers les autres, maléfiques par nature ? Ou est-ce une chose qui s'apprend ? Et si c'est une chose qui s'apprend, c'est basé en grande partie sur les expériences infantiles... donc comment éviter d'augmenter la population de connards de la planète ? On a cette opportunité en apprenant à nos enfants à ne pas être des connards. Et je pense qu'une des manières d'y arriver est d'être plus fort que ce qu'on veut être, et pour moi de faire face aux choses qui m'ont toujours foutu la trouille. En gros j'en suis arrivé à réaliser que quand je me défonce ça me plonge dans un état de peur. Donc que si je ne voulais plus avoir peur, je ne devais plus me défoncer.

Struck : A la fin de cette interview, nous avions conclu qu'il était vital que tu restes au lit pendant six mois. Tu l'as fait ?

Devin Townsend : Je pense que ça a plus été un an, en fait. (rire général)

Struck : Tu as également complètement changé d'apparence. Est-ce une conséquence de ton état d'esprit différent actuel, ou est-ce juste une coïncidence ?

Devin Townsend : Mmh... j'ai eu des dreadlocks sur un crâne chauve trois fois de suite : j'avais des dreads jusqu'au moment où je ne les supportais plus, et du coup je me rasais le crâne. Et la dernière fois que je l'ai fait, quand j'ai rasé les dreads que j'avais quand on s'est vus pour la dernière fois... elles étaient incroyablement dégoûtantes. Elles puaient la merde, elles étaient couvertes de mucus, je ne les lavais plus car elles me faisaient mal, mon cuir chevelu saignait, il y avait des insectes dedans... J'ai vu une vidéo de moi et je me suis dit que mes problèmes de confiance en moi venait probablement du fait que ma perception de moi-même était celle-là : « Voilà comment tu te vois : tu es un clown chauve et gras avec des dents pourries. Donc que vas-tu faire pour changer ça ? Est-ce que c'est cette image que tu veux projeter ? Pourquoi envoies-tu ce message aux gens qui s'intéressent à ta musique ? ». Et en y réfléchissant, je me suis dit que c'était parce que je voulais les maintenir à distance. Que je ne voulais pas prendre le risque que les gens sachent que je ne suis peut-être pas si hardcore, peut-être pas incroyablement intelligent... que je suis une personne plutôt normale en fait. Ça faisait si longtemps que je mettais en avant une fausse personnalité que j'ai représenté via Ziltoïd, ce trip du savant fou... c'était la manière dont je me mettais en scène et ce n'était pas la réalité. Et je me suis demandé qui j'essayais de berner vu que les gens qui me connaissent savent que ce personnage n'est pas moi.

PhotoCosmic Camel Clash : Tu avais créé cette image du scientifique dérangé à l'époque de Physicist, non ? C'est à cette époque que je me rappelle avoir vu les premières photos de toi avec cette coupe à la Doc dans Retour vers le futur.

Devin Townsend : Ouais... il faut jouer avec les cartes qu'on a. Quand j'ai commencé à devenir chauve ça m'a fait me sentir très mal. Je me suis dit « Oh mon dieu...»

Cosmic Camel Clash : «... je perds mes cheveux !»

Devin Townsend : Voilà ! Et je me suis demandé « Qu'est-ce que je peux faire, quelle coupe je peux avoir...? Ben je vais les avoir longs, tiens. Prenez ça dans la gueule, vous tous ! Je ne vais pas seulement être chauve, je vais mettre ma calvitie en scène.». Après un certain temps je me suis rendu compte que je ne me sentais plus vraiment mal à ce sujet. Je ne suis pas dingue, donc pourquoi je passais mon temps à faire semblant de l'être ? Au bout d'un moment mon identité risquait d'être tellement fondée là-dessus que si je décidais de faire quelque chose de plus subtil, personne n'allait l'accepter. Et je pense que mon challenge aujourd'hui c'est qu'il va falloir pas mal de temps pour que les gens acceptent que je ne suis plus ce personnage qu'ils ont connu. Pour en revenir à l'idée de transparence, ma démarche aujourd'hui est de donner des interviews dans lesquelles je suis clair, dans lesquelles j'admets « J'ai fait ça pour telle raison. ».


Struck : Pourrait-on dire que ces quatre albums et les interviews que tu donnes en ce moment sont une forme de thérapie ?

Devin Townsend : Je pense aujourd'hui que tous les albums que j'ai réalisés ont joué un rôle de thérapie d'une manière ou d'une autre... mais je dois dire que je ne regrette rien de ce que j'ai fait, y compris les choses stupides. J'ai fait des trucs incroyablement stupides, mais les regretter n'est qu'un gaspillage d'énergie car ça ne change rien au fait qu'il faut les assumer. On doit payer chaque décision qu'on prend. Aujourd'hui je peux utiliser ces quatre albums non pas comme un moyen de réparer un tort quelconque, mais comme un moyen de clarifier là où je voulais en venir. J'ai été honnête à 100% dans tout ce que j'ai fait, mais dans certains disques cette honnêteté venait d'un esprit sous influence, maintenu dans l'illusion. Du coup l'intention a été parfois mal interprétée à cause de la manière dont je réagissais à l'époque. Donc ces quatre albums, tous les quatre... représentent d'une certaine manière une époque. Deconstruction, le troisième album, est représentatif du côté complexe de mon monde musical, comme Alien ou Ziltoid. Ce que je voulais faire avec ces deux disques a été (silence)... déformé, d'une certaine façon, à la fin du processus. Car à la fin du processus j'ai commencé à avoir peur et j'ai été incapable de définir cette musique compliquée via autre chose que le chaos. Donc quand je sortirai cet album compliqué-là, je pourrai dire « Voilà, c'est comme ça que c'était censé sonner. ». La musique compliquée n'est pas dangereuse en elle-même, c'est quand on l'autorise à prendre le dessus sur ce qu'on a de meilleur que ça devient dangereux. Pour le reste de la musique, comme celle du deuxième disque qui est d'obédience plus pop et commerciale... elle sert à clarifier le fait que je m'intéresse à des tonnes de musique différentes. Mais je me suis mis moi-même le dos au mur en m'enfermant dans ce personnage du savant fou, et c'est devenu très dur d'en sortir et de dire aux gens « Hey, tu sais quoi ? J'aime vraiment Enya. J'aime vraiment Tiësto. J'aime vraiment le bluegrass, et j'aime vraiment les Vengaboys. Je sais bien que ce n'est pas cool, mais que veux-tu que j'y fasse ? J'aime vraiment ça ! »

Struck : Ben oui !

Devin Townsend : J'ai passé ma vie entière à ne pas être cool, puis Strapping Young Lad a commencé à avoir un certain succès et je suis devenu accro à ce statut de type cool qui m'est soudainement tombé dessus. « Je suis cool ! Comment je peux faire pour le rester ? Ah, je dois me faire du mal ? Okay ! Il faut que je sois fou ? Attends, je vais me mettre à me défoncer car si je ne fais pas un truc dingue je ne vais plus faire partie de ta bande. ». Mais je me suis rendu compte que quoi que je fasse, je ne faisais jamais vraiment partie de la bande car je finissais toujours par dire un truc qui craignait. J'ai tourné avec des tonnes de groupes de métal et pour reprendre une analogie que j'utilise souvent, j'ai toujours été un chat. Et si on tourne avec une meute de chiens, on peut mettre un masque de chien... on finira par se faire griller quand même et on sera toujours un intrus. D'un autre côté si on se retrouve dans un groupe de chats on n'est plus qu'un individu perdu parmi d'autres. Résultat: tant qu'on n'est pas au clair sur qui on est on se sent toujours mal, et on se pose toujours les mêmes questions concernant les choses qu'on fait naturellement. Donc ces quatre albums sont ma manière de dire « Si ce que j'ai pu faire par le passé t'a suffisamment intéressé pour que tu te poses la question... sache que je ne suis pas fou. Tout ça venait d'un manque de confiance en moi et d'un sentiment de confusion. ».


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Interview réalisée en partenariat avec :



Crédits photos : Inside Out



Traduction / transcription : CCC


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