Gazus : Anathema a toujours réalisé des versions acoustiques de ses chansons, et voilà que vous sortez un albums entièrement unplugged. D'où vous vient cette affinité avec l'acoustique ?
Vincent Cavanagh : C'est surtout une affinité pour les chansons. Quand tu retires à une chanson ses atours de production il ne te reste plus que la chanson elle-même, que l'idée de base. Une personne seule est capable de la jouer avec un piano ou une guitare acoustique. Alors elle devient quelque chose de complètement différent, elle est nue et on peut dire si c'est une bonne chanson ou pas. Si une chanson peut être jouée par une personne seule, alors c'est une bonne chanson... c'est comme ça qu'on les reconnaît. Si tu as besoin d'un groupe pour la jouer, pas de problème... mais pour nous, en tant que compositeurs, notre source de fascination principale est de composer des chansons qui fonctionnent en acoustique. Nous avons donné beaucoup de concerts unplugged dernièrement, le moment était donc parfait... l'idée traînait depuis longtemps, en fait on nous le suggère depuis dix ans... nous avons toujours utilisé des guitares acoustiques tu sais, donc on nous disait «
pourquoi ne faites-vous pas un album acoustique ? ». Donc nous l'avons fait, et le timing est parfait : pour moi c'est une croisée des chemins entre le passé et le futur, entre ce que nous avons fait et ce que nous allons faire... ça revêt un certain sens de le faire aujourd'hui, car le fossé entre la musique que nous allons faire et notre dernier album
A Natural Disaster est assez grand, plus que jamais auparavant. Musicalement parlant, l'écart va être énorme donc c'est le bon moment pour jeter un regard sur les vieilles compos sous un nouvel éclairage acoustique... il y a quelques nouveaux arrangements aussi. En plus la nouvelle chanson "Unchained" colle parfaitement et j'adore l'objet, l'artwork... j'en suis très content dans l'ensemble. Le but était de sortir un objet dont nous serions fiers, que nous considérerions digne d'être... nous n'avons pas vraiment pris en compte les regards extérieurs, nous ne nous sommes pas demandés ce que le public allait penser du fait qu'Anathema sorte un album unplugged aujourd'hui, car nous savions que c'était une bonne idée. Donc nous n'avons pas considéré ce que d'autres pourraient penser, nous nous sommes juste dit «
on y va ». De plus nous devions le faire car n'ayant pas de maison de disques, c'était le seul moyen pour nous d'auto-financer notre prochain album. Il nous a fallu payer toutes sortes d'équipement, louer la maison dans laquelle nous avons vécu ensemble pour enregistrer cet album et le nouveau : nous avons passé des mois et des mois dedans à vivre ensemble... c'était bizarre, un peu comme Big Brother mais sans les caméras (
rires), mais c'était agréable.
| Gazus : Comment avez-vous choisi les chansons qui allaient figurer sur l'album ?
Vincent Cavanagh : Elles se sont choisies toutes seules...
Gazus : Parce qu'elles se prêtaient plus à l'exercice ?
Vincent Cavanagh : Oui... on pourrait probablement adapter quasiment toutes nos chansons en acoustique, mais celles-là sonnent mieux. De plus elles font partie des meilleures chansons que nous ayons écrites, donc ça s'est imposé. Notre seule autre option était d'enregistrer quelques titres de nos premiers albums et de les transformer en instrumentaux car la voix ne collerait plus, d'en faire des mini-morceaux de musique classique avec des arrangements de cordes. Nous avions pensé à "Cresftall" ou "Sleep in Sanity", des choses du genre. Ça aurait été probablement intéressant et nous le ferons peut-être à un autre moment, mais nous n'avons pas pu le faire sur cet album car nous n'avions pas le temps, il fallait terminer. Nous y reviendrons peut-être, j'aimerais faire quelque chose d'inspiration classique avec ces titres. Nous verrons, c'est une possibilité à l'avenir. |
Gazus : La semaine dernière, Anathema était en concert avec My Dying Bride et Paradise Lost à Paris (live-report ici) ? Vous n'aviez pas joué ensemble depuis des années... qu'est-ce que ça représente pour toi ?
Vincent Cavanagh : Nous n'avions jamais joué tous les trois ensemble, pas avant la semaine dernière. Nous jouons avec My Dying Bride et Paradise Lost séparément depuis des années... ça ne représente pas vraiment quoi que ce soit pour moi sorti de la musique que nous faisons auparavant, et même à l'époque je considérais que nous étions des groupes différents... donc je ne sais pas. C'était cool, voilà. Je préfère être en tête d'affiche, je... j'apprécie les membres de Paradise Lost en tant que personnes, ce sont des types extra, mais je ne pense cependant pas qu'il y ait un lien évident entre nos trois groupes. C'était amusant à faire je suppose, voilà tout... mais merde, jouer en première partie à Paris ? Nous n'avons pas besoin d'ouvrir pour qui que ce soit à Paris, nous pouvons remplir le Bataclan seuls. C'est ça qui me... c'est.... grrrrr ! C'est ça que je voudrais faire, je veux nous voir jouer au Bataclan et à l'Olympia seuls, je ne veux pas être en première partie. C'est mon opinion personnelle dirons-nous, tous les autres se sont éclatés. L'important c'est que le public a apprécié.
Gazus : Votre nouvel album Horizons sortira normalement fin 2008.Que peux-tu nous-en dire ? Contiendra-t-il des chansons pas encore sorties en format album, comme "Angels Walk Among Us" ?
Vincent Cavanagh : Déjà, il ne s'appellera pas forcément
Horizons, c'est juste un titre possible. Nous nous réservons le droit de changer d'avis à la dernière minute, en fait nous le faisons très souvent (
rires). Nous changeons tout tout le temps : les arrangements des chansons, leur titre, les paroles, tout reste en mouvement jusqu'au mix final.
Gazus : Et est-ce qu'une fois le mix final en boîte vous avez encore envie de changer des choses ?
Vincent Cavanagh : Oui, toujours (rires) ! C'est assez difficile à vivre parfois : qui a décrété qu'une fois qu'une chanson a été figée sur un album, la version en question est la version définitive ? Ca me frustre de temps en temps car je voudrais continuer à explorer de nouvelles façons de la jouer. Il y a toujours une autre manière de jouer un titre... je pense que nous devrions être plus libres, plus ouverts d'esprit. Bref, le nouvel album, et comment il va sonner, je ne sais pas, nous ne l'avons pas encore fait ! Bon... encore une fois, le changement va être énorme. Chaque chanson est très différente des autres, parfois dans une seule chanson on trouve même deux ou trois styles de musique différents. Il y a toutes sortes de trucs là-dedans, le résultat est bizarre. Je ne peux pas expliquer ce que c'est... j'essaie mais c'est impossible car il y a trop de choses qui se passent : décrire l'album chanson par chanson ne suffirait pas, il faudrait également que je les décrive plan par plan, tu comprends ? Et ça n'a pas de sens de faire ça... C'est un album de rock, ce n'est pas un album de rock, ça sera ce que ça sera et tout le monde se fera son propre avis de toutes façons. C'est juste difficile pour moi de prédire ce genre de choses tant qu'elles ne sont pas faites (rires)... et ça n'a pas grand-sens, c'est futile. Je comprends ce que tu veux dire car tout le monde me dit « notre appétit est aiguisé, tu peux nous faire goûter un bout ? », et je réponds « désolé ». | |
Gazus : Si chaque chanson est différente, est-ce que la production va suivre ? Y'aura-t-il un son différent par chanson ?
Vincent Cavanagh : Chaque chanson aura sa production propre. Bien sûr il y aura un fil rouge qui sera le son de batterie, mais en terme de guitares et du reste chaque élément a sa propre place. Nous approchons cet aspect avec énormément de soin, vraiment, la production est un processus délicat pour nous. Nous ne voulons pas d'un son uniforme, nous voulons que chaque élément sonne parfaitement individuellement. Ça n'a pas besoin de former un tout : nous ne mettons pas seulement l'accent sur les chansons individuellement, ça va jusqu'aux parties de chaque instrument. Dans une même chanson nous allons changer plusieurs fois le son de guitare d'un moment sur l'autre, et le son de basse, et celui des claviers...
Gazus : Un peu comme des poupées russes...
Vincent Cavanagh : Oui, ça fonctionne par couches successives... mais n'importe quel groupe faisant quelque chose qui va plus loin que juste brancher la pédale de disto te dira la même chose.
Gazus : Steven Wilson mixe votre nouvel album, et vous avez tourné avec Porcupine Tree à de nombreuses reprises. Quel type de relation entretenez-vous avec lui et ses groupes ?
Vincent Cavanagh : Je pense qu'il va me haïr de dire ça, mais Steven me semble être le ciment de ses différents groupes. C'est lui qui rassemble les différentes personnes avec qui il travaille. Chaque membre a sa propre personnalité, unique, mais ils collent très bien ensemble, que ce soit en tant que groupes mais aussi en tant qu'individus. Donc ce sont des gens agréables à fréquenter... Steven est comme le ciment qui les maintient ensemble, mais chacun d'entre eux a sa petite manière d'être. Nous nous sommes vraiment très bien entendus avec John Wesley, le guitariste... j'imagine qu'il y a beaucoup d'anecdotes que je pourrais te raconter. Concernant Steven j'adore ce type, je pense qu'il est incroyablement intelligent et talenteux, que c'est un genre de scientifique musical. John est un très bon musicien, compositeur, chanteur, un type extra. Il ne faut jamais le chercher car il peut te botter le cul, il fait du karaté (
rires). Le bassiste porte tout le temps un béret et il sourit en permanence, donc nous sommes convaincus qu'il y a des patches de morphine sous son béret qui diffusent dans son cerveau (
rires). Le batteur est le type le plus humain que j'aie jamais rencontré, et Richard Barbieri (
claviers) est un des types les plus adorables qui soit en plus d'être très drôle, il faut vraiment le connaître. Ce sont tous des types vraiment cool, je les aime bien. J'apprécie tous les groupes avec qui nous avons joué, j'ai des trucs à dire sur chacun d'entre eux. Prends Paradise Lost : Nick Holmes est un putain d'humoriste de génie, il pourrait gagner sa vie en faisant du
stand-up comedy. Il est drôle à en crever.
Gazus : Et Steven Wilson va donc mixer le prochain album...
Vincent Cavanagh : Peut-être. S'il a le temps. Tout peut encore changer... s'il est libre on verra, car c'est un homme très occupé. Il veut le faire, nous voulons qu'il le fasse, si c'est possible nous tenterons le coup.
Gazus : Et si ça n'est pas possible ?
Vincent Cavanagh : Dans ce cas nous nous en chargerons nous-mêmes, nous avons les compétences pour ça. C'est spécial en soi de faire appel à quelqu'un d'autre : «
nous avons vécu avec ça durant les huit derniers mois, vas-y, fais-en quelque chose qui a du sens ». C'est un processus très délicat, et de la même manière que nous l'avons enregistré nous-mêmes, nous allons le mixer. Donc si nous le mixons en compagnie de Steven ou de qui que ce soit d'autre nous lui donnerons deux versions de chaque chanson : une version brute et une version déjà mixée par nous. «
Voilà comment nous pensons que ça devrait sonner, vois ce que tu en penses »... puis nous comparerons les résultats.
| Gazus : Est-ce que Lee Douglas (chant féminin) est devenue un membre officiel du groupe, et a-t-elle joué un rôle important sur le nouvel album ?
Vincent Cavanagh : Un rôle très important, tu vas entendre que sa voix est beaucoup plus présente, et pas seulement en tant que chanteuse lead. C'est un nouveau pinceau avec lequel peindre et nous avons beaucoup d'idées en termes d'harmonies, de chœurs, de refrains, de plans... elle pourrait en faire beaucoup plus. En fait nous essayons de la motiver à en faire plus, je pense qu'elle devrait jouer d'un instrument live, même juste du tambourin... elle devrait jouer de quelque chose. Elle a un grand rôle à jouer, et nous voulons l'inclure beaucoup plus dans notre musique et dans le groupe. C'est un membre à temps plein de toutes façons, c'est juste que parfois elle ne peut pas assurer certains concerts à cause de son travail. Nous verrons l'année prochaine, je pense qu'elle sera beaucoup plus présente... ce qui est cool. |
Gazus : Je vous ai vus au Hellfest avec elle (live-report ici) et ça rendait très bien. En parlant du Hellfest d'ailleurs, as-tu eu des retours concernant votre concert vu que l'évènement était orienté musiques extrêmes ?
Vincent Cavanagh : Je n'ai lu aucune chronique du concert, mais d'un autre côté je n'en lis jamais, je ne lis pas la presse en ce qui concerne le groupe en dehors des interviews.
Gazus : Et concernant le festival lui-même, quelles étaient vos impressions ?
Vincent Cavanagh : C'était bien. C'était cool de revoir certains vieux amis qui étaient là, comme Paradise Lost, Carcass, Katatonia... c'était chouette et le voyage était agréable, car je vis à Paris désormais donc j'ai juste eu à prendre le train pour Nantes et c'était super. Nous n'avons pas vu grand-chose du festival, nous sommes juste arrivés le jour dit, nous avons joué et nous sommes repartis... il n'y a eu que la nuit qui a été particulièrement pénible, et nous devons remercier les gars du webzine Decibels Storm qui nous ont vraiment aidés. Nous ne pouvions pas rentrer dans notre hôtel, nous étions enfermés dehors et ils nous ont accueillis dans une chambre à eux. Ils nous ont porté secours au milieu de la nuit, nous étions au milieu de nulle part quelque part dans Nantes. C'était pas mal (
rires).
Gazus : Après le Unholy Trinity Tour vous allez donner quelques dates avec Demians, avant la prochaine vraie tournée qui vous donnerez pour le prochain album. Une date parisienne est-elles prévue ?
Vincent Cavanagh : Pas sur cette tournée, car nous avons joué avec Paradise Lost donc nous ne pouvons pas rejouer à Paris tout de suite. C'est nul... mais nous jouerons probablement à Lyon et à Lille. Je suis vraiment impatient d'y être, mais d'un autre côté je suis également très impatient de finir le nouvel album donc c'est ambivalent : j'ai envie de jouer ces concerts, j'ai envie de présenter les nouvelles chansons en live... mais avant tout, j'ai envie de boucler l'album. Si j'avais le choix, je serais en studio. Bien sûr je vais me donner à 100% sur ces dates, comme je le fais toujours, mais j'ai vraiment envie de terminer les nouveaux titres et ensuite, je tournerai l'esprit tranquille. Finir l'album est vraiment ce qui me tient en ce moment, c'est ce que je veux par-dessus tout.
Gazus : Nous avons cette tradition française de toujours vouloir un mot de la fin... attends... tiens, préfères-tu les concerts acoustiques ou électriques ?
Vincent Cavanagh : Électriques. J'aime les concerts acoustiques, ils sont différents... mais j'aime plus être avec le groupe entier sur scène, je peux plus me lâcher que lors des concerts acoustiques. | |
Gazus : Au Hellfest j'ai remarqué qu'une chanson comme "Empty" était beaucoup plus directe et énergique que sur album. Vous l'avez jouée de cette manière exprès car c'était le Hellfest ?
Vincent Cavanagh : En fait je pense que toutes nos chansons sonnent mieux en live. C'est très rare qu'une chanson d'un de nos albums précédents soit capturée sur disque dans sa version définitive, je pense que les versions définitives de nos chansons ont toutes vu le jour quelque part en Europe durant ces dernières années. À un moment donné, dans un endroit quelconque, chacune de ces chansons a été jouée dans une version parfaite et c'est la différence. Je pense qu'elles sont toutes meilleures en concert. Je pense que par le passé nous avons toujours été meilleurs sur scène que sur album, et nous allons changer ça.
Gazus : Rien à ajouter ?
Vincent Cavanagh : Mmmh... si vous voulez faire de la musique, ne prenez pas en compte ce que qui que ce soit pense de vous. N'écoutez personne, écoutez vos propres idées et restez fidèle à ces idées. Vous n'avez à penser à rien d'autre, ça n'a pas besoin de se vendre, ça n'a pas besoin d'être ce à quoi les gens s'attendent. Vous devez juste rester fidèle à vous-même et à vos intentions profondes. Trouvez-les, utilisez-les et alors vous aurez compris le truc. Il y a énormément de gens extrêmement talentueux dans mon entourage qui n'arrivent pas à percer, je ne comprends pas pourquoi. Il y a ce type nommé Tom Brooks qui est un guitariste / chanteur fabuleux, il devrait être aussi gros que David Gray ou Damien Rice, je ne sais pas... mais il est encore jeune, donc il a le temps. Bref essayez d'être original, soutenez les nouveaux venus qui font de la bonne musique, qui essayent de faire quelque chose de différent. Tout ce que j'aime écouter possède une identité propre. Sinon où est l'intéret ?
Crédits photo :
www.anathema.ws
www.myspace.com/weareanathema
Questions : Lapin Blanc.
Traduction / transcription : CCC